2 mars [1762] à Ferney
O mes anges, vous aurez incessamment Acante conforme à la prud'homie de la police, et aux volontez du parterre, volontez qui sont souvent des caprices, aux quelles il ne faut pas se rendre aveuglément, mais qu'il ne faut pas choquer avec trop d'obstination.
A L'égard de Cassandre, nous avons du temps, et si mon ours de six jours demande six mois entiers pour être léché, nous lécherons six mois entiers sans plaindre notre peine puisque vous ne la plaignez pas. Vous êtes, vous di-je, d'impitoiables anges. Vous ne faittes pas seulement attention que j'ay tout Pierre Corneille sur les bras, et encor l'histoire générale des sottises des hommes depuis Charlemagne jusqu'à notre temps, que je suis vieux et malade, et que je me tue pour une nation un peu ingratte. Mais mes anges me tiennent lieu de ma nation.
Vous ne m'avez rien dit de la façon dont le public a appliqué certains vers d'Aménaïde au maréchal de Broglie.
Vous ne daignez pas me rassurer sur la prétendue intelligence de Pierre trois et de Frederic trois. J'y suis pourtant très intéressé, en qualité d'historiografe russe. Mais vous ne me croyez que citoien des fauxbourgs d'Ephese. Vous savez que ma chère impératrice Elisabeth avait souscrit 200 exemplaires pour Marie Corneille.
Vous ne me dites rien non plus du parlement de Bourgogne qui s'est avisé aussi de cesser de rendre justice pour faire dépit au roy, qui sans doute est fort affligé qu'on ne juge point mes procez. Le monde est bien fou mes chers anges. Pr le parlement de Toulouse, il juge. Il vient de condamner un ministre de mes amis à être pendu, trois gentilshommes à être décapitez et cinq ou six bourgeois aux galères, le tout pour avoir chanté des chansons de David. Ce parlement de Toulouse n'aime pas les mauvais vers.
Permettez que je joigne icy un petit billet pour le Kain.
Je baise vos ailes avec componction.
V.