5e janvier 1760
Je ne peux commencer l'année par de jolis vers comme vous, Mon cher Monsieur, ma santé un peu altérée, inflüe un peu sur ma pauvre imagination, mais on peut très bien manquer d'esprit sans manquer de reconnaissance; si vous voulez des vers, Mlle de Bazincourt vous en fera; elle m'en montra ces jours passés de très jolis de sa façon, et dans lesquels il n'y avait qu'une faute très légère; tout malingre que je suis il m'a fallu pourtant faire un peu de prose.
Permettez que je vous l'envoye et que je Vous suplie de la faire passer à sa destination, elle ne mérite pas le port immense qu'elle coûterait à ceux qui la recevrait.
Il me semble qu'il y a autant de tracasseries au parnasse que dans les cours; on me mande de tous côtés qu'on croit Marmontel auteur d'une détestable parodie contre mr le Duc d'Aumont et mr d'Argental; on le croit à la Bastille, et moi qui crois peu de chose, je ne crois assurément rien de tout celà. Ce ne peut être qu'un Laquais de Comédien qui ait fait cet impertinent ouvrage; et si c'était le Laquais de Marmontel, il l'aurait sans doute chassé. Il me semble que le temps présent n'est pas celui d'écrire, mais de se battre, et puis que le Roy a donné un si grand éxemple en se privant de son argenterie, et que la nation l'a suivi, elle doit actuellement employer le fer contre les Anglais & les Hanovriens, et ne devoir la paix qu'à son courage; on attend beaucoup de Mr le Maréchal de Broglie; j'ai oui dire il y a plus de douze ans à mr le mal de Belisle, que s'il y avait quelqu'un qui pût rétablir les affaires de la France ce serait mr de Broglie. Il me semble que celà fait bien de l'honneur à tous deux, car alors mr le mal de Belisle n'était pas trop bien avec le père.
Mandez moy je vous prie quelle est la sœur de votre aimable ministre M. le duc de Choiseuil. N'y a t'il rien de nouvau? Vale et nos ama. Respects à la sœur du pot.
Je vous demande pardon de l'endosse que je vous donne, de faire cacheter pour moy trois paquets. J'abuse de votre amitié. Mais vous le pardonerez.