Paris 4e février 1738
Eh bien, Monsieur, Les dévots ont donc encore sonné l'allarme, et L'on n'imprimera point en France vos essays sur Newton?
Déjà vous avés tenté de substituer au lugubre, au mélancholique, au faux-Enthousiasme de Pascal la justesse, la douceur, l'amour de l'humanité que nous chérissons tous deux dans Locke, ce qui devroient rendre ses ouvrages aussi précieux à tous les êtres nés pour sentir, et pour penser. Aujourd'huy vous voulés crever tous les tourbillons de Descartes, et vous invités Les François que vous aimés encore, à préférer aux sublimes et impertinentes rêveries de ce machiniste, Les démonstration, de Newton. Mais nos dévots magistrats demiphilosophes ne connoissent que Descartes et Pascal. Ils les ont déifié dès le collège, et pour peu que l'on touche aux ressorts sacrés de ces automates tout est perdu; ils croyent voir
Et Locke, et Newton, et vous mesme vous êtes tous des hérétiques à Brûler.
Je ne connois jusqu'à présent la poësie des Anglois que dans l'Essay sur l'homme de Mr Pope, et dans les premiers livres de Milton. J'admire à tout moment dans ces deux auteurs, et plus encore dans le dernier L'étonnante énergie dont vous me parlés; mais je voudrois qu'ils sçussent quitter quelques fois Le crayon terrible de Michelange ou de Julles Romain pour mannier le pinceau délicat du Correge ou de L'Albane, et je crains bien de ne pas trouver dans les poëmes anglois de ces graces naives, de ces heureux artifices, de ces belles et riantes peintures dont la poësie Latine, La poësie françoise, et celle des Italiens sont embelies dans l'Eneide, dans la Henriade, dans le poëme du Tasse.
Vous voulés sçavoir monsieur, ce que je pense sur les forces vives; je crois que Mr de Mairan a décidé la question dans un mémoire insere au recueil de 1728. Je ne vous incite point à le lire en entier; il est long, il est diffus, il est provincial. En vérité j'ay bien de la peine à quitter pour ces sortes de Lectures L'Elégante précision des géomètres anglois. Souvenés vous monsieur, que vous m'avés promis vos vers sur Newton.
L'ouvrage dont vous me proposés la lecture, Christianity as old as creation, ne se trouve point à Paris. J'ay une occasion de le faire venir d'Angleterre avec quelques ouvrages de Stirling, de Moivre, de Maclaurin. Un aimable accadémicien, Mr de Buffon, va partir pour Londres, nous sommes fort liés ensemble, il est tout anglois. Il va rassembler des mémoires pour Travailler à L'histoire des infiniment petits; elle doit servir de préface à la Traduction qu'il a faitte de la méthode des fluxions de Mr Newton jusqu'à présent trop peu connuë des François.
L'observatoire étonné connoit enfin, et se voit en état de supputer L'aberration de la lumière des fixes, grâces à Mr Clairault qui vient de faire entendre à Mr Cassini et à son indolent cortège La théorie de Mr Bradley.
Nos Lapons font imprimer Le détail des opérations qu'ils ont faittes sous le cercle plaire, et vous aurés dans peu la description du fameux secteur de Mr Graham. Je l'ay vû, c'est une pièce unique.
Pour Mr Dufey c'est de tous Les estres qui plaident celuy qui jure le plus contre Les procès. Vous n'aurés pas sitost ses expériences sur le prisme de double refraction. Il donne le peu de moments dont il dispose à préparer de concert avec les ministres de nouvelles mesures constantes, généralles, uniformes, pour la facilité du Commerce pour l'avantage de toute L'Europe, et les mesures seront proposées en mesme temps icy et en Angleterre. Il les fixe sur la longueur du pendule à L'équateur, et sur le degré moyen de la terre.
Voilà, Monsieur, ce qui se passe icy de plus intéressant. J'ay cru que ce détail pourroit vous faire quelque plaisir. Tout ce qui tend aux progrès des arts et des sciences est digne de vous occuper, et c'est un prétexte dont je me serviray désormais pour vous écrire, vous demander vos conseils et votre amitié; il n'est rien que je ne fasse pour l'obtenir.
De Montigny
[Je qui[tte] vos aimables nièces qui vous aiment, et que vous aimés. mdlle Mignot a un esprit plein d'agrémens dans une vraye tête de philosophe.]