à Liege ce 30^e Mars 1759

Je vous ai adressé, Monsieur, un ballot contenant 100 exemplaires des Mœurs du siècle:vous me marqués par votre Lettre du 6^e de ce mois que vous en prendrés 50 s'il n'y a que vous qui en débite à Amsterdam: suivant cela, j'en ai refusé à MM. Schreuder et Mortier. A L'egard des 50 restants, je vous prie avec toute L'instance possible de les faire passer pour mon compte, sçavoir 25 à Hambourg à M^rs Petit et Dumoutier, et 25 à M. Philibert à Coppenhague, en chargeant ces paquets de port et des débourcés au prorata de ce qu'il vous en aura coûté, comme cela est juste. Si par hazard vous vouliés garder le tout pour vôtre compte, marqués le moi tout de suite, afin que je fasse d'ici L'expédition pour ces Messieurs; je suis sûr du débit de cet ouvrage, il m'en reste très peu, et je n'ai pu en fournir au s^r Bassompierre parceque le peu que j'en ai est réservé pour le détail. La vente va très bien: vous avés eu les premiers exemplaires. Il se peut bien que M^r Suard se rencontre avec moi, puisque nous avons puisé dans la même source, mais ce qu'il fera, ne nuira pas à ce que j'ay fait; je crois même qu'en changeant le titre, et en retirant les deux contes de Voltaire vous pourriés faire deux Tomes à la Bibliothèque de Campagne de ceux que M^r Suard ne vous aura point fournis pour le 13^e vol. Que pensés vous de cette idée? voulés vous que je vous L'exécute? Nous nous arrangerions ensemble; rien de plus aisé, je ne demande qu'à faire aller mes presses; aujourd'hui j'en ai trois, et des ouvriers à proportion, ce qui excite un peu la jalousie de quelques imprimeurs de cette ville; mais je ne suis pas dans le cas de faire ce qu'ils font; ainsi ils ont tort d'en être jaloux.

A L'Egard du prix des Mœurs du siècle; il est comptant de 3^lt 15^s Les trois volumes, et de 6^lt pour les particuliers. Un libraire de Lyon qui en a pris 250 exemplaires Les paye cela, c'est M^r de La Roche, vous le Connoissés, informés vous en. Vous vous payerés sur cette expédition du restant du Compte; cela est très juste.

Je vous ai dit moi même qu'il falloit prendre dans les mercures ce que Marmontel a dit au sujet de Rousseau sur les spectacles; il y a encore de bonnes choses éparses, mais il faut en faire un bon choix et les rédiger; avec cela vous ferés un excellent recueil: M^r Suard est bien en état de remplir cet objet; je vous conseille de vous laisser guider par lui.

J'ay oublié de joindre à votre envoy un exemplaire des Moeurs du siècle par M^r Martel; je vous prie de lui en donner un que je remplacerai ou dont je vous tiendrai compte; ce sera comme vous le voudrés. Engagés le à annoncer cet ouvrage de la manière qu'il convient, après, toutes fois, qu'il y aura jetté les yeux, car je ne veux point compromettre son goût ni ses Lumiéres: je suis moralement assuré qu'il en sera content. Priés Le de donner cette annonce le plutôt qu'il lui sera possible.

J'ay actuellement sous presse Candide, Roman de Voltaire, dumoins sa touche y est. Il sera prêt dans 5 jours: il portera 240 pages petit in 12: je vous L'offre en feuille à 12^s de France. Cet ouvrage a une vogue Etonnante. Si vous voulez vous aurés des premiers exemplaires: mais comment faire pour vous faire parvenir promptement les choses, et pour les recevoir de même? car c'est une abomination que de trainer si Longtems dans les chemins les ballots; celui du papier que m'adresse La v^e Fouquet arrive dans ce moment; je n'ai pas le tems de L'Examiner; il étoit en chemin depuis le 28 février; quelle misère! J'écrirai au premier jour à cette dame.

Tâchés de trouver quelque expédient pour diminuer le prix du port de mes journaux; les paquets que je reçois ici de deux ou trois volumes me coûtent aussi cher de port que d'achast: comment faire?

Le jeu des Dez harmonique se vend deux escalins d'ici ou 25^s de France: cette misère a une très grande vogue par sa singularité.

On ne vend pas ici des pièces de Théâtre, ni aux environs, Duchesne m'en envoye six exemplaires dont je ne sçais que faire.

J'ay l'honneur d'Etre très sincèrement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Rousseau