4e avril 1764
J'ai vu, mes anges, de fort bons vers de m. de la Harpe sur les talents de madelle Dumenil, et sur les talents acquis de melle Clairon.
Je me souviens qu'autrefois cette petite innocente de Gaussin me disait tout doucement: allez, allez, m
elle
Clairon sera une grande actrice, mais ne fera jamais pleurer.
Mais quoi! est il possible que melle Clairon ne dise pas, Empêchez moi surtout de le revoir jamais, d'une manière à se faire claquer, mais claquer pendant un quart d'heure? On trouve qu'il n'y a pas assez d'amour dans son rôle; je maintiens, moi, que ce vers vaut toute une églogue. Allez, allez, la pièce est pleine d'intérêt, et voilà ce qui la soutient. Que quelque auteur s'avise un jour de mettre un bûcher et point d'intérêt dans sa pièce, comptez qu'on y jettera monsieur, pour réchauffer son ouvrage. Il faut qu'il y ait un grand appareil au spectacle, c'est mon avis; mais il faut que cet appareil fasse toujours une situation intéressante, et qui tienne les esprits en suspens. Tel est le 3e acte de Tancrede, tel est le 4e acte de Mahomet.
Tâchons de parler à la fois aux yeux, aux oreilles et à l'âme; on critiquera, mais ce ne sera qu'en pleurant. Je suis bien las des drames qui ne sont que des conversations, ils sont beaux, mais entre nous, ils sont un peu à la glace.
M. le maréchal de Richelieu est donc pour Bellecour. Son père était de la clique qui avait soutenu Pradon.
Je suis très fâché que mad. d'Argental ait pris médecine par nécessité, mais je serais plus fâché encore si elle l'avait prise sans nécessité, car c'est alors que les médecines font très grand mal. J'ai lu votre écriture tout courant, et sans hésiter un moment malgré toute la faiblesse de mes yeux. Mon cœur aime passionnément les caractères des deux anges. Envoyez moi, je vous prie, quand vous n'aurez rien à faire, toutes les critiques possibles d'Olympie. Qui sait si elles ne me piqueront pas d'honneur, et si à la fin je ne trouverai pas quelque chose de nouveau.
M. Gilbert de Voisin n'est il pas infiniment plus vieux que moi? J'ai une très mauvaise opinion de ce corps là, et je m'imagine qu'il pourrait bien m'aller juger incessamment dans l'autre monde; mais surtout que m. le duc de Praslin se débarrasse vite de sa goutte, et qu'il songe bien sérieusement à sa santé. Je vous le répète, le ministère est un fardeau affreux quand on souffre.
On m'avait mandé que mad. de Pompadour était absolument hors d'affaire, mais ce que vous me dites le 29 mars, me donne beaucoup de crainte; je lui avais fait mon compliment sur sa convalescence, je suis bien fâché d'avoir eu tort. Mille tendres respects; tout Ferney baise le bout des ailes de mes anges.