1770-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Je vous plains beaucoup encor une fois, mon cher ami, vous et vôtre ville.
Vous avez bien raison de dire que rien n'est plus triste; mais n'ajoutez pas à vos justes chagrins celui de craindre pour les prisoniers de la Bastille. Vous sentez bien qu'ils sont là mieux qu'au grêfe du parlement, ou dans les caves des jacobins chez les quels le clergé s'assemble. Le roi qui a fait rendre la première édition fera rendre sûrement la seconde.

Vôtre petite drôlerie d'ailleurs ne périclitera point, et passera beaucoup plus aisément que vos éffrontés mélanges. Vous en débiterez d'ailleurs dans toute l'Europe, surtout, tome à tome; et vous serez le maître d'y mettre le prix. On ne vous contrefera point quand vous aurez bien pris vos mesures, et vous pourez mettre au second tome un avis qui décréditera les contrefaçons. D'ailleurs si vous persistez dans la forme que vous donnez à vôtre édition, il faut absolument retrancher une ligne de chaque page; il faut mettre un blanc à chaque à linea d'un paragraphe, au lieu du blanc qu'on a mis jusqu'à présent aux citations en vers. On a imprimé ces citations comme si elles étaient des tîtres; je marquerai d'oresnavant par un signe particulier les paragraphes auxquels il faudra mettre un blanc. Je vous prie en attendant, de m'envoier le plutôt que vous pourez, la première et la seconde feuille corrigées selon mes vues.

J'ai encor à vous avertir qu'il y aura des pages entières chargées de notes qui doivent être marginales; et d'autres dont les notes doivent être au bas de la page.

Recommandez bien, je vous en prie, qu'on m'envoie les épreuves sur du papier moins abominable. Il était impossible d'écrire sur les marges de l'épreuve qu'on m'a envoiée.

Ne vous affligez pas, tout ira bien, je vous en réponds.

Quand vous serez de loisir songez au grand papier, et aimez un peu vôtre vieux garçon qui travaille pour vous depuis quinze ans.