14 août [1762], aux Délices
Mon très révérend frère, vos lettres sont aussi rares que des lettres de change de Gascogne.
Plus je désire de vous voir, plus j'en devrais recevoir pour ma consolation. Notre père prieur est si plein d'occupations que je ne sais jamais rien de ce que vous lui écrivez. On ne jouit presque point de lui. Il se suffit à lui seul dans son cabinet. Il est forcé de le quitter à présent tous les jours pour les préparatifs de la réception de m. le maréchal de Richelieu qui s'annonce lui même pour le mois de septembre. On veut lui donner cinq ou six représentations de pièces qu'il ne connaît point. Si vous aviez trois têtes comme Geryon, si nous pouvions être aussi couverts d'yeux qu'Argus et avoir cent bras comme Briarée, nous trouverions de quoi les exercer ici. Il y a ici beaucoup d'Anglais tout prêts à vous parier deux contre un que la paix est faite entre l'Angleterre et la France et il est impossible de se refuser à de certaines preuves que nous en avons. M. le duc de Betford est désigné ambassadeur à Paris; m. le duc de Nivernois à Londres. On attend à chaque instant le moment de cette déclaration. Dites nous, je vous prie, pourquoi le parlement de Paris a remis au 14 de ce mois le jugement sur les affaires des jésuites.
Le pauvre garçon libraire de Lyon vient de finir ses jours d'une manière fort tragique en se noyant dans le Rhône pour une inhumaine qui mérite une fin plus funeste encore. On la nomme mlle Boirou. Le pauvre malheureux a eu encore la simplicité de lui écrire auparavant une lettre si touchante que notre père prieur s'est écrié:
Valete fratres.