1761-09-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Philippe Fyot de La Marche.

J'ai ouvert, monsieur, l'incluse que je vous renvoie; vous qui êtes la main de justice, vous pardonnerez à ma main indiscrète; ce mot de seigneur de Ferney aurait trompé un homme plus attentif.

Cependant, quand j'ai vu votre nom, je me suis dit: l'écrivain a raison; oui assurément, monsieur de la Marche est seigneur de Ferney, et il demeure bien peu de temps dans sa terre. Je suis son vassal et je regrette mon seigneur; j'irai assurément lui prêter foi et hommage dans son royaume de la Marche; madame Denis et Cornélie Chiffon m'ôteront mes éperons et me tiendront les mains jointes.

Si vous êtes dans votre royaume à la réception de ma lettre, voulez vous employer votre graveur pour Corneille? Les Crammer lui payeront quatre louis pour chaque planche in 8.. Il n'aurait qu'à commencer par ces deux-ci en les rectifiant. Voilà les sujets, vous guideriez son talent. Il y aura dix estampes à graver. Notre Bourgogne aura l'honneur de toute l'entreprise de l'édition de Corneille. Vous ne sauriez croire combien vous me rendez cette idée chère. J'ai été sur le point d'aller faire imprimer notre Corneille au Louvre; mais je ne veux pas quitter ma retraite, et ce mot de Louvre m'effraye, quoiqu'il appartienne à un roi qui rassure. Je suis si bien dans ma solitude que ma constance est sans mérite, et je n'en sortirai que pour vous. Paul viendra voir Antoine et apprendre de lui à se passer du reste des hommes.

Je suppose que m. Tronchin est venu recevoir vos ordres à Lyon. Allez embellir La Marche, allez faire à Paris le bonheur de votre famille et de vos amis, et revenez ensuite faire le vôtre dans votre respectable retraite.

Neglectæ dominus splendidior rei.

Nous compterons toujours, madame Denis et moi, parmi nos plus heureux moments ceux que nous avons eu l'honneur de passer avec vous. Nous en disons autant à m. le président de Ruffey; je le supplie de daigner se souvenir de l'avocat Arnould, et je demande pardon de toutes mes libertés. Adieu, monsieur, agréez les très tendres respects de

V.