1736-11-13, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, vous savez sans doute que le caractère dominant de notre nation n'est pas cette aimable vivacité des Français; on nous attribue en revanche le bon sens, la candeur et la véracité de nos discours, ce qui suffit pour vous faire sentir qu'un rimeur des fonds de la Germanie n'est pas propre à produire des impromptus.
La pièce que je vous envoie n'a pas non plus ce mérite.

J'ai été longtemps en suspens si je devais vous envoyer mes vers ou non, à vous, l'Apollon du Parnasse français, à vous, devant qui les Racine, les Corneille, ces grands hommes, ne sauraient se soutenir. Deux motifs m'y ont pourtant déterminé: celui qui eût sûrement dissuadé tout autre, est, monsieur, que vous êtes vous même poète, et que par conséquent vous devez connaître ce désir insurmontable, cette fureur que l'on a de produire ses premiers ouvrages; l'autre, et qui m'a le plus fortifié dans mon dessein, est le plaisir que j'ai de vous faire connaître mes sentiments à la faveur des vers, ce qui n'aurait pas eu la même grâce en prose.

Le plus grand mérite de ma pièce est, sans contredit, de ce qu'elle est ornée de votre nom; mon amour propre ne m'aveugle pas jusques au point de croire cette épître exempte de défauts. Je ne la trouve pas digne même de vous être adressée. J'ai lu, monsieur, vos ouvrages et ceux des plus célèbres auteurs et je vous assure que je connais la différence infinie qu'il y a entre leurs vers et les miens.

Je vous abandonne ma pièce: critiquez, condamnez, désapprouvez la, à condition de faire grâce aux deux vers qui la finissent. Je m'intéresse vivement pour eux: la pensée en est si véritable, si évidente, si manifeste, que je me vois en état d'en défendre la cause contre les critiques le plus rigides, malgré la haine, l'envie et en dépit de la calomnie. Je suis, monsieur, avec une très parfaite estime votre très affectionné ami

Federic P. R.

Epittre
A Monfieur De Voltere.

En quoi confiste la fausse et
La Veritable grandeur.

Voltere ce n'est point le Ranc et la puifsance
ni les Vains pregugéz d'une Illustre naisence
qui peuvent proqurér la sollide grandeur
du Vulgaire ignorent telle est souvent L'ereur;
mais un homme eclairé tient en main la balance
lui soeul fait distinguér le vrai de L'aparance
il n'est point ebloui par un trompeux eclat
Sous des tittres pompeux il decouvre le fat
et d'Illustres aÿeux ne compte point la fsuite
Si Vous n'herité d'eux leurs vertu leur merite.
Il est d'autre moÿeins de se randre fameux
qui dependent de nous et sont plus glorieux
chaqun à des talents dont il doit faire usage
celon que le destein en regla le partage
L'esprit de L'home est tel qu'un Diamant precieux
Qui fens estre taillé ne brille point aux jeux
qui conque a trouvé l'art d'anoblir fon genie
merite nostre homage en depit de l'envie
Rome nous Vante encor les fons de Corelli
Le fransais preveneux fredonne avec Lulli
L'Eneide Imorelle en beauté ci fertille
trens met jusqu’à nos jours l'heureux nom de Virgille
Carache le Tifien Rubens bonnaroti
nous sont aussi cogneux que l'est Allgaroti
Lui dont L'art du Compas et le Calcul exede
Le Savoir tent Vanté du Celebre Archimede
On respecte en tout lieux le profond Casfini
La fasade du Louvre exalte Bernini
aux Manes de Neuton tout Londre encore enfence
Henri le grand, Colbert, sont cheris de la France
et Vostre Non fameux par des fsavents exploits
Doit estre mis aux Rang des Heros et des Roys