1752-05-11, de Jean Henri Samuel Formey à Voltaire [François Marie Arouet].

Votre procédé, Monsieur, à mon égard me paroit noble & généreux; et je serois inexcusable de n'y pas répondre.
J'ai fondé le manet alta mente repostum sur ce qu'il y a plus d'un an, un Ami m'ayant averti que feu La Mettrie vouloit me desservir auprès de vous, en se servant d'un passage de la bibliothèque germanique qui pouvoit vous désobliger, je vous en écrivis, et que vous me répondites d'une manière satisfaisante, et qui me fit croire que vous usiez de l'indulgence que je vous avois demandée pour une faute dont je vais vous rendre un compte plus exact. Depuis, en me demandant de mes Journaux à emprunter, vous me marquâtes par un petit Billet de vous envoyer, fut-ce même ceux où vous étiez attaqué. Je'vous répondis, en vous envoyantla Bibliothèque Germ. que jamais dans les Journaux qui portoient mon nom je ne vous avois attaqué; mais je compris qu'il y avoit un levain de rancune. Vous pouvez penser que la Lettre d'avanthier a renouvelée ces idées, et m'a donné tout lieu de croire que vous vouliez me faire d'une chose que je regardois come avouée & pardonnée une offense irrémissible.

A prèsent l'affaire change de face. Vous me dites que c'est depuis deux ou trois jours qu'on vous a fait rapport du passage en question. Ceux qui l'ont fait n'ont pu qu'avoir un dessein formel de me nuire, puisqu'ils me font dire ce à quoi je n'ai jamais pensé, ni pû penser, que votre Henriade soit tirée d'un Poëme de Clovis que je vous proteste n'avoir jamais connu. L'endroit que je vous ai dénoncé moi-même est écrit il y a deux ans et demi, et imprimé dans les mois de Juillet et août 1759. Aucun de vos ouvrages n'y est désigné en particulier; et ce n'est qu'une mauvaise saillie qui vous attribuë d'avoir disposé en souverain de toutes les richesses des autres Auteurs. J'ai cru par ma conduite, depuis que j'ai l'honneur de vous connoitre, avoir réparé cette faute, et vous avoir témoigné un véritable attachement à votre persome et à vos intérêts. Ce n'est par aucune bassesse d'âme que j'ai agi de la sorte; et je n'ay fais entrer pour rien votre séjour à Berlin, et votre situation auprès du Roi: il me reste assez de philosophie pour ne rien craindre des événemens qui pourroient intéresser ma petite fortune, & les quatre jours qui me restent à vivre: mais je vous ai vû & aimé, lû et sincèrement goûté, et de vaines impressions que ce déluge de Critiques qui ont été répanduës de tout tems contre vous avoient produites se sont entièrement effacées. D'ailleurs à plusieurs endroits de bien des Livres que pour mes péchés j'ai eu la folie d'écrire, je vous ai loüé avec un véritable zèle, et par la seule force de la vêrité. Si vous croyez après cela que je vous doive encore quelque genre de réparation, vous n'avez qu'à parler, je ne vous le refuserai point, tant parce que j'ai eu un tort effectif (mais un tort d'esprit, bien différent de celui du cœur qui seroit inexcusable, si j'avois agi de la sorte depuis nos liaisons personelles), que parce que je fais un véritable cas de votre amitié et que je serois au désespoir de la perdre. Puis que vous m'offrez donc d'oublier pour jamais ce que j'ai écrit dans un cas et avec des circonstances bien moins aggravantes qu'on n'a voulu vous le persuader, je vous prens au mot, soit que vous le fassiez gratüitement, soit que vous exigiez des conditions qui ne pourront être qu'équitables. C'est dans ces dispositions d'esprit & de cœur que je serai tout ma vie,

Monsieur

Votre très humble & très obéissant serviteur

Formey