1er février 1765
Mon cher frère, voicy une grâce temporelle que je vous demande, c'est de faire parvenir à Mr De Laleu ce paquet qui est essentiel aux affaires de ma famille.
Les philosophes ne laissent pas d'avoir des affaires mondaines à régler. Jean Jaques n'est chargé que de sa seule personne, et moi je suis chargé d'en nourir soixante et dix, celà fait que quelquefois je suis obligé d'écrire à Mr De Laleu des mémoires qui ne sont point du tout philosophiques. Vous ne savez pas ce que c'est que la manutention d'une terre qu'on fait valoir. Je rends service à l'état sans qu'on en sache rien. Je défriche des terreins incultes, je bâtis des maisons pour attirer des étrangers; je borde les grands chemins d'abres à mes dépends, en vertu des ordonnances du Roi, que personne n'éxécute. Cette espèce de philosophie vaut bien à mon gré celle de Diogène.
Je crois que c'est un prêtre Janseniste qui est l'auteur d'une des pièces d'éloquence que vous m'avez envoiées, et je soupçonne, non sans raison, le petit abbé d'Estrées, qui ferait bien mieux de servir à boire ce bon vin de champagne comme son père, que de succéder au ministère d'Abraham Chaumeix. Il n'y a pas, dieu merci, l'ombre du sens commun dans ce ridicule chifon.
J'envoie vôtre Lettre à Esculape Tronchin qui vous exhortera sans doute à la persévérance. On commence aujourd'hui la destruction du petit théologien. Je voudrais bien savoir quel est ce maraud là.
Vous m'avez parlé des Délices. Je deviens si vieux et si infirme que je ne peux plus avoir deux maisons de plaisance, et l'état de mes affaires ne me permet plus cette dépense qui est très grande, dans un païs où il faut combattre sans cesse contre les Eléments. Je me déferai donc des Délices, si je peux parvenir à un arrangement raisonable, ce qui est encor très difficile.