18 mai [1738]
Mon cher philosophe, en vous remerciant de tout mon cœur de monsieur Cousin, que vous me procurez.
Il n'a qu'à travailler avec m. l'abbé Nolet, sitôt la présente reçue, et puisqu'il veut bien recevoir un petit honoraire, il lui sera compté du jour qu'il voudra bien aller chez mr l'abbé Nolet. Il pourra d'ailleurs m'acheter beaucoup d'instruments qui serviront à ses occupations, et à ses plaisirs quand il sera à Cirey. Vous voulez bien que je mette cette lettre pour lui dans la vôtre.
Je viens enfin de voir un exemplaire des Eléments de Neuton. J'ai eu à peine encore le temps de le parcourir. Il est honteux combien cela fourmille de fautes, combien les cinq ou six derniers chapitres sont dérangés et barbouillés. J'avais bien raison de chercher à faire une édition correcte à Paris et franchement on aurait pu le permettre. Je suis très affligé. Il y aura sans doute bien des gens qui prendront plaisir à m'imputer des erreurs qui ne sont pas les miennes. Il est triste de voir son enfant aussi mal traité, mais encore faudrait il ne pas reprocher au père les défauts de l'enfant qu'on a gâté en nourrice.
Il faut que je vous confie une autre affliction que j'ai sur le cœur. Peut-être m'adressai je à mon juge; mais je suis toujours sûr que je m'adresse à mon ami.
J'ai composé pour le prix dont le sujet était la nature et la propagation du feu.
Mon numéro était 7º, ma devise:
M. de Reaumur, à ce que l'on me mande, a dit que cette pièce avait concouru; et il paraît même qu'il lui aurait volontiers donné le prix. Mais, dit il, cet ouvrage était fondé sur des principes un peu trop durs, et c'est ce qui a fait son malheur. Je suis bien loin assurément de me plaindre, je me crois très bien jugé, je regarde même comme un très grand bonheur d'avoir concouru. Mais je suis pourtant bien fâché de n'avoir pas eu le prix, c'eût été pour moi un agrément infini dans les circonstances présentes. Vous avez été probablement mon juge, mr Dufay l'aura été aussi. Franchement, dites moi, croyez vous que l'ouvrage soit passable? pourrai je obtenir de l'Académie qu’ on l'imprime à la suite de la pièce couronnée? pourrai je voir la pièce qui a eu la préférence? pourriez vous me dire qui en est l'auteur? ai je eu effectivement l'honneur de balancer un moment les suffrages?
Parlez moi sur tout cela à cœur ouvert, comme à un honnête homme qui n'abusera jamais de votre confiance et de vos conseils.
Je crois vous avoir mandé que j'avais envoyé un mémoire à tous les journaux pour me justifier sur l'édition des Eléments de Neuton. Je vous supplie d'apprendre en attendant la vérité à ceux qui vous en parleront.
Madame la marquise du Châtelet vous fait mille compliments, elle voudrait bien que vous pussiez venir à Cirey, elle ne serait pas la seule à qui vous feriez un plaisir extrême.