du 17 février [?August 1738]
Je ne connais point de problème plus difficile à résoudre que vous.
Quoi-qu'il en soit j'ai pris mon parti de vous aimer et de vous le dire. Je ne sais ce que me pourront valoir mes bons procédés puisque je n'en suis pas moins privée de votre commerce. Vous m'écrivez comme à votre ennemi, mais j'aime encore mieux vos lettres toutes singulières qu'elles sont que votre silence. Quand j'ai voulu vous envoyer la philosophie de Neuton je n'ai pas douté que vous ne l'eussiez, quand même personne ne l'aurait dans votre ville, mais je ne voulais pas que vous tinssiez d'un autre que de moi un livre qui m'est dédié et d'ailleurs celui que je vous envoie est une seconde édition, beaucoup plus correcte que la première. Je sais qu'on peut faire beaucoup de critiques de ce livre, mais avec tout cela il n'y en a point de meilleur en français sur ces matières, car hors les mémoires de l'académie des sciences il n'y a que des livres de physique pitoyables.
Les dialogues d'Argalotti sont pleins d'esprit et de connaissance. Il en a fait une partie ici et ce sont eux qui ont été l'occasion du livre de m. de V. Je vous avoue cependant que je n'aime pas ce style là en matière de philosophie, et l'amour d'un amant qui décroît en raison du carré des temps et du cube de la distance me paraît difficile à digérer, mais en tout, c'est l'ouvrage d'un homme de beaucoup d'esprit et qui est maître de sa matière. L'Epître à Fontenelle n'a pas réussi, il neutonianismo per le dame dédié à mr de Fontenelle a paru fort singulier car ce n'est ni comme femme ni comme neutonien qu'il a eu cet hommage. Il n'est pas plus l'un que l'autre, il faut donc que ce soit comme mauvais plaisant. Vous ne savez pas que c'est mon portrait qui est à la tête, du moins ç'a été l'intention, mais il n'a pas trop bien réussi. On le traduit, c'est m. de Castera qui fait cette besogne. Je ne sais si on parlera davantage de la traduction que de l'ouvrage car le dame savent peu d'italien et encore moins de philosophie. On ne sait où est l'auteur. S'il est à Toulouse je vous en félicite. C'est un des hommes que j'aie jamais connus le plus aimable, le plus instruit et le plus doux à vivre. J'espère qu'il vous dira du bien de moi et je vous prie de ne pas lui en dire de mal. Si vous vous intéressez encore un peu à moi je vous conterai une petite anecdote littéraire qui me regarde, mais cette lettre a déjà près de quatre pages. J'ai peur qu'elle ne vous empêche de me répondre, je vous plains, mais si vous connaissez encore l'amitié vous ne pouvez être à plaindre. Mais serez vous toute votre vie à Toulouze? Adieu. M. de V. est ici mais crainte que vous ne me soupçonniez il y a plus de trois ans que je ne lui ai prononcé votre nom. Il ignore que je vous écris. Adieu je vous demande pardon de la longueur de cette lettre.