1759-03-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Mon cher ami, vos tremblements sont partis, et je partiray moy le plus tôt que je pourai pour venir remercier Mr de Freydenrik et mrs les curateurs, et surtout vous. Made Denis et moy nous ferons ce voiage agréable le plus tôt que nous pourons.

Nous sommes fort loin de craindre les brouillons que nous connaissons très bien; et je suis très en état de ne craindre personne. Hélas mon amy j'ay plus de terrain que Geneve et je suis le maître chez moy. Le chef des polissons est mon vassal. J'ay des crénaux et des [ . . .] et peutêtre avant qu'il soit peu Le peuple dont vous me parlez aura besoin de moy. En attendant il gagne honnétement avec moy et il est très soumis dans mon antichambre. C'est un mr Desmal, homme de baucoup d'esprit, qui a fait l'optimisme ou Candide et qui se moque encor plus que moy des sots. Mon cher ami vivons tranquilles et aussi heureux qu'il est possible dans notre court pélerinage.

Les jesuittes échaperont, n'en doutez pas; et peutêtre dans un an ils seront tout puissants en Portugal comme ils le furent en France après l'assassinat de Henri 4.

Le Roy de Prusse m'a écrit des choses bien extraordinaires. C'est un singulier homme, et ce siècle est un étrange siècle.

On dit que Haller se repent baucoup d'avoir montré mes lettres et les siennes. Il a raison de se repentir.