1758-01-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Théodore Tronchin.

J'ay vu mon cher Esculape votre lettreà madame Denis.
Je ne crois point du tout que M. Dalembert renonce à l'enciclopédie. Il se dégoûte quelquefois, mais il se rengage aisément. Ce grand ouvrage a besoin de luy. On ne soufrira pas qu'il l'abandonne. Je serai encor plus surpris qu'il se rétracte sur l'article Geneve. Les rétractations étaient bonnes pour st Augustin mais non pas pour luy. Je connais son caractère. Si on se plaint trop fort, il citera un certain catéchisme de votre professeur de téologie où il est dit que la révélation a son utilité et où l'on ne trouve pas un mot de la sainte, adorable et individuelle trinité. Et quand il soutiendra qu'il n'a point révélé un secret, qu'il a rendu un compte public d'une opinion publique, on sera un peu empêché.

J'ignore jusqu'à quel point vous avez du plaisir dans cette affaire, et quel degré de ridicule est jetté sur le col tors d'un tartuffe. Ce ne sont pas là mes affaires. Vous êtes le secrétaire d'un comité de pères de l'église. Vous avez les siflets à ménager pour eux. Vous êtes prudent; et je n'ay rien à vous dire.

Mais si j'étais leur ami, si je voulais les servir, je leur conseillerais de faire eux mesmes un article de Lelio Socini, pour la lettre L du tome prochain, d'expliquer la trinité bravement, et de dire qu'ils la croyent, et qu'on s'est trompé à l'article Genève. Cela finirait tout en douceur. Il est vrai qu'ils pouraient renier un peu leur foy, à ce qu'on dit, et qu'on ne les en croira pas, mais aussi il faut avouer qu'ils sont dans le cas ou de soutenir hardiment le socinianisme, ou de trahir leur conscience; cela est douloureux; et je compatis à leur état.

Interim bibe et ride.