1745-01-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Vous buvez, mon adorable ange, la dernière bouteille de mon vin; mais je me flatte que je ferai à Cirey une bonne cuvée cet été, et que je vous fournirai encore un petit tonneau pour l'hiver.
Pardon, je comptais vous faire ma petite cour ce matin; je ne sais si je serai assez heureux pour voir mes deux anges. Empêchez bien Lanoue d'être fâché, car en vérité il ne doit pas l'être. Lanoue Orosmane! ah!

A propos, mon divin ange, je n'ai pas cru qu'il fût du respect de vous prier d'honorer de votre présence notre orgie d'histrions; mais si vous étiez assez humain pour nous faire cet honneur vous nous causeriez le plus grand plaisir.

Nous nous réservons toujours pour le beau jour. Mais si par exemple mme d'Argental voulait alors nous honorer de sa présence avec quelqu'une de ses amies, j'en écrirais sur le champ au tyran duc de Richelieu, et je répondrais bien que ce sultan recevrait dans son sérail de telles odalisques. Si mme d'Argental veut venir entendre de très belle musique, il ne tient donc qu'à elle. Je vais à bon compte la mettre su la liste; et quand elle se présentera on lui ouvrira les deux battants.

Encore un mot. Si ces anges, qui tiennent une si bonne maison, veulent donner à souper mercredi à mme Newton-pompon-du Châtelet, on attend leurs ordres pour s'arranger, et on baise le bout de leurs ailes. Je m'arrange très bien de les aimer à la fureur; écoutez, chers anges, pourquoi donc êtes vous si aimables?