1763-03-30, de Louis Eugene von Württemberg, duke of Württemberg à Voltaire [François Marie Arouet].

Ce n'est pas à ma Philosophie Monsieur qu'il faut attribuer L'ignorance dans laquelle j'ai laissée M. la Duchesse de Wirtemberg du lieu de mon habitation, mais la fatalité des circonstances qui m'a fait éprouver tant de caprices et de bizarreries différentes et à qui je dois peutêtre la douceur de ma vie présente, avait aussi interrompu L'honneur qu'elle me faisait de recevoir et de me donner de ses Nouvelles.

Je suis fâché qu'une occasion si triste pour elle L'a rappelée à ses anciennes habitudes, mais je suis encore plus affligé d'ignorer absolument ce qui la regarde.

Je désire du fond de mon coeur que des jours plus heureux puissent la consoler de tant de malheurs et de Pertes qui l'ont frappée à la fois.

Les Lettres que j'ai reçu d'Allemagne, ne m'ont rien dit de particulier sur la mort de m. le margraf. Tout ce que je sais, c'est qu'un vieil Margraf de Culenbach, oncle à la mode de Bretagne si je ne me trompe de celui qui vient d'expirer, succède au Margraviat. Il a coulée jusqu'à présent une vie obscure mais tranquille dans les Etats et au service du Roy de Dannemarck et comme il est de la même ligne que le margraf deffunt, Le roy de Prusse, ni le margraf d'Anspach ne sont point en droit de former aujourd'hui des Prétentions sur le Margraviat qui ne deviendront valables que quand cette maison sera entièrement éteinte.

Je prends la Liberté Monsieur de vous charger de L'incluse. Adoucissés s'il se peut les chagrins amers d'une femme charmante. Qui pourra essuyer ses Pleurs si ce n'est vous? C'est au Patriarche des amours à répandre de nouveau le sourire sur la Phisionomie d'une grâce affligée.

Vous êtes donc présentement aux Délices, mais les élus qui ont le bonheur de pouvoir être les plus assidus auprès de votre Personne, ont l'avantage sur vous d'y être sans cesse.

M. Tronchin est digne sans doute de touttes vos Préférences, mais vous feriés encore mieux Monsieur de le voir que de Le consulter.

Cependant mon cher Maitre je vous deffie de devenir aveugle, car quand même ces yeux brillants et si pleins du génie qui vous inspire se couvriraient, vous n'en seriez pas moins l'homme du Monde qui voit le mieux.

Le roy de Prusse pour prouver au roy de Pologne combien il désire sincèrement d'adoucir les maux cruels qu'il lui a fait souffrir pendant tout le cours de cette longue guerre, se déclare contre le Pr: Charles son fils en faveur de m. le duc de Biron, et exige à même tems des arrérages immenses de la Saxe qu'il a déjà si fort dépuisée.

Selon les calculs faits à Vienne, il est prouvé que les dépenses dans lesquelles cette guerre a entrainé S. M. L'Impératrice montent à 500 millions de florins, mais ce qui est plus exorbitant et plus fâcheux encore c'est que cette même guerre coûte à ses états un demi million d'hommes.

Je l'ai déjà dit, et j'ose le répéter encore que la postérité aura de la peine à croire que L'Europe se soit exposée pour rien à tant de pertes irréparables.

Est-ce là le siècle de Lumière que vous embelissés et que vous éclairés? Hélas les temps et les hommes se ressemblent et se ressembleront toujours. La multitude aveugle se courbera sans cesse sous le joug d'un petit nombre d'hommes Puissants, et l'ambition des Rois de la terre foulera toujours les lois sacrées de l'humanité.

Daignés présenter mes hommages à Madame votre Nièce, recevoir ceux de ma petite femme, et ne pas douter de la tendre amitié que vous m'avés inspirée depuis si longtems.

J'apprends toutte à l'heure Monsieur que c'est à vous que je dois le chocolat excellent que je prends depuis quelques jours. C'est le Présent le plus convenable qu'on puisse faire à un homme marié, aussi ma petite femme vous en est elle très obligée.