[c. 10 July 1756]
Mon héros je [?vais] aussi brûler de la poudre mais je tirerai moins de fusées que vous n'avez tiré de coups de canon.
Ma profétie a été acomplie encor plus tôt que je ne croiais, en dépit des malins qui niaient que je connusse l'avenir, et que vous en disposassiez si bien. Je vous vois d'icy tout raïonant de gloire.
Ce n'est plus aux Anacréons
De chanter avec vous à table,
La molesse de leurs chansons
N'aurait plus rien de convenable
A vos illustres actions.
Il n'apartient plus qu'aux Pindares
De suivre vos fiers compagnons
Aux assauts de cent bastions
Devers les iles Baléares.
J'attends leurs sublimes écrits
Et s'il est vrai, comme il peut l'être,
Qu'il soit parmi vos baux esprits
Peu de Pindares dans Paris,
Vos succès en feront renaitre.
Ils diront [qu'u]n roi modéré
Vit longtemps avec patience
L'attentat inconsidéré
D'un peuple un peu trop enivré
De sa maritime puissance;
Qu'on a sagement préparé
La plus légitime vangeance;
Et qu'enfin l'honneur de la France
Par vos exploits est assuré.
Mais pour moi dans ma décadence,
Faible et sans voix je me tairai.
Jamais je ne me mélerai
De ces querelles passagères.
Je sçai qu'aux marins d'Albion
Vous reprochez avec raison
Quelques procédez de corsaires.
Ce ne sont pas là mes affaires.
Milton, Pope, Suift, Adisson,
Ce sage Lok, ce Grand Neuton,
Sont toujours mes dieux tutélaires.
Deux peuples en valeur égaux
Dans tous les temps seront rivaux,
Mais les philosophes sont frères.
Vos ministres par leurs traittez
Ont assujéti la fortune:
Vos vaissaux de héros montez
Ont battu les fils de Neptune;
Une prudence peu commune
A conduit vos prospéritez,
Mais la politique et les armes
Ne font pas mes félicitez.
Croiez qu'il est encor des charmes
Sous les berceaux que j'ai plantez,
Je vis en paix, peutêtre en sage
Entre ma vigne et mes figuiers,
Pour embellir mon hermitage
Envoiez moy de vos lauriers:
Je dormirai sous leur ombrage.
V.