1734-12-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Antoinette Françoise de Champbonin.

Ma charmante Champenoise, il y a un lutin qui nous sépare.
Je suis persuadé que vous serez bien fâchée de ne point voir arriver cette personne adorable que vous aimez tant, & que je devais avoir l'honneur d'accompagner. Consolez vous; n'y comptez plus. Elle est comme l'amour, qui ne vient pas quand on veut. D'ailleurs, elle n'aurait pu vous enlever pour vous emmener à Cirey, parce qu'autre chose est d'avoir de la laine cardée, & autre chose est d'avoir des tours de lit. Cirey n'est point encore en état de recevoir personne. Tout ce qui m’étonne, c'est que la dame du lieu puisse l'habiter. Elle y a été jusqu’à présent, par le goût de bâtir; elle y reste aujourd'hui par nécessité. Elle souffre beaucoup des dents, & encore plus de votre absence. C'est un sentiment que je partage avec elle. Vous savez combien elle vous aime, & combien je vous suis dévoué. Si j’étais avec toute autre qu'avec elle, je vous prierais de me plaindre. Adieu; aimez moi un peu, vous me l'avez promis, & j'y compte; car je vous aime de tout mon cœur.