ce mardy au soira14 juillet 1733
Je reçois mon cher ami votre lettre, et votre préface.
Je vous parleray d'abord du petit livre dont vous êtes l'éditeur. Il m'avoit paru plus convenable d'y ajouter des réflexions sur les pensées de mr Pascal, que d'y coudre une préface de tragédie. Je suis persuadé que ces critiques de mr Pascal qui contiennent environ six feuilles d'impression seront mieux reçues qu'une nouvelle édition du temple du goust. De plus, les libraires peuvent imprimer le temple du goust sans vous, aulieu qu'il ne peuvent tenir que de vous la critique des pensées de mr Pascal, petit ouvrage assez intéressant et qui doit vous procurer encor du bénéfice, à proportion de la curiosité qu'une nation pensante doit avoir pour une entreprise aussi hardie que celle d'écrire contre un homme comme Pascal que les petits esprits osent à peine examiner.
C'est donc uniquement dans cette idée que j'ay revu cette petite critique, que je l'ay corrigée, et que je la fais imprimer. J'en attends actuellement les deux dernières feuilles, et je vous enverray le tout à l'instant que je l'auray reçu. Je vous suplie donc de tout suspendre jusqu'à la réception de ce paquet. Alors vous conformerez votre préface aux choses que contiendra votre volume, et si vous m'en croiez vous garderez l'édition du temple du goust pour le joindre à mes petites pièces fugitives dans un an ou deux.
Je ne peux réserver l'impression de mon petit antipascal pour une seconde édition, premièrement parce que si l'on doit crier j'aime bien mieux qu'on crie contre moy une fois que deux, et qu'après avoir parlé si hardiment dans mes lettres anglaises, venir encor attaquer le deffenseur de la relligion, et renouveller les plaintes des bigots, ce seroit s'exposer à deux persécutions dont la dernière pouroit être d'autant plus dangereuse, que la première ne sera pas sans doute une deffense expresse d'écrire sur ces matières comme on deffendît à la comtesse de Pimbeche de plaider de sa vie.
Ma seconde raison, est que ceux qui auroient acheté la première édition qui se vendra assez cher, seront très fâchez d'être obligez de l'acheter une seconde fois pour une petite augmentation, et que les misérables insectes du parnasse, ne manqueront pas de dire que c'est un artifice pour faire acheter deux fois le même livre bien cher.
Ma troisième raison est que la chose est faite, et qu'il faut en passer par là.
A l'égard de la petite pièce de vers à melle Salé, je pense qu'il la faut sacrifier aussi dans un ouvrage tel que celuy cy, où les choses philosophiques l'emportent de baucoup sur celles d'agrément, et où la littérature n'est traitée que comme un objet d'érudition. De plus la petite épître à melle Sallé ayant déjà été imprimée pourquoy la donner encore dans un ouvrage qui n'est pas fait pour elle? Tenez vous en donc je vous en suplie aux lettres, et à l'antipascal. Cela fera un livre d'une grosseur raisonable sans qu'il y ait rien de hors d'œuvre. Je vous prieray aussi lorsque votre édition antipascalienne sera faitte, ce qui est l'afaire de huit jours, d'en dire un petit mot dans votre préface. Je croi qu'il faudra que vous acourcissiez le commencement, et que vous ne disiez pas que mon ouvrage sera content de sa fortune si etc. Je voudrois aussi, moins d'affectation à louer les Anglais. Surtout ne dites pas que j'écrivis ces lettres pour tout le monde, après avoir dit quatre lignes plus haut que je les ai faites pour vous. D'ailleurs je suis très content de votre manière d'écrire et aussi satisfait de votre stile que honteux de mériter si peu vos éloges.
On joue à la comédie italienne le temple du goust. La malignité y fera aller le monde quelques jours et la médiocrité de l'ouvrage le fera ensuitte tomber de luy même. Il est d'un auteur inconnu, et corrigé par Romagnesi, auteur connu, et qui écrit comme il joue. Si Aristophane a joué Socrate, je ne voi pas pourquoy je m'offenserois d'être barbouillé par Romagnesi. Les dérangements que nos préparatifs pour une guerre prétendue, font dans les fortunes des particuliers, me feront plus de tort que les Romagnesi, et les Lelio ne me feront de mal. Mais un peu de philosophie et votre amitié me font mépriser mes ennemis et mes pertes.
Adieu, écrivez moy souvent. Mandez moy si l'essay on man is of mr Whollaston or of mr Pope. Don't fail to see the uncowl'd benedictine Prevost Dexile. I would not have him write against me. The abbot Souchai is his correspondent. Farewell.