1760-06-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Octavie Durey de Mesnières.

Je réponds si tard à vôtre Lettre, Madame, que vous êtes en droit de me Croire coupable de la belle intelligence que vous me suposez avec mr Palissot de Montenoy; je suis cependant très innocent; il m'a même outragé dans sa préface, ou postface, en prétendant que je vaux mieux que ceux qu'il offense; je serais digne de marcher à quatre pattes si je ne sentais pas toute la supériorité des lumières, et des profondes connaissances de messrs d'Alembert et Diderot; je les regarde comme les premiers hommes du siècle; jamais mr Palissot ne m'a envoïé son manuscrit, j'aurais fait l'impossible pour l'empècher d'être l'Aristophane des Socrates; il m'a envoyé l'ouvrage imprimé, et je lui ai répondu les mêmes choses que je vous écris; le stile de la pièce est bon, mais le sujet de la pièce est horrible; il représente les plus honnêtes gens du monde, enseignant à voler dans la pôche.
Voilà précisément Ce que je luis ai mandé.

Ouï madame, la maison en question est très près des Délices mais vous en ètes bien loin; je n'ai pas plus de foi aux dames qui disent qu'elles quitteront Paris, qu'à celles qui prétendent quitter l'amour; On ne peut venir dans l'enceinte de nos montagnes que par un coup de la grâce; je suis converti, mais je ne me flatte pas de faire des conversions; il faut avoir furieusement compté avec soi même pour se voüer à la retraitte. Tout ce que je peux faire, Madame, c'est de prier Dieu pour vous. Puisse t'il vous inspirer autant de haine pour les sottises de Paris, que vous m'inspirez d'estime pour vôtre mérite.