1778-01-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph Panckoucke.

J'ai reçu, Monsieur, vôtre paquet moitié imprimé, moitié feuilles blanches, trois mois après que vous me l'aviez annoncé.
J'avais été si touché de vôtre dessein et de vôtre honnêteté, que j'avais déjà corrigé plus de douze volumes d'une édition que j'ai entre les mains. Il ne s'agira que de faire porter ces changements sur vos éxemplaires. Ce travail très pénible pour un homme de mon âge accablé de maladies continuelles, ne m'a rebuté pourtant que par l'énormité des fautes absurdes de l'ancien éditeur, et par l'extrême impertinence qu'il a eue d'ajouter à ce fatras intolérable un nombre prodigieux de sottises qui ne sont nullement de l'auteur. Mais quand il s'agira de travailler pour vous faire plaisir, rien ne me rebutera que la mort.

Vous avez fait un bien mauvais marché; vous avez été la victime de l'avidité, de la sottise, et du mauvais goût des marchands de fadaises qui vous ont vendu cette détestable collection. Ces polissons, pour le vain plaisir de faire une édition encadrée, ont suprimé tous les millésimes, et tous les tîtres marginaux absolument nécessaires dans la partie historique, de sorte qu'un jeune homme qui voudrait aprendre quelque chose dans cet ouvrage ne saurait point si Turenne et le grand Condé vivaient sous Louis XIV ou Hugue Capet.

En vérité cette édition n'est bonne qu'à allumer le feu de la st Jean. Je vous plains beaucoup de vous être chargé d'une si ridicule marchandise. Tâchez de vous en défaire à quelque prix que ce soit; car elle commence à être furieusement décriée.

Si je suis en vie dans un an je vous aiderai autant que je pourai à faire une édition digne de vous. Je crois que des Estampes seraient fort inutiles. Ces colifichets n'ont jamais été admis dans les éditions de Cicéron, de Virgile et d'Horace. Il faut imiter ces grands hommes dans cette simplicité si on ne peut pas imiter leurs perfections.

J'ai lu le second volume de vôtre a, b, c, politique. Je vois bien que Mr De Condorcet et Mr D'Alembert n'ont pas travaillé pour vous. Je voudrais savoir quel est l'Allemand qui a fait un gros livre de l'article Allemagne. Serait-ce par hazard Mr Grimm?

Je suis toujours bien content du journal de Mr De Laharpe, mais fort mécontent de ce fou de public.

J'ai envoié sur le champ à Mr De Neufchateau ce que vous avez demandé pour lui. Je reconnais toujours la noblesse de vos procédés, et je souhaitte que vous ne vous en repentiez jamais.

Si vous connaissiez quels sont les auteurs du journal de Paris, qu'on nomme la poste du soir, vous me feriez plaisir de m'en aprendre les noms.

Je fais mille compliments à Madame vôtre sœur, et je vous embrasse de tout mon cœur avec une véritable amitié, sans aucune cérémonie.

V.