1745-08-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.

Vous devez avoir reçu, monsieur, les prémices de l'édition du Louvre, telles que vous les voulez, simples et sans reliure: voilà comme il vous les faut pour Plombières, mais le roi en a fait relier un exemplaire pour votre bibliothèque de Paris, que je compte bien avoir l'honneur de vous présenter à votre retour.

Je vous ai fait une infidélité, en fait de livres. Je parlais, il y a quelques jours, à madame de Pompadour de votre charmant, de votre immortel abrégé de l'histoire de France; elle a plus lu à son âge qu'aucune vieille dame du pays où elle va régner, et où il est bien à désirer qu'elle règne. Elle avait lu presque tous les bons livres, hors le vôtre; elle craignait d'être obligée de l'apprendre par cœur. Je lui dis qu'elle en retiendrait bien des choses sans efforts, et surtout les caractères des rois, des ministres, et des siècles; qu'un coup d'œil lui rappellerait tout ce qu'elle sait de notre histoire, et lui apprendrait ce qu'elle ne sait point; elle m'ordonna de lui apporter, à mon premier voyage, ce livre aussi aimable que son auteur. Je ne marche jamais sans cet ouvrage. Je fis semblant d'envoyer à Paris, et après souper on lui apporte votre livre en beau maroquin, et à la première page était écrit:

Le voici ce livre vanté;
Les Grâces daignèrent l'écrire
Sous les yeux de la Vérité,
Et c'est aux Grâces de le lire.

&c. &c. &c. Il y en a davantage, mais je ne m'en souviens pas; je ne me souviens que de vos vers aimables où Corneille déshabille Psyché. Nous ne déshabillons personne dans notre fête. Cahusac pourrait bien n'être point joué, mais on donnera un magnifique ouvrage composé par m. Bonneval des menus, et mis en musique par Colin. Vous savez que le Sylphe réussit. Cela fait, ce me semble, un très joli spectacle; venez donc le voir. Peut on prendre toujours des eaux? Revenez dans ces belles demeures, où je ne souperai plus, mais où je vous ferai ma cour, si vous et moi sommes assez sages pour dîner.

Tortone est pris, le château non; mais tout le Canada est perdu pour nous; plus de morues, plus de castors. La paix, la paix! Je suis las de chanter les horreurs de la destruction. Oh! que les hommes sont fous, et que vous êtes charmant! Savez vous que je vous idolâtre?