Mes divins anges; je vis, il y a quelques jours, une Lettre de l'une de vous deux entre les mains de made Denis. Cette Lettre, qui d'ailleurs est dans le goût de made De Sévigné, ne contient pas une approbation entière de mes déportements concernant mon thêâtre et les Délices. Mais considérez, je vous prie, que je suis, quoi qu'on die, dans ma soixante et douzième année, que Made Denis a commencé sa cinquante sixième, et qu'à cet âge il faudrait avoir le diable au corps pour jouer la comédie. Il me semble qu'il faut savoir vieillir, et que les fleurs du printemps ne sont pas faittes pour l'hiver.
A l'égard des Délices, je ne peux m'attacher à une maison qui après moi n'appartiendrait pas aux miens. Je deviens d'ailleurs tous les jours si faible que c'est une fatigue pour moi de sortir de Ferney. Ce n'est pas la peine d'avoir deux maisons quand une suffit. Je resserre tous les jours mes désirs. Je n'ai plus envérité qu'un seul regret, c'est de mourir sans vous revoir.
J'ai reçu une Lettre de Mr Berger, qui m'a paru cachetée avec vos armes, ou du moins quelque chose d'approchant. J'ai soupçonné qu'il l'avait écrite chez vous; il ne m'instruit point de sa demeure. Permettez que je vous adresse ma réponse, et que je vous supplie de la lui faire tenir, supposé que vous découvriez le logement de ce Berger; je vous demande pardon de la liberté grande.
On me mande beaucoup de bien du Siège de Calais. Il me semble que vous devez vous intéresser à ce succès. N'y a t-il pas un roman du siège de Calais qui vous plaisait beaucoup?
Nous avons icy Mr de Vilette. Quelle est donc son avanture? Il dit qu'il a été emprisonné et éxilé, pour avoir fait semblant de tuer un homme. Que serait-ce donc s'il l'avait tué éffectivement?
On nous dit que Fréron est au fort L'Evêque, et Laharpe à Bissêtre. Voilà le Parnasse plaisamment logé! Passe encor pour Fréron, mais je plains le pauvre Laharpe.
Je me flatte que ma nièce Florian aura l'honneur de venir prendre vos ordres avant d'entreprendre le voiage de Ferney. Je fais bâtir de nouvelles celules pour les recevoir dans mon couvent. Si vous aviez jamais pu venir à Lyon, et de là à Ferney, j'aurais certainement conservé mon théâtre.
Je baise toujours bien dévotement le bout des ailes de mes anges.
25e fév: 1765
Il est vrai que j'ai pris la liberté d'écrire à Made la Duchesse de Grammont, et de demander une compagnie de dragons pour mr Dupuits quand son tour viendra d'être placé. Il a dix ans de service tout jeune qu'il est, c'est un officier très sage et plein de bonne volonté, et il y a dans la pluspart des jeunes officiers français plus de bonne volonté que de sagesse.