1755-05-02, de Louis Eugene von Württemberg, duke of Württemberg à Voltaire [François Marie Arouet].

Le porteur de cette lettre, monsieur, est un garçon auquel je m'intéresse sincèrement.
Il s'appelle Fierville, et il est attaché à la cour de son altesse royale madame la margrave de Bareith. C'est un très bon acteur, et qui s'est surtout appliqué à remplir les rôles principaux de vos tragédies. Il vous a étudié avec beaucoup de soin, et il m'a demandé une lettre pour vous, que je lui ai accordée avec bien du plaisir.

Je suis dans la douleur la plus profonde. Naguère que d'Han…, par sa mauvaise conduite, s'est montré indigne de l'opinion que j'avais conçue de lui; je dis mauvaise conduite pour n'en pas dire plus; et aujourd'hui je viens de perdre un ami, qui était le vôtre; un homme dont les connaissances étaient aussi étendues, le génie aussi élevé que son âme était simple: m. de Lironcourt est mort. Je l'ai toujours regardé comme une machine merveilleuse; toute la nature était rassemblée dans sa tête. O vous qui êtes sensible, jugez de mon affliction! Il est mort le moment après m'avoir rendu les plus grands services. Il laisse une famille nombreuse, sans bien, désolée, et son malheur serait affreux, si elle n'était appuyée du plus noble, du plus généreux, du plus aimable des hommes. Quand je vous dirai que ce protecteur est m. le duc de Nivernois, vous cesserez de la plaindre. Oui, les soins officieux qu'il daigne prendre pour elle, m'attachent à lui pour toujours. Il est digne d'être aimé de vous; mais je finis, car la douleur et l'admiration m'empêchent également de vous en dire davantage.

Je vous aime du fond de mon cœur.

Louis Eugene, duc de Virtemberg