1764-05-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je vous remercie bien, mon cher frère, de vôtre Lettre du 11e May.
Je me souviens que Catherine Vadé pensait comme vous, et disait à Antoine Vadé, frère de Guillaume, mon cousin, pourquoi faittes vous tant de reproches à ces pauvres Welches? Eh! ne voiez vous pas, ma cousine, répondit-il, que ces reproches ne s'adressent qu'aux pédants qui ont voulu mettre sur la tête des Welches un joug ridicule? Les uns ont envoié l'argent des Welches à Rome; les autres ont donné des arrêts contre l'émétique et le quinquina; d'autres ont fait brûler des sorciers; d'autres ont fait brûler des hérétiques, et quelquefois des philosophes. J'aime fort les Welches, ma cousine, mais vous savez que quelquefois ils ont été assez mal conduits. J'aime d'ailleurs à les piquer d'honneur, et à gronder ma maitresse.

Voilà ce que disait ce pauvre Antoine, dont Dieu veuille avoir l'âme! Et il ajoutait que tant que les Welches appelleraient un angiportus, cu de sac, il ne leur pardonnerait jamais.

J'enverrai demain la partie de vôtre Lettre qui regarde la personne intéressée; je suis bien aise qu'elle voie combien elle a tort. Je vous demanderai la permission de ne point envoyer la Lettre à cachet volant, parce que venant de ma part elle paraîtrait mandiée; et ce que vous me mandez étant beaucoup plus fort, fera un bien meilleur effet. Cette tracasserie était des plus étranges. Je ne puis assez, encore une fois, vous remercier de l'avoir finie.

Je vous demande en grâce d'écrire en droiture à frère Cramer pour avoir vos exemplaires de Pierre qui doivent être en route. Il y en a un qu'il faudra donner à Mr Héron, en cas qu'il n'en reçoive pas un de la part de frère Cramer en droiture. Je ne crois pas qu'à présent il en reste un seul à Genêve, et moi même je n'en ai qu'un seul éxemplaire imparfait, sans figures, et sans la Liste des souscripteurs. Je crois que les Cramer font une nouvelle édition qui paraîtra bientôt.

A l'égard du dessein où sont les libraires de Paris d'imprimer les remarques à part, ce dessein ne pourait être éxécuté que longtemps après que Mr Pierre Corneille le petit neveu se serait défait de sa pacotille; et si je ne puis empêcher cette édition, il vaut mieux qu'elle soit bien faite et correcte qu'autrement. Ainsi, quand vous verrez mes anges je vous prie d'éxaminer avec eux s'il n'est pas convenable de faire dire aux libraires de ma part, que je les aiderai de tout mon cœur dans leur projet; cette espérance qu'ils auront les empêchera de se hâter, et ils pouront faire un petit présent à Mr Pierre. Voilà quelle est mon idée.

Dans ma dernière Lettre, partie le 17, il y en avait une pour Briasson, qui ne regarde en aucune manière l'édition de Corneille. Je lui demande seulement la démonstration évangélique de Huet dont j'ai besoin. Je sais que cette démonstration n'est pas géométrique, mais on se sert quelquefois en français du mot de démonstrations pour signifier fausses aparences.

Pardon, mon cher frère de tout ce verbiage. Je suis bien aise qu'il n'y ait point de nouvelles à Paris. Je dis toujours comme dans l'Ecossaise, moins de nouvelles, moins de sottises. Je vous embrasse bien tendrement.

Ecr: l'inf:

Je dois des réponses à frère Grimm et à frère Thiriot; mais je n'ai pas un moment à moi.