18e May 1774
Quelque chose qui soit arrivée, et qui arrive, je ne veux pas mourir sans avoir la consolation d’avoir revu mes anges.
Il n’y a que ma malheureuse santé qui puisse m’empêcher de faire un petit tour à Paris. Je n’ai affaire à aucun secrétaire d’état. Je ne suis point de l’ancien parlement. Il y avait une petite tracasserie entre le défunt et moy, tracasserie ignorée de la plus grande partie du public, tracasserie verbale, tracasserie qui ne laisse nulle trace après elle. Il me parait que je suis un malade qui peut prendre l’air partout sans ordonance des médecins.
Cependant je voudrais que la chose fût très secrète. Je pense qu’il est aisé de se cacher dans la foule. Il y aura tant de grandes cérémonies, tant de grandes tracasseries que personne ne s’avisera de songer à la mienne.
En un mot il serait trop ridicule que Jean Jaques le génevois eût la permission de se promener dans la cour de l’archevêché, que Freron pût aller voir jouer l’Ecossaise, et moy que je ne pusse aller ni à la messe ni aux spectacles dans la ville où je suis né.
Tout ce qui me fâche c’est l’injustice de celui qui règne à Chantelou, et qui doit régner bientôt dans Versailles. Non seulement je ne lui ai jamais manqué, mais j’ay toujours été pénétré pour lui de la reconnaissance la plus inaltérable. Devait-il me savoir mauvais gré d’avoir haï cordialement les assassins du chevalier de la Barre et les ennemis de la couronne? Cette injustice encor une fois me désespère. J’ay quatrevingt ans mais je suis avec mr de Chantelou comme un amant de dix huit ans quitté pas sa maitresse.
Quand vous jugerés à propos mon cher ange d’engager de forcer votre ami et votre voisin M. de Pralin à représenter mon innocence, vous me rendrez la vie.
Je ne vous parle point de bruits qu’on fait déjà courir, de l’ancien parlement qu’on rapelle, de Monsieur le chancelier qu’on renvoye. Je n’en crois pas un mot; tout ce que je sçais c’est que je suis dévôt à mes anges.