Colmar 26^e 7^bre 1753

Madame,

J'aurois disputté à tout le monde l'honneur et le plaisir de loger mons^r de Voltaire et sa suitte, si j'avois été en scituation de le faire; ma maison étant un peu étroitte je ne puis lui offrir chez moi, qu'une chambre meublée, et un pöele attenant: cela seroit suffisant pour sa personne, mais comme j'ai conçû qu'il ne se sépareroit pas volontiers de ses gens, et qu'ainsi je ne pouvois pas compter sur le plaisir très pur qu'il m'eût fait en acceptant mes offres, je lui ai cherché un logement tant pour lui que pour les deux personnes qui l'accompagnent.
mad^e Goll, nièce de m^r de Crouzaz, professeur à Lausanne, lui destine ses appartemens qui sont beaux et très sains. Il seroit fort nécessaire que je fûsse averti du jour du départ de m^r de Voltaire pour que tout fût préparé au moment de son arrivée ici. Je volerai à sa rencontre jusques à Scelestat, et je suis enchanté par avance du bonheur que j'aurai de le voir; je serois encore plus comblé de joïe, si je pouvois lui être utile dans mon ministére, cet événement seroit cause que je Compterois pour rien tout l'ennui que m'a Causé la sèche étude des loix.

Ne vous inquiettez pas madame au sujet de l'Echéance de vôtre lettre de change qui m'a été communiquée par m^r Le p^r Président. Comme ces sortes d'Engagement ne portent aucunne exécution parée, laissez agir le porteur de la lettre. Tout ce qu'il peut faire quant àprésent, se réduit à un protest. Avant qu'il ne puisse agir en justice et obtenir arrêt Contre vous, l'affaire sera terminée, car le retour de m^r le baron de Hastatt est prochain, ainsi nous lui ferons renouveller l'Engagement et l'on vous remettra vôtre billet.

Je ne doutte pas que vous n'entendiez mille horreurs oû vous êtes, mais il faut laisser siffler les vipères, et se mettre en sûreté contre leur venin: j'ai obtenû arrêt aujourd'hui pour le baron de Hastatt qui ordonne la Clôture de l'Inventaire, et qui condamne et par corps les détempteurs des titres, papiers et documens de la succession, à les remettre Entre les mains d'un notaire pour être inventoriés; cet arrêt est plus sérieux que le premier, nous verrons comment il sera reçû par ces messieurs.

J'ai l'honneur d'être.