29e May 1775, à Ferney
Je ne me reconnais pas, Monsieur, au titre trop flatteur que vous me donnez dans vôtre lettre, mais je me reconnais très bien aux justes sentiments d'estime et d'amitié que j'ai toujours eus pour vous.
Le manuscrit que vous avez la bonté de m'envoier, m'a paru copié d'après un original qui était depuis près de quarante ans entre les mains de Mr de Pondevèlle. Il avait travaillé lui même à ces pièces informes. La moitié des vers est de lui. Il est à croire que le peu qui est de moi a gâté tout ce qui lui apartenait. Il y a peut être cinq ou six curieux dans Paris qui aiment à enrichir leurs cabinets de pareilles pièces quand elles sont rares; mais dès qu'elles sont publiques rien n'est plus abandonné et plus méprisé.
Je vous avoue que ce serait me faire une peine extrême de donner sous mon nom ces vieux fatras inutiles. Je vous aurai même beaucoup d'obligation si vous voulez bien empêcher cette impression, et je me croirais très heureux si je pouvais vous fournir quelque chose plus digne de vous.
Vous avez dû recevoir un petit écrit adressé à l'auteur des Ephémérides, dans lequel on dit qu'il y a des choses très convenables au tems présent, et qui ne déplairont pas au ministère. Il est intitulé, je crois, diatribe à l'auteur des Ephémérides.
On vous a envoié aussi, à ce que l'on me mande une espèce d'extrait d'une satire nouvelle et inconnue d'un nommé Clément. On dit que vous êtes outragé dans cette mauvaise satire aussi bien que Messieurs De Laharpe, D'Alembert, de Condorcet, de st Lambert, et prèsque tous les gens de Lettres qui ont du mérite et de la réputation. On m'a fait tenir une copie de cet extrait. Il me parait fait pour vôtre mercure; et si vous l'avez reçu je ne doute pas que vous ne le faissiez imprimer. C'est un premier châtiment bien dû à ce misérable, en attendant que la police réprime ses grossières insolences.
Comptez sur les sentiments inviolables avec lesquels je vous suis attaché, Monsieur, pour le reste de ma vie.
V.