1740-06-21, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher ami, celui qui vous rendra cette lettre de ma part est l'homme de ma dernière épître.
Il vous rendra du vin d'Hongrie à la place de vos vers immortels, et ma mauvaise prose, au lieu de votre admirable philosophie. Je suis accablé et surchargé d'affaires; mais dès que j'aurai quelques moments de loisir, vous recevrez de moi les mêmes tributs que par le passé, et aux mêmes conditions. Je suis à la veille d'un enterrement, d'une augmentation, de beaucoup de voyages, et de soins auxquels mon devoir m'engage. Je vous demande excuse si ma lettre, et celle que vous avez reçue de moi depuis trois semaines se ressentent de quelque pesanteur; ce grand travail finira, et alors mon esprit pourra reprendre son élasticité naturelle.

Vous, le seul dieu qui m'inspirez,
Voltaire, en peu vous me verrez,
Libre de soins, d'inquiétudes,
Chanter vos vers et mes plaisirs;
Mais pour combler tous mes désirs,
Venez charmer nos solitudes.

C'est en tremblant que ma muse me dicte ce dernier vers; et je sais trop que l'amitié doit céder à l’ . . . .

Adieu, mon cher Voltaire; aimez moi toujours un peu. Dès que je pourrai faire des odes et des épîtres, vous en aurez les gants. Mais il faut avoir beaucoup de patience avec moi, et me donner le temps de me traîner lentement dans la carrière où je viens d'enfiler à présent. Ne m'oubliez pas, et soyez sûr qu'après le soin de mon pays, je n'ai pas de chose plus à cœur que de vous convaincre de l'estime avec laquelle je suis votre très fidèle ami

Federic