1752-02-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Lambert.

Je ne peux vous écrire de ma main mon cher Lambert, je suis trop malade, & je crains bien de ne plus vous revoir. Ce serait pour moi une consolation si vous pouviez faire une jolie édition du siècle de Louis XIV, que l'on commence à débiter en Allemagne. C'est un monument que j'ai voulu laisser à la gloire de ma patrie, et pour le rendre moins indigne d'elle j'ai corrigé avec tout le soin dont mes maladies peuvent me laisser encor capable un éxemplaire que j'ai envoié à mr. de Malserbe. Je ne doute pas que vous n'alliez trouver madame de Nise & que vous ne fassiez les démarches les plus vives de tout côté pour obtenir au moins une permission tacite qu'il serait bien étrange qu'on vous refusât. Vous représenterez sans doute qu'il vaut mieux que cet ouvrage paraisse en France bien corrigé que d'y venir des pais étrangers informe & plein de fautes, que d'ailleurs on ne pourra guères empêcher que les libraires de Lion & de Rouen ne l'impriment. Leur édition serait malheureusement conforme à l'étrangère, & ainsi il ne se multiplierait que de mauvaises copies d'un ouvrage assez important pour qu'on y ait plus d'égards. J'ose me flatter que ces réfléxions pourront faire quelque impression sur les personnes dont dépend cette affaire & que vous ne négligerez rien pour parvenir à un but si honorable.

J'apprends que l'on va jouer dans quelque tems Rome sauvée; quelque chose qui arrive il faudra que vous en donniez une édition particulière vers pâques; il y a une préface assez curieuse & assez intéressante que j'ai envoiée à madame Denis. Vous pourrez ensuite ajouter cette pièce à une nouvelle édition que j'espère que vous ferez de mes œuvres, car pour celle qui est sortie de votre presse, je crois qu'il faut y renoncer & la regarder désormais comme non avenuë. On y trouve les quatre premiers chapitres du siècle de Louis XIV, ce qui est un double emploi très vicieux. Il y manque de plus beaucoup de pièces curieuses que je n'ai pas été à portée de vous fournir, n'aiant pas été consulté par vous. Vous pourrez faire une édition très jolie en vous conformant en partie à celle de Dresde que l'on fait actuellement. Il y a beaucoup de morceaux nouveaux. J'ai corrigé avec grand soin toutes les piéces qui la composent. Il n'y a pas jusqu'à la Henriade où l'on ne trouve une centaine de nouveaux vers. Vous pourrez d'autant plus sûrement faire cette édition qu'il ne sortira plus de moi de nouveaux ouvrages & que mes maladies me mettent hors d'état de changer les anciens. Je fais bien mes compliments à tous vos amis & je vous embrasse de tout mon cœur. Je vous prie instamment d'envoier un exemplaire en feuille à mr de Lalleu, mon notaire. Il demeure rue ste croix de la Bertonnerie vis à vis de la rue Bourtibour. Adieu monsieur, je vous prie de me conserver votre amitié. Je n'ai encor reçu aucun paquet de vous.

Volt.