1758-11-06, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

J'eus l'honneur de vous mander le 30 d’8bre, illustre et cher amy, que le séjour ordinaire de vostre petit marquis étoit en son château de la Motte prés d'Argenton en Basse Normandie, que je luy avois écrit aussitost je sus où le prendre et que je n'en avois pas eu de réponse; je vous promettay d'aller incessament à Roüen pour y chercher quelqu'ancien procur.
le moins malhonneste que je pourois trouver, qui en faveur de nostre ancienne connoissance se chargea de vostre affaire, et de la faire exécuter à Argenton par quelque damné de ses confrères.

Enfin je reçois avant hier une lettre du sr. de Lezeau, que ma Lettre, après avoir cherché en vain dans ses domaines bas normands a enfin trouvé à Paris à l'hôtel de Chatillon, rüe de Tournon, où il est pour consulter une maladie de sa femme.

Il me paroit aussi surpris que fasché qu'entre les deux son receveur et son homme d'affaires à qui, continue t'il, vous avés écrit plusieurs fois et qui luy passe ordinairement en compte l'argent qu'il vous envoye, ait discontinué de vous payer.

Il ne peut attribuer le retardement de ces payemens qu'aux dettes de la très mauvaise succession de nostre Président de Berniere, auxquels ce le Doux aura été obligé de satisfaire.

Il va dit'il luy mander à Roüen, où il le croit, de faire cesser vos très justes plaintes, auxquelles personellement il n'a pas donné lieu. Ne diroit'on pas que c'est quelqu'un de vos Princes qui charge son intendt le ruiner, luy et ses créanciers, pourvu qu'il n'en entende plus parler?

A travers toutes ces manières ridicules, je vois qu'il est plus sot que méchant; car toute de suite il m'a dit l'adresse de le Doux à Roüen, rüe de la Cigogne, chés un nommé Gouaislin, maitre de Pension. Il me prie de l'y voir et de m'aranger avec luy pour les payemens qu'il a [à] vous faire; vous jugés bien que je n'y manqueray pas, ce sont l'objet de mon voyage; et je vous promets qu'avant [le] 15ème je vous rendray compte de cette entrevüe; vous pouvés en attendant écrire et au maitre et au valet dont je vous donne icy les adresses, et à vostre plénipotentiaire, si vous jugés àpropos, de luy donner quelques nouvelles instructions.

On atend avec la plus grande impatience les résultats de la défaite du Roy de Prusse par le taciturn mal Daun. Si la Saxe n'est pas délivrée, la catastrophe de l'Attile de l'Allemagne n'est pas si grande qu'on l'a dite; on juge d'une bataille comme de la majeure d'un argument par les conséquences qui s'en suivent; voilà l'hyver qui s'aprochent, mais aussi les Russes avec des manteaux fourés; ce sont des chasseurs endurcis au froid qui suivront leur renard à travers les neiges.

Tranquilisés vous, comme vous savés faire, sans estre oisif, multa super foco ligna reponent&c. et ne cessés jamais d'avoir de l'amitié pour qui vous adore! Le traité d'Helvetius sur l'esprit, n'en montre guères, du moins de celuy qui mène à rendre l'auteur heureux. C'est, ce me semble, un Rabachage, de tout ce qui a été dit par Montesquieu, l'ami des hommes&c., aussi en a t'il fait amende honorable la corde au cou et les genoux dans les crotes &c.

Je demande moy pardon à mde Denis de n'avoir point eu l'honneur de luy écrire depuis six mois. Permettés moy de luy présenter mes homages et mes excuses.