Ce 16 Aoust ou Auguste 1768
J'ai reçu Monsieur avec bien de la reconnaissance L'envoi que vous avés bien voulû me faire, et je me suis hâté de lire la Relation de la mort du Chevalr De la Barre que j'avais vû avec horreur dans les Nouvelles Publiques, comme tous ceux qui font profession d'ètre fidèles à l'humanité.
Tout ce que vous dites là dessus, Monsieur, et sur le délit local et sur l'application des Loix pénalesaux égaremens de La Jeunesse est extrêmement Judicieux. Que déviendraient La plûpart des Jeunes hommes et de la Cour et de la Ville si l'on épluchait avec cette rigueur forçenée Leurs parties de plaisir? Si leur âge ne les justifie pas, Celui des Magistrats rend bien Condamnable leur Justice entousiaste, et ces Monitoires affreux qui animent toutes les vipères du fanatisme, et qui sont tout autant d'attentats à l'autorité civile, comment les tolère t-on encore? Je suis bien de l'avis de ceux qui pensent qu'une Religion qui employe des Boureaux ne mérite pas des deffenseurs.
J'ai souvent pensé à ce que vous relevés Monsieur au sujet de Messrs de Fontenelle et de Montesquieu qui ont osé dire des vérités qu l'on punit aujourd'huy. J'étais si persuadé de votre façon de penser sur la Torture que j'ai crû devoir vous Citer à la page 114 de mon Essai sur ce sujet important. Honteux et affligé de voir cette pratique barbare subsister encore dans ma Patrie, j'ai fait mes efforts pour arracher cette plante vénimeuse de notre terrain, et si j'ai manqué d'Eloquence et d'énergie dans une discussion qui assurément en est susceptible, je ne crois pas du moins avoir manqué de Logique et de raison. On me flatte qu'elle ne sera pas sans effet. C'est dans la même vuë que malgré ma répugnance à traduire j'ai traduit du latin un ouvrage tout récent de Mr le Président Risi sur la Jurisprudence Criminelle, qui peut être regardé à bien des égards comme le pendant de celui du Marquis Beccaria. Ces deux pièces et une troisième traduite de l'Italien de Mr le Comandeur de Guasco tendant à abréger les proceds ont été imprimés et débités presque en même tems, de sorte qu'on pense à une seconde Edition. Si j'avois eu l'honneur et l'avantage d'être près de vous, je vous aurais prié d'honnorer ce qui est de moi de votre sage critique. Je fais le plus grand cas du précepte dont vous me parlés, Eprouvés toutes choses, retenés ce qui est bon. Ce serait ma maxime quand même ce ne serait pas celle d'un apôtre, parce que je perdrais beaucoup à m'en écarter. Pourquoi me priverais-je du bien, supposé même qu'il fût à côté du mal? D'ailleurs je ne pourais me soufrir moi même, si je n'étais Tolérant et modéré. C'est à chacun à sçavoir son compte, et je ne sçaurois croire que quelqu'un se trompe de propos délibéré. Je suivrai donc toujours mes principes, et je me bornerai à souhaiter qu'un autre ne se trompe pas en suivant les siens, qu'il n'égare personne s'il est dans l'erreur. D'ailleurs je suis sûr que la vraie Religion n'admet point d'absurdités, et que son langage n'est pas toujours celui des Théologiens.
Je suis très sensible Monsieur à la Confiance que vous voulés bien me témoigner. Je tâcherai de la mériter par ma Conduite, comme je me flate de la mériter par le respect avec lequel j'ai l'honneur d'être
Monsieur,
Votre très humble et très obeïssant serviteur
Seigneux de Correvon