1747-10-16, de Marie Louise Denis à François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud.

Votre lettre est charmente et malgré toute l'indifférence que vous me reprochez elle m'a fait un plaisir extrême.
Non seulement je ne veux pas que vous mouriez pour me donner du plaisir, mais moi je meure d'envie de vous voir et suis tout à fait fâchée de n'être point à Paris, je travaille for peu et ne vois point ici les gens que j'aime. Le plan de ma comédie est fait à demeure et environ quatre vingt vers. C'est bien peu mais je n'ai pas un car d'eure à moi eccepté le tems que je prans sur mon someile. Cela me désespère.

Sans le Sopha il y a quatre jours que je vous aurais écrit mais deux femmes qui ne l'avoient jamais lu me l'ont volé et ne font que de me le rendre. Votre jalousie me divertit. Je suis ici avec deux tentes, trois cousines, un oncle qui n'est pas le véritable, un frère, une sœure et un beau frère et trois cousines. Il est plaisant qu'elle trouve à mordre sur de pareils sujets. Montigni est venu passer deux jours ici mais je n'ai pas eu en conscience la plus petite envie de lui plaire. Je ne connais plus que le plaisir de vous voir et de travailler.

Oui les muses feront le charme de ma vie,
Je le sçans, je me livre à leurs diveins transports.
Amour je te fuirai, mais s'il lui prent envie
De me donner des fers de braver les efforts
D'un coeur qui se deffend contre sa tiranie,
Qu'il choisisse ses traits ou je ne puis aimer.
Il peut sur le vulgaire à son gré s'essaier,
Enchaîner la constance avec la perfidie,
Joindre avec la beauté la noire jalousie,
Le mensonge et la fraude avec la vérité.
Je brave sa puissance et craint peu sa furie.
Non, mon coeur ne poura se donner qu'au génie
Et je sçans que c'est vous qui l'avez enchanté.

Pardonez moi si j'écris de mauvais vers alexandrins dans une lettre, mais comme je travaille continuelement à ma comédie je veux pendant quel que temps m'accoutumer à faire des vers de la même mesure affin de me fortifier et de ne point dérenger mon peti serveau féminin.

Mon frère a fait ici un sermon, il doit le prêcher le jour de la tousaint, cela nous divertira. Apropos de sermon comment va votre tragédie? Si vous n'y travaillez pas je croirai que vous ne m'aimez plus du tout. Ecrivez moi. Sçavez vous qu'il y aura du comique dans ma comédie? Dieu veuile que je fasse rire pourvu que se ne soit pas à mes dépans. Avez vous fait quelqu'arrengemens avec vos libraires? Vous sçavez combien je m'intéresse à tout ce qui vous touche. Le marquis Dargence est il à Paris? Je voudrais bien y être moi, mais je me trouve obligée de soutenir la gageure par ce que je suis ici au milieu de ma famille. Adieu, écrivez moi et contez sur ma plus tendre amitié.