[c. 10 April 1759]
Monsieur,
J'ay l'honneur de vous envoyer une Lettre de Monsieur de Voltaire qui a été enchanté de vos desseins & qui m'a donné un petit mémoire des sujets pour ses Tragédies & je le joins ici.
Voici une assignation de 189lt sur monsr. Robin, qui vous restent deus suivant vr͞e compte dont je vous remercie. Il sera bien nécessaire que mr. Liotard peigne M. de V., tant pour reformer la figure du frontispîce, que pour faire graver un beau portrait à la tête de l'édition. Les 4 Vers de Monsieur de Marmontel sont bien dignes de luy, je n'en ai jamais leu qui renfermassent autant de choses, mais je craindrois que le Roy de Prusse ne fût pas content de l'Epithète de Mecene, quoiqu'à près tout ce que je sais, je la trouve on ne peut pas plus juste. Monsieur de Voltaire doit avoir écrit à M. de Marmontel, du moins je le crois. Je suis tous les jours un peu plus embarrassé pour la gravûre des petits desseins. Mr. Balechou à qui j'avois envoié le premier m'a promis de l'achever, mais un Dominicain de ses Amis l'ayant veu travailler, s'est doutté de ce que ce pouvoit être, & l'a prié de ne pas aller plus loin. J'ai remis les 15 autres à Monsieur de Florian qui vient de partir avec Made Fontaine, nièce de M. de V. Ils doivent arriver Vendredi prochain à Paris; il s'est chargé de prendre conseil de vous, & sans vous commettre le moins du monde, pour savoir à qui il conviendra de s'addresser pour les gravûres, & je vous demande en grâce de vouloir bien luy indiquer & les personnes & les prix, en choisissant sur tout, gens dont la bonne foi ne soit pas douteuse; vous rendrés service à l'auteur, à l'Editeur & au Public; l'ouvrage est depuis longtemps dans ma cassette, bien & deument fini, j'ai fort à cœur de le publier: j'avois pensé à envoier ces desseins en Hollande, mais l'on peut si peu compter sur la fidélité de ces Ms là, & si fort sur la cupidité peu scrupuleuse des Libraires, que j'y ai renoncé. Dès que les petits desseins seront gravez, nous procéderons tout de suitte à la gravûre des grands. Le petit dessein où je disois qu'il y avoit à retoucher est celui du chant de Dorothée; le brave Dunois qui est debout devant le bûcher, n'a point l'air assez noble. Voilà tout.
J'ai demandé plusieurs fois la notte de tout ce que contenoit l'atlas de M. Danville avec le titre des Mémoires qui sont joints à ses cartes, vous m'obligeriez fort de me la procurer; & de luy faire agréer mes très humbles Respects.
Vous avez sans doutte un droit bien acquis sur tout ce que publiera M. de Voltaire, mais Candide n'est pas reconnu; je badine aussi comme vous sentez bien & je charge mr. Robin de vs remettre d'abord un exempl. de tout ce que nous pourrons luy envoyer, notamment l'ode p[our] Madame de Bareith avec une piquante dissertation qui partira samedi prochain Dieu aydant.
M. de V. reçeut il y a quelques jours une lettre de Mr Granger, Libraire à Paris, qui accompagnoit un projet de souscription pour une édition 4. dont il se propose de donner 3 feuilles par semaine; cette édition doit être ornée de figures superbes, de vignettes, culs de La[m]pes &c. & pour qu'on l'achepte à bon marché il la vend un louïs le vollume! M. de V. comme de raison a trouvé ridicule l'idée qu'on pût exécuter une édition complette de ses oeuvres à cent lieües de lui, sans savoir s'il n'y aura pas de grands changemens à la partie historique, de grandes augmentations aux morceaux de Littérature & s'il n'y aura pas encore 3 ou 4. Tragédies &c. D'ailleurs l'intention de M. de V. est que nous allions en avant vous & moi; il en écrit dans cet esprit là à M. Granger, qui seurement n'auroit pas pour cette entreprise la confiance du public. Faittes-moi le plaisir touttefois de me marquer ce que vous savez de cette affaire & ce qu'on en pense.
Bonjour mon très cher Monsieur, soyez persuadé de mon zèle [et] du plaisir que j'ai à être lié d'affaires avec un homme comme vous & des sentimens distinguéz avec lesquels j'ai l'honnr d'Etre.
Vôtre très humble & très obéïssant serviteur
Cramer l'ainé
Mon frère me charge de vous présenter ses obéïssances.
Madame Fontaine que vous me fairiés grand plaisir de voir demeure Rüe St Antoine, entre la Rüe percée, & la Rüe Fourcy. M. de Florian est chez elle tous les jours.