[c. September 1763]
J'ai mis sous les vers du Portrait de Pierre le grand que Mr de Voltaire m'a envoyé par Mr de Balk, Que Dieu le veuille.
J'ai comise un péché mortel en recevant la lettre addressée au géant, j'ai quitté un tas de suppliques, j'ai retardé la fortune de plusieurs persones, tant j'étois avide de la lire, je n'en ai pas même eue du repentir, il n'i a point de Casuiste dans mes Vastes états, je n'en étoit pas bien fâchée jusqu'ici, mais voyant le besoin d'être ramenée à mon devoir, je trouvoi qu'il n'y avoit pas de meilleur moyen que de céder au tourbillon qui m'emportoit à prendre la plume pour prier Mr de V. très sérieusement de ne plus me louer avant que je l'aye mérité. Sa réputation et la miene y sont interressé. Il dira qu'il ne tient qu'à moi de m'en rendre digne, mais en vérité dans l'imensité de la Russie, un an n'est qu'un jour, comme mille ans le sont devant le seigneur. Voilà mon excuse de n'avoir pas fait encore tout le bien que j'aurais dû.
Je répondrai à la prophétie de Jean Jacques Rousseau en lui donant j'espère aussi long-tems que je vivrai fort impoliment un démenti. Voilà mon intention, reste à voir les effet; j'aurai envie de dire priés Dieu pour moi après cela.
J'ai reçue aussi avec beaucoup de reconoissance le second tome de Pierre le grand. Si dans le tems qu'elle fut comencé j'avois été ce que je suis j'aurai fourni bien d'autres mémoires. Il est vrai qu'on ne peut assés s'étoner du génie de ce grand home; je m'en vais faire imprimer ses lettres originales que j'ai ordoné de ramasser de touttes part. Il s'y peint. Ce qu'il y avoit de plus beau dans son Caractère, s'est que quelque Colérique qu'il fût, la vérité avoit toujours sur lui un ascendant infaillible, et pour cela seul il mériteroit je pense une statue.
Come ceçi ne sera point admiré ni publié par conséquend, j'ajouterés fort naturellement que le papier pomponé m'a fait un plaisir sensible; s'est la première fois de ma Vie que je regrete de ne point faire des vers, pour répondre à ceux là. Je me réduirai dont à dire en prose, que j'ai les plus grandes obligations à l'Auteur. Depuis que je disposai de mon tems jusqu'en 1746 je ne lisais que des romans. Par hazard me tombèrent en mains ses ouvrages, je ne pouvais cesser de les lire, et je ne voulai plus d'aucun livre qui ne fût aussi bien écrit, et où il n'y eût autant à profiter. Mais où les trouver? Je recomençais dont de nouveau, et je tâchai de trouver des livres au moins qui m'instruisissent de tout ce que ses ouvrages m'avoit doné la plus vive envie de savoir. Cependant je retournai toujours à ce premier moteur de mon goût et de mon plus cher amusement, et assurément si j'ai quelques conoissances s'est à lui seul que je les dois. Mais puisqu'il défend par respect de me dire qu'il baise mon billet, il faut par bienséance lui laisser ignorer que j'ai de l'entousiasme pour ses ouvrages. Je lis àprésent l'Histoire générale. Je voudrais savoir presque chaque page par cœur, en attendant les Œuvres du gr: Corneille pour lesquelles j'espère que la lettre de change est expédié.