Ce dimanche 22 février 1778
Je vous ai raconté ma première visite à Voltaire; elle fut le 14, il était arrivé le 10, et de ses connaissances j'ai été la moins empressée.
Je voulais le voir seul, c'est à dire avec m. de Beauvau. Je lui fis hier ma seconde visite, encore avec m. de Beauvau; mais elle ne fut pas aussi agréable que la première. D'abord nous passâmes plusieurs pièces dont toutes les fenêtres étaient ouvertes; nous fûmes reçus par la nièce Denis, qui est la meilleure femme du monde, mais certainement la plus gaupe; par le marquis de Villette, plat personnage de comédie, et par sa jeune épouse qu'on dit être aimable; elle est appelée Belle et Bonne par Voltaire et sa suite. Etant arrivés dans le salon, nous n'y n'y trouvâmes point Voltaire; il était enfermé dans sa chambre avec son secrétaire; on nous pria d'attendre; mais le prince, qui avait affaire, me demanda son congé; je restai donc avec la nièce Denis, le marquis Mascarille et Belle et Bonne. Ils me dirent que Voltaire était mort de fatigue, qu'il avait lu dans l'après-dîner sa pièce tout entière aux comédiens, leur avait fait répéter leurs rôles, qu'il était épuisé et hors d'état de pouvoir parler; je voulus m'en aller, on me retint, et pour m'engager à rester, Voltaire m'envoya quatre vers qu'il a faits pour Pigalle, qui va faire sa statue ou son buste en marbre: je viens de les chercher; mais il faut que j'aie laissé tomber hier au soir le petit portefeuille où ils sont, avec plusieurs autres, chez la grand'maman; j'envoie dans ce moment chez elle pour qu'on le cherche. Après avoir attendu un bon quart d'heure, Voltaire arriva, disant qu'il était mort, qu'il ne pouvait pas ouvrir la bouche; je voulus le quitter, il me retint, il me parla de sa comédie; il me proposa de nouveau d'en entendre la répétition générale qui s'en ferait chez lui, qu'il me ferait avertir; il n'a que cet objet dans la tête; c'est ce qui l'a fait venir à Paris, c'est ce qui le tuera, si elle n'a pas un grand succès; mais tout conspire à la faire réussir. Il a encore sans doute d'autres prétentions, celle d'aller à Versailles, de voir le roi, la reine, mais je doute qu'il en obtienne la permission. Il dit ensuite à monsieur le marquis de me raconter la visite qu'il avait eue d'un prêtre; mais monsieur le marquis s'y prenant fort mal, il le fit taire, prit la parole, et me dit qu'il avait reçu une lettre d'un abbé, qui lui marquait beaucoup de joie de son arrivée à Paris, qu'il ne devait pas douter de l'empressement qu'on avait de connaître un homme tel que lui. 'Accordez moi', lui dit il, 'la permission de vous venir voir; il y a trente ans que je suis prêtre; j'ai été vingt ans aux Jésuites, je suis estimé et considéré par monsieur l'archevêque; je rends des services, je prête mon ministère dans diverses cures à Paris; je vous offre mes soins: quelque supériorité que vous ayez sur les autres hommes, vous êtes mortel comme eux; vous avez quatre vingt quatre ans, vous pouvez prévoir des moments difficiles à passer; je pourrais vous y être utile, je le suis à monsieur l'abbé de l'Attaignant, il est plus âgé que vous; je vais dîner et boire avec lui aujourd'hui; permettez moi de vous venir voir'. Voltaire y a consenti; il l'a vu, il en est fort content; cela sauvera, dit il, du scandale ou du ridicule.
Ce lundi
Je fus interrompue hier; je n'ai pu reprendre que ce matin, et je dis comme le Courrier de l'Europe, 'la suite pour l'ordinaire prochain'.