1750-10-25, de Charles Jean François Hénault à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Les marques de votre souvenir, mon cher confrère, me sont toujours infiniment précieuses, même lorsqu'elles sont fondées sur les nouvelles les moins invraisemblables.
Je ne suis pas historiographe: jamais cette pensée ne m'est venue et ce serait m'y prendre bien tard. Comment aurais je attendu jusqu'ici et si cette place m'avait été [?offerte] n'aurait ce pas dû être lorsqu'étant comme éteinte, on a cru la devoir faire revivre: c'aurait pu être alors qu'elle m'aurait convenu, mais que j'aille prendre la dépouille d'un autre c'est inusité, ce que je n'ai jamais imaginé. Lorsque Voltaire a abjuré la patrie et en a eu fait part, on a songé aux places qu'il laissait vacantes et plusieurs concurrents se sont présentés pour la place d'historiographe. Foncemagne s'est mis sur les rangs et il pouvait s'en flatter. Gresset a aussi demandé et l'un et l'autre se sont vu préférer Duclos. Aussi, mon cher confrère, en vous remerciant de tout mon cœur de l'honneur de votre souvenir, trouvez bon que je vous désabuse sur une nouvelle qui n'était entrée ici dans la tête de personne. Les exemples des grands hommes sont bien pernicieux. C'est vous, permettez moi le rapprochement, qui avez fondé la nouvelle colonie de Berlin, c'est à l'abri de votre nom que l'on a osé former de pareilles démarches et l'on a cru que l'on ne pouvait pas s'égarer sur les pas de m. de Maupertuis. Vous me rendez justice et vous savez tout ce que ma vaine éloquence a tenté pour vous faire abandonner une entreprise si décisive. Mon cœur vous parlait alors et en vérité c'était au nom d'un grand nombre d'amis que vous laissiez ici. La vie, toute courte qu'elle est, est encore bien longue pour souffrir sans regrets de tels partis. Je souhaite, mon cher confrère, pour votre bonheur que vous ne regardiez jamais ce côté là, mais vous ne devez pas me savoir mauvais gré d'en conserver à jamais le déplaisir parce qu'il est bien vrai que je vous aime autant que je vous estime. M. de Voltaire n'était plus gentilhomme ordinaire quand il est parti de ce pays ci et j'apprends que dans une gazette de Cologne on lui donne le titre d'ancien gentilhomme du roi très chrétien.