1761-06-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Divins anges ne m'avez vous pas pris pour un hâbleur qui vous faisait un portrait exagéré de ses fardeaux et tribulations?
Je ne vous en ai pas dit la moitié. Voicy le comble. J'abandonne ma tragédie. Le cinquième acte ne pouvait être déchirant, et sans grand cinquième acte point de salut. J'ay tourné et retourné le tout dans ma chétive tête. Froid cinquième acte vous di-je. Vous me direz que ce sont mes procez qui m'apauvrissent l'imagination. Au contraire ils me mettent en colère et cela excite. Mais mon cinquième acte n'en est pas moins insipide. Je ne sçais plus comment m'y prendre pour trouver des sujets nouveaux. J'ay été en Amerique et à la Chine. Il ne me reste que d'aller dans la lune. J'en suis malade; me voilà comme une femme qui a fait une fausse couche. Est il vray qu'on a représenté Athalie avec magnificence, et que le public s'est enfin apperçu que Joad avait tort, et qu'Athalie avait raison?

Protégez vous la petite Durancy? Protégez vous Crispin Hurtaud? Mais est il bien vray, qu'on ne prendra point Belleisle?

N'allez pas me laisser là s'il vous plaît, si je ne trouve pas un beau sujet. Il ne faut pas chasser un vieux serviteur parce qu'il n'est plus bon à rien. Il faut le plaindre et l'encourager.

Avez vous les trois Sultannes? On dit que cela est charmant, point d'intrigue mais beaucoup d'esprit et de guaité.

Enfin mes chers anges vous avez donc fait grâce au droit du seigneur. Vous avez comblé de joye made Denis; elle était folle de cette bagatelle. Je ne sçais si Tiriot sera bien adroit ny comment il s'y prend.

Mille tendres respects.