1770-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Je vous ai bien reconnue, Madame, à vos bienfesantes bontés.
Si vous étiez à la Chine vous vous empresseriez d'envoier des secours aux malheureux de l'Europe. J'ai été très malade, il est vrai, je le suis encor, parce que je suis vieux et faible, et que les neiges me tuent.

Je reçois dans le moment, L'élixir pour l'apopléxie et pour la paralisie dont Dieu merci je ne suis point attaqué; mais j'en ferai prendre en vôtre nom au premier apopletique à grosse tête et à gros ventre que je rencontrerai dans mon chemin. Ces goutes me paraissent bien propres pour un avoyer de Berne, ou pour quelque ministre de la parole de Dieu. J'ai pris pour mon médecin une chêvre; mais si jamais j'ai quelque indigestion je vous promets d'avaler des goutes de vôtre chimiste à vôtre intention.

Je vous assure, Madame, que je vous ai autant d'obligation que si j'avais déjà avalé vos six bouteilles. J'en essaierai quand j'aurai fini mon lait. J'en mettrai trois ou quatre goutes dans du potage. Made Denis, qui a soin de ma triste vieillesse, se joint à moi pour vous remercier. Il y a quinze ans que nous habitons la même retraitte dans un païs où nous avons eu le bonheur de vous voir. Nous regretons ces jours qui ne reviendront plus. Nous vous souhaittons toutes les prospérités que vous méritez. Mon cœur sera toujours pénétré pour vous du respect le plus sincère, et de la plus inviolable reconnaissance.

V.