6 mars [1759]

Premièrement mon cher ami vous saurez qu'en fait de vins je suis le plus malheureux homme qui respire.
Les 6 tonnaux de Languedoc sont arrivez absolument gâtez. Quel est le languedochien qui les a vendus? sont ils payez? devez vous les payer? que coûtent ils? Heureusement il y a deux tonnaux pour les jésuittes: je n'essuieray que les deux tiers de la perte. Mais ayez la bonté de m'envoyer le compte, afin que je fasse aussi mon compte avec les révérends pères avant que le peuple leur jette des pierres au lieu d'oranges du Portugal.

Secondement je me ruine, je le sçais bien: mais il m'a fallu absolument être seigneur de Tourney et de Fernex parce qu'étant âgé de soixante et cinq ans, il arrivera infailliblem͞t que les prêtres de Baal dans trente ou quarante ans d'icy voudront me faire brûler comme Servet et Antoine, et que je veux être en état de les faire pendre aux crénaux de mes châtaux. J'aime fort les pays libres, mais j'aime encor mieux être le maitre chez moy.

En attendant que l'on soit pendu ou moy brûlé, je vous envoye mon cher correspondant une petite lettre de change pour le dix may de trente mille livres tournois, et vous en aurez encor une d'environ 14 m. vers la fin du mois où nous sommes. Ce sont petits bouche-trous que cela. Mais que je vive, et vous aurez gros bouche-trous. Cependant j'ay environ cent personnes au moins à nourrir et à payer par jour et au lieu de 500 louis d'or il m'en faudra mille et le plus tôt sera le mieux, et le 1^er avril sera plus expédient que le six^ème. Je vous remercie avec tendresse et honte de l'huile de lin, blanc de céruse, cannelle et de la boutique de droguiste que je vais lever par vos bontez. Je vais barbouiller tout le pays de Gex.

Si quid novi touchant la compagnie de Jesu n'oubliez pas le bon papiste et le bon calviniste votre amy

V.