3 avril [1741] Bruxelles
J'ai reçu aujourduy mon cher amy votre diamant qui n'est pas encor parfaitement taillé mais qui sera très brillant.
Croyez moy, commencez par achever la première épître, elle touche à la perfection et il manque baucoup à la seconde.
Votre première épître je vous le répète, sera un morceau admirable, sacrifiez tout pour la rendre digne de vous, donnez moy la joye de voir quelque chose de complet sorti de vos mains. Envoyez la moy dans un paquet un peu moins gros que celuy d'aujourduy. Il n'est plus besoin de page blanche. D'ailleurs quand vous en gardez un double, je puis aisément vous faire entendre mes petites réflexions. J'ay autant d'impatience de voir cette épître arondie, que votre maîtresse en a de vous voir arriver au rendez vous. Vous ne savez pas combien cette première épître sera belle, et moy je vous dis que les plus belles de Despreaux seront au dessous. Mais il faut travailler, il faut savoir sacrifier des vers, vous n'avez à craindre que votre abondance. Vous avez trop de sang, trop de substance; il faut vous saigner, et jeûner. Donnez de votre superflu aux petits esprits compassez qui sont si métodiques et si pauvres, et qui vont si droit dans un petit chemin sec et uni qui ne mène à rien. Vous devriez venir nous voir ce mois cy; je vous donne rendez vous à Lile, nous y ferons jouer Mahomet, la Noue le jouera, et vous en jugerez. Vous seriez bien aimable de vous arranger pour cette partie. Madame Du Chastellet vous adresse aux fermes générales un paquet par la poste de Bruxelles et deux autres par la poste de Lile, comptant que vous ne payez point de port. Ces paquets sont destinez pour Bremond. Elle compte vous écrire, et je vous avertis déjà qu'elle craint d'abuser de votre amitié.
J'ay peur que nous n'ayons pas raison contre Mairan dans le fonds, mais Mairan a un peu tort dans la forme, et madame du Chastelet méritoit mieux. Bonsoir mon cher poète philosophe, bonsoir aimable Apollon.