[c. 23 May 1734]
Si vous êtes encor à Paris madame permettez moy d'avoir recours à la langue française dont vous vous servez si bien, plutôt qu'au vieux gascon qui me seroit àprésent peu utile (je croi) auprès de M. le garde des Sceaux. Je suis pénétré de reconoissance, et je vous remercie au nom de tous les partisans de Loke et de Newton de la bonté que vous avez eue de mettre madame la princesse de Conty dans les intérêts des philosofes malgré les criailleries des dévots. On me mande dans ma retraitte que le parlement veut me condamner, et me traiter comme un mandement d'évêque. Pourquoy non? Il y a bien eu des arrêts contre l'antimoine, et en faveur des formes substantielles d'Aristote.
On dit qu'il faut que je me rétracte. Très volontiers. Je déclareray que Pascal a toujours raison; que fatal laurier, bel astre sont de la belle poésie; que si st Luc et st Marc se contredisent, c'est une preuve de la vérité de la relligion à ceux qui savent bien prendre les choses; qu'une des belles preuves encor de la relligion c'est qu'elle est inintelligible. J'avoueray que tous les prêtres sont désintéressez, que les moines ne sont ny orgueilleux, ny intrigants, ny puants. Je diray tout ce qu'on voudra, pourvu qu'on me laisse en repos, et qu'on ne s'acharne point à persécuter un homme qui n'a jamais fait de mal à personne, qui vit dans la retraitte, et qui ne conoissoit d'autre ambition que celle de vous faire sa cour.
Il est très certain de plus que l'édition est faitte malgré moy, qu'on y a ajouté baucoup de choses et que j'ay fait humainement ce que j'ay pu pour en découvrir l'auteur.
Permettez moy madame de vous renouveller encor ma reconnoissance et mes prières. La grâce que je demande au ministère c'est qu'il ne me prive pas de l'honeur de vous voir, c'est une grâce pour la quelle on ne sauroit trop importuner.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect
. . . . . . . V.
M'est il permis de saluer Monsieur le duc Daiguillon, de luy présenter mon respect, de le remercier, et de l'exhorter à lire les lettres philosophiques sans scandale? Elles sont imprimées à faire peur, et remplies de fautes absurdes. C'est là ce qui me désespère.