1709

Mercure galant, mai 1709 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, mai 1709 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1709 [tome 4]. §

[Nouvelle Relation de la Ceremonie de la reconnoissance du Prince des Asturies infiniment plus étenduë que la premiere, & remplie d’une infinité de circonstances dont on n’a point encore parlé, & qui doivent faire plaisir au Lecteur] §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 170-214.

Je vous promis dans ma Lettre du mois dernier de vous envoyer une Relation plus ample & plus circonstanciée que celle que je vous envoyois alors de la Ceremonie faite pour reconnoistre le Prince des Asturies, comme Heritier presomptif de la Monarchie d’Espagne. Je vous tiens parole, & je vous en envoye une dans laquelle l’Auteur qui est François, comme vous le remarquerez en plusieurs endroits de sa Relation, est entré dans de si grands détails que l’on peut dire que tous les pas y sont non seulement comptez ; mais qu’il a remarque jusqu’aux moindres mouvemens des yeux & du visage, & principalement tous ceux du Prince pour qui cette Ceremonie a esté faite ; & tout paroist si naturel dans cette Relation qu’il semble que la nature y parle elle même, ce qui m’oblige de vous l’envoyer dans les propres termes qu’elle a esté écrite, de crainte si j’y changeois quelque chose, de diminuer l’agrément de la sincere, & spirituelle naïveté, avec laquelle elle est écrite. Vous en pouvez juger en lisant ce qui suit.

DEPART.

Le 4e du mois d’Avril le Roy, la Reine & Monseigneur le Prince des Asturies, allerent au Buen-Retiro ; il n’y avoit rien de plus majestueux, toutes les ruës estoient tapissées & sablées, comme le jour de la Feste-Dieu. Le Roy precedé du carosse du Grand Escuyer, d’une partie de ses Gardes à cheval, & environné du reste dans son carrosse, commençoit la marche. La Reine paroissoit ensuite dans sa chaise à porteurs entourée de tous les Grands à pied, qui ont voulu suivre, ainsi Sa Majesté suivant l’étiquete. Il y en a eu jusques à de tres-vieux qui ont voulu remplir ce devoir, quoy que la Reine les en eut dispensez. Aprés suivoit un tres-magnifique carrosse où estoit Son Altesse Madame la Princesse des Ursins qui tenoit sur ses genoux Monseigneur le Prince des Asturies, qui est d’une vivacité surprenante ; il y avoit des Gardes autour de son carosse : ceux de la Reine, & de Madame la Princesse des Ursins, comme Camerera Mayor, venoient ensuite, & ceux des Duegna, & des Camaristes de la Reine fermoient cette marche ; on arriva sur les quatre heures aprés midy.

Le Dimanche 7e du même mois, les Dames se sont assemblées le matin chez la Reine. Sa Majesté les avoit nommées au nombre de 14. comme le Roy de France nomme celles qui doivent estre de Marly. Ces Dames sont toutes femmes de Grands ou de fils aînez de Grands, des Maisons les plus distinguées.

HABILLEMENS.

Elles avoient toutes des habits plus magnifiques les unes que les autres ; outre un nombre infini de diamans qu’elles avoient à leurs cheveux, aux oreilles, aux supports de leurs manches, aux supports de leurs queuës, & à leurs ceintures, elles avoient toutes au devant de leurs corps, des pieces entierement de diamans : il n’y avoit point de piece où il n’y en eut au moins cinquante ou soixante gros, & peut-estre plus de quatre cent petits.

Ce n’estoient que rubis, émeraudes, diamans & topazes ; comme cette derniere espece de pierres est la moins precieuse, c’est aussi celle dont j’ay vû le moins, & elle n’estoit employée que pour donner l’agréement de la diversité.

Madame la Princesse des Ursins avoit un habit de damas pourpre, orné de deux points d’Espagne d’or, d’un demy pied de haut, l’un au dessus de l’autre : sa juppe estoit un tissu d’or relevé avec un point d’Espagne : jamais Dame n’a eu l’air plus majestueux qu’elle en cette ceremonie : elle n’estoit que diamans, & si les autres Dames en avoient sur elles pour cinquante mille livres, Madame la Princesse des Ursins en avoit bien sur elle pour cinquante mille écus.

La Reine, avoit un habit de brocart à fond d’or, & à fleurs d’argent ; jamais on n’a vû rien d’approchant pour la beauté, & pour la quantité de diamans dont elle estoit toute couverte, on auroit crû en la voyant seule qu’elle avoit sur elle tous les diamans de l’Espagne.

Tous les Grands estoient vêtus magnifiquement. Ceux qui ont la Toison la portoient ce jour-là au bout d’une longue chaisne de diamans. Ceux qui ont la Croix de quelque autre Ordre de même, plusieurs avoient à leurs habits des boutons de diamans, à chaque boutonniere, on en voyoit un gros accompagné d’une douzaine de petits ; en un mot sur les hommes, on ne voyoit que velours, or, broderie, & diamans, entre autres Mr le Connestable, n’estoit que diamans, & avoit un habit d’une richesse admirable.

Aprés tant de magnificence, je m’attendois que le Roy, ne pourroit plus se distinguer que par la simplicité de son habit, mais son habit surpassoit tout ce que je pourrois vous dire ; il avoit un plumet rouge sur son chapeau, une infinité de diamans sur son habit, beaucoup plus gros, & plus brillans que tous ceux que j’avois vû jusqu’alors, entre autres, il en avoit un au lieu de bouton à son chapeau qui est d’une grosseur extraordinaire ; je n’exagereray point quand je vous diray qu’il est plus gros de beaucoup qu’un œuf de pigeon : en cet équipage le Roy est entré dans l’Eglise de saint Jerôme du costé de l’Evangile, & la Reine un moment aprés du costé de l’Epistre, sa robe estant soûtenue par Mr le Comte d’Aguilar.

EGLISE.

L’Eglise de Buen-Retiro, est construite presque comme celle des Jesuites de Paris. Dans cette Eglise on avoit fait un Echafaut de quinze ou vingt marches de haut qui regnoit de toute la largeur de l’Eglise, & qui prenoit depuis le maître Autel qu’on avoit rehaussé à proportion, jusqu’à la moitié de l’Eglise ou environ, comme vous diriez depuis le maître Autel des Jesuites jusques à la chaire du Predicateur.

Ses marches n’estoient pas de toute la largeur de l’Eglise, il s’en falloit bien deux toises de chaque costé ; ces deux toises de chaque costé & les extremitez des marches estoient bordées d’une balustrade d’argent massif, dont les piliers estoient presque aussi gros, aussi hauts, & de la mesme forme que ceux de la balustrade de marbre des Jesuites. Tout l’échafaut, & les marches estoient couvertes de tres-beaux tapis de Turquie ; sur cet Echafaut à gauche comme qui diroit dans l’encoignure que forme la Chapelle de Condé, estoient une infinité de Gardes rangez sur six ou huit lignes : devant eux, estoit le fauteüil de Mr l’Ambassadeur de France ; devant luy estoit une table couverte d’un tapis de velours rouge : de ce même costé estoient aussi huit Heraults d’armes un peu au dessous du fauteüil de Mr Amelot, & le Maître des Ceremonies. Dans l’encoignure opposée, estoient pareillement beaucoup de Gardes, & les 14. Dames nommées qui estoient rangées en un triangle tres-exact ; elles avoient toutes devant elles des carreaux de velours.

Du mesme côté entre les Dames & l’Autel, estoit un grand Dais pour le Roy, la Reine & Monseigneur le Prince des Asturies. En face de ce Dais de l’autre côté de l’Eglise entre l’Autel & le Fauteuil de Mr l’Ambassadeur, estoient un Fauteuil & un Prie-Dieu au-devant, le tout couvert de velours rouge avec des Crespines d’or.

De ce mesme côté entre le Prie-Dieu & l’Autel, estoient plusieurs Fauteuils pour Mr le Patriarche des Indes, & plusieurs Evêques distinguez : ils ont resté pendant toute la Messe à cette place, puis la Messe finie, comme ils n’estoient plus regardez comme Ecclesiastiques, mais comme Sujets du Roy, ils sont tous descendus au bas de l’Eglise, c’est-à-dire, à l’endroit qui estoit depuis la derniere marche de l’Echafaut jusqu’à la grande porte de l’Eglise. Là ils se sont assis du côté de l’Evangile en face des Grands qui estoient assis de mesme qu’eux sur des bancs du côté de l’Epitre.

Derriere les bancs où estoient assis les Evêques & les Grands, étoient de bout de chaque côtés deux rangs de Deputez, de Corredors, de Marquis, de Comtes, & d’autres Gens titrez, qui n’étant point Grands n’ont point droit de s’asseoir devant le Roy. Derriere ces Deputez estoient des deux côtez de l’Eglise deux rangs de Gardes du Corps, & les Cent Suisses du Roy & de la Reine ; les Deputez estoient au nombre de plus de deux cens.

Jamais on n’a vû l’Eglise mieux rangée, plus remplie, & d’un monde plus distingué. Comme les Grands estoient là pour prêter serment, & non pas precisement comme Grands, leurs bancs n’estoient point couverts dans cette Ceremonie, comme ils le sont dans toutes les autres.

ENTRÉE.

Le Roy est donc entré comme j’ay déja dit avec beaucoup de Gardes, les Herauts d’Armes devant luy, & Mr le Duc de Medina-Sidonia qui portoit une Epée nuë mediatement devant Sa Majesté.

Mr le Duc de Medina-Sidonia portoit l’Epée comme Grand Ecuyer, à la place & en l’absence du Comte d’Oropeza, cadet de la Maison de Mr le Duc d’Albe. Les Comtes d’Oropeza ont le le privilege hereditaire de porter cette Epée dans les grandes Ceremonies, & en leur absence cet honneur est dû au Grand Ecuyer.

Le Roy a monté sur son Trône, où il ne s’est point assis que la Reine n’ait eu pris sa place ; elle donnoit la droite au Roy, & le Prince des Asturies qui estoit au-dessous d’elle porté par Me de Salcedo Sous Gouvernante, donnoit la droite à la Reine.

Ensuite Me la Princesse des Ursins s’est assise à côté du Prince, mais au-dessous & dans un rang distingué ; elle avoit sous elle deux Carreaux de velours, comme Camarera Major, ce que n’ont aucunes des Grandes d’Espagne. Derriere elle estoient toutes les Grandes en la maniere que j’ay marqué.

Quand les Têtes Couronnées eurent esté placées, & Me la Princesse des Ursins, toutes les Grandes d’Espagne nommées, sont entrées par la Porte par où la Reine estoit entrée, & pour se placer où nous avons dit, elles ont passé devant le Roy, toutes deux à deux, avec des queuës une fois plus grandes que les plus longues des Dames de nostre Cour ; cela avoit une grandeur & une majesté charmante.

Quand le tout a esté placé, Monsieur le Cardinal Portocarrero qui avoit toûjours resté assis sans Mître du côté de l’Epitre, entouré de douze Chapelains d’honneur tous en Chapes magnifiques, s’est fait mettre la Mître & donner sa Crosse, puis assisté seulement de deux Officiers, il a fait trois inclinations profondes, une au Roy, une à la Reine, & une au Prince des Asturies ; ensuite il s’est tourné du côté du Dais, & a salué les Grandes d’Espagne. Enfin tournant tout-à-fait le dos à l’Autel, il a profondement salué tous les Grands, & tous les Deputez qui estoient au bas de l’Eglise, puis il s’est avancé vers l’Autel, dont le devant estoit d’argent massif, plus grand, plus épais & plus riche que celuy des Jesuites.

MESSE.

On a chanté le Veni Creator, à la fin duquel il a celebré la Messe Pontificalement ; la Musique estoit placée au-dessus de la grande Porte de l’Eglise.

À l’Evangile Mr le Patriarche a pris le Livre, & l’a porté baiser au Roy, à la Reine & au petit Prince, qui fidele imitateur de tout ce qu’il voit faire a baisé le Livre comme le Roy & la Reine, puis luy a fait un petit signe de teste pour le remercier, ce qui a fait rire tous ceux qui estoient dans les Tribunes, & ceux qui pouvoient l’apercevoir du bas de l’Eglise.

Au Lavabo deux Grands d’Espagne, sçavoir Mr le Duc de Veraguas, & Mr le Comte d’Altamira ont donné à laver au Cardinal. Un instant aprés Mr le Patriarche a pris l’encensoir, & a donné trois coups d’encens au Roy, trois à la Reine, & trois au petit Prince qui rioit de cette Ceremonie, & qui luy a fait une inclination toute jolie.

Il regnoit un fort grand silence dans l’Eglise, vû la quantité de personnes qui y estoient ; mais lors qu’on approchoit cet aimable Prince, on entendoit un riant murmure s’élever par tout à cause de la gentillesse avec laquelle il recevoit tous les honneurs qu’on luy faisoit ; ce murmure a particulierement éclaté à l’Agnus Dei, lors que le Patriarche le luy a apporté à baiser, parce qu’il luy a donné à baiser, ce que le Roy & la Reine n’avoient pas-fait.

CONFIRMATION.

À la fin de la Messe on a deshabillé Mr le Cardinal ; on luy a donné à laver : Mr le Comte de Palme Grand d’Espagne luy a presenté la serviette pour essuyer ses doigts. Aprés que son Eminence a esté deshabillée, elle a esté s’asseoir dans le fauteüil en face du Roy, ayant le Prie-Dieu devant elle. On a ensuite habillé Mr le Patriarche en habits Sacerdotaux, puis il s’est assis dans un fauteüil de velours rouge en face de tous ceux qui estoient au bas de l’Eglise du costé de l’Evangile : là on luy a apporté le petit Prince porté par la Sous-Gouvernante & conduit par Me la Princesse des Ursins : il s’est mis à crier de toute sa force, tant ce grand Patriarche en Mitre luy faisoit de peur ; ce qui luy fit redoubler ses cris, ce fut lorsqu’il vit ce grand Prestre lever ses bras pour le Confirmer, & luy donner ensuite un souflet, mais ce qui luy fit plus de peine, ce fut le Bandeau que luy mit Mr le Cardinal Portocarrero son Parrain de Confirmation : il faisoit mille efforts pour l’oster, & à peine fut-il retourné vers la Reine qu’elle le luy osta au plus viste, & ses pleurs cesserent aussitost.

Ensuite le Patriarche se tourna vers l’Autel, & entonna le Te Deum, à la fin duquel il dit une Oraison, puis on le deshabilla ; on mit aussi-tost devant le Roy & la Reine sous le même Dais un fauteüil dans lequel on a mis le petit Prince, & où tout le monde luy a baisé la main.

Mr le Patriarche s’estant des-habillé s’est remis à sa place au coin de l’Evangile ; on a habillé Mr le Cardinal, puis il s’est assis dans un fauteüil au milieu de l’Autel vis-à-vis de toute l’Assemblée : on a mis devant luy une table magnifiquement couverte ; sur cette table, on a mis le Livre des Saints Evangiles, & un Crucifix d’argent, & au bas de la Table un carreau de velours pour agenoüiller tous ceux qui viendroient faire leur premier Serment.

SERMENT.

À l’instant le Roy s’estant couvert, un Herault qui avoit la voix tres-forte, a crié par trois fois Oïté, qui veut dire Ecoutez, faisant des pauses à chaque fois. À la premiere il estoit tourné du costé du Peuple ; à la seconde du costé des Grands ; à la troisiéme du costé du Roy, de la Reine, de l’Ambassadeur, du Patriarche, du Cardinal, & des Assistans.

Dés le premier Oïté, il s’est fait dans l’Eglise un si grand silence qu’il sembloit qu’il n’y avoit personne ; ce Herault dit ensuite qu’on alloit lire l’Acte par lequel on reconnoissoit le Prince des Asturies pour le seul, legitime & unique heritier de toutes les Couronnes d’Espagne ; les Dames se levoient à chaque fois qu’on prononçoit l’une des trois Testes Couronnées, & faisoient de grandes reverences, comme à l’Evangile.

Un homme en Robe & en Gonille, & le seul de toute l’Assemblée qui y fust, a lû l’Acte de Reconnoissance, puis le Herault a crié encore trois fois Oïté, avec les mêmes Ceremonies. Il a appellé en Espagnol Mr le Duc de Medina-céli, pour recevoir dans ses mains les deux mains jointes de ceux qui viendroient prêter leur second Serment ; il representoit le petit Prince, & faisoit ce qu’il auroit dû faire s’il eust esté plus âgé, & capable de tenir les mains des autres.

Mr le Duc de Medina-céli est donc venu du bas de l’Eglise, & s’est mis debout à costé de Mr le Cardinal. Ceux qui avoient juré à genoux sur les Saints Evangiles, aprés avoir baisé le Crucifix se relevoient, mettoient leurs mains dans celles de Mr de Medina-céli, renouvelloient leur Serment, puis alloient baiser les mains du Prince, ensuite celle du Roy, & puis celle de la Reine.

Le Patriarche a juré le premier, tous les Archevêques & Evêques ensuite, puis les quatre Capitaines des Gardes, tous les Titrez & Majordomes & autres ; enfin tous les Deputez des Villes, Provinces, Royaumes, qui estoient deux de chaque endroit, &c.

Il faut remarquer que le Herault appelloit chaque rang l’un aprés l’autre ; lorsqu’il a appellé les Deputez de Burgos & de Tolede, ces quatre Deputez sont venus de front du fond de l’Eglise jusques contre le carreau de velours où l’on s’agenoüilloit pour jurer sur les Saints Evangiles. Là ils se sont mis deux contre deux, & du plus grand serieux du monde, ils se poussoient rudement, & se disputoient le pas : le Roy a appellé à luy Burgos & Tolede, aussi-tost ils ont cessé de se pousser, & se sont agenoüillez tous quatre au bas du Trône de Sa Majesté ; le Roy, leur a demandé en Espagnol pourquoy ils se poussoient, Tolede a répondu, Sire, c’est parce que Burgos veut passer devant moy. À quoy le Roy a répondu : allez Burgos, Tolede viendra quand je l’appelleray. Aussi-tost les deux de Burgos ont presté le Serment, & les deux de Tolede s’en sont retournez, & ne sont revenus que les derniers immediatement avant le Cardinal Portocarrero. Cette ceremonie se fait pour conserver le droit de Tolede, comme on fait à peu prés entre le Parlement & la Chambre des Comptes à Paris.

On a deshabillé ensuite Monsieur le Cardinal qui a esté s’asseoir dans son fauteüil vers le Prie-dieu, cependant on habilloit Mr le Patriarche, & ayant esté habillé, il s’est mis dans le fauteüil vis-à-vis la table où estoient les Saints Evangiles pour le premier Serment ; alors Mr le Cardinal est sorti de son fauteüil, & il est venu faire son premier Serment à genoux devant Mr le Patriarche, & Mr de Medina-céli a reçu son Serment qu’il a fait debout comme avoient fait les autres. Ainsi Mr le Cardinal ferma la ceremonie ; ensuite Mr le Patriarche entonna le Te Deum, & chacun se retira.

Il y a fort longtemps que cette ceremonie du Couronnement n’avoit esté pratiquée pour un Prince des Asturies ; elle a duré prés de trois heures, & s’est faite sans aucune confusion.

RETOUR.

Le Samedy 20. du même mois d’Avril le Prince des Asturies fit son Entrée dans Madrid.

Le Corps de Ville, Corregidor, Echevins, Archers estoient 2. à 2. à cheval, les Archers à verge, & les Huissiers tenant des baguettes blanches & une épée de Garde comme le Guet à cheval de Paris, estoient seuls en Gonille ; ensuite on voyoit un grand nombre de Gardes du Corps de la Compagnie de Mr le Comte d’Aguilar, avec plusieurs Officiers à leur teste, tous l’épée à la main, & montez sur des chevaux dont le moindre valoit 2000 l. au jugement des Connoisseurs, tous aussi bien faits que les Gardes du Roy, tous habillez de neuf avec des galons d’argent sur toutes les coûtures : aprés eux marchoient les Cent-Suisses du Roy à pied ; ensuite marchoit le Carosse du Roy attelé de huit belles mules ; l’imperiale & les côtez du Carosse estoient couverts d’un drap d’or magnifique, le Roy dedans avec plusieurs Grands, & Mr le Duc d’Ossone Capitaine des Gardes du Corps de quartier ; aprés les Carosse du Roy, marchoient les Cent-Suisses de la Reine deux à deux : un tres-grand nombre de Grands d’Espagne alloient à pied immediatement devant & au costé de la Chaise de la Reine, qui estoit magnifique ; ensuite marchoient les Pages habillez d’un velours bleu avec des galons d’or sur toutes les coutures.

La Chaise de la Reine estoit suivie de celle de Me la Princesse des Ursins, Camarera-Major ; elle estoit toute noire parce que les veuves en Espagne portent le deuil toute leur vie.

Ensuite marchoient les Cent-Suisses du Prince : ses douze Pages habillez comme ceux du Roy & de la Reine, alloient à costé de son Carosse, qui estoit magnifique ; il estoit dedans porté sur les genoux de Me la Princesse des Ursins ; la Sous-Gouvernante & la Nourrice estoient sur le devant. Enfin cette marche estoit fermée par 400. Gardes du Corps à cheval, des Compagnies de Mr le Duc d’Ossone, de Mr le Prince de Serclas, & de Mr le Duc de Popoli, qui suivoient le carosse, & par plus de cent Carosses de Grands, qui suivoient les Gardes.

À l’entrée de la Ville estoit rangé en haye le Regiment du Prince des Asturies, appellé le Regiment de los Muchachos, c’est-à-dire, des petits Garçons, on l’appelle ainsi, parce que ce Regiment a esté formé d’un nombre de petits Garçons qui s’aviserent le jour de la naissance du Prince, de faire l’exercice à leur mode autour du Chasteau, disant qu’ils estoient les Gardes du Prince ; cela donna lieu de former un Regiment de ceux d’entr’eux, que leurs peres voulurent bien y mettre : on les éleve aux dépens du Prince qui les habille, les nourrit, leur fait apprendre leurs exercices, & leur donne une paye proportionnée à leur âge ; comme ce petit Regiment est encore trop foible pour garder le Prince, on l’occupe à bastir un petit Fort dont un Ingenieur leur trace le Plan, & leur explique les differentes parties pour leur apprendre les Fortifications & la maniere de l’attaquer, & de le défendre. Ils y travaillent avec une dexterité & une docilité admirable sous les ordres du Colonel qui a environ 20. ans ; il y a déja plusieurs ouvrages de faits, & on en formera de toutes façons qui serviront à apprendre la guerre au Prince des Asturies quand il sera en âge ; ce Fort se bâtit le long du Mail : la situation en est assez avantageuse, d’autant que le long de ce Mail il y a un grand Canal ; ce sera une espece de riviere qu’il faudra passer pour aller attaquer les ennemis dans le corps de la Place ; c’est ainsi que la prudence du Roy d’Espagne a sçû tirer d’un jeu d’enfans, un moyen de procurer au Prince des troupes qui luy seront tres-affectionnées, & une occasion de le former au métier de la guerre, en sorte qu’il n’ignore de rien de ce que doit sçavoir un General. Ces Muchachos firent trois inclinations de leurs mousquetons, une au carosse du Roy, une à la chaise de la Reine, & la 3e au carosse du Prince ; à chaque fois les drapeaux du Regiment baissoient, & les tambours redoubloient.

Au reste, toutes les ruës par où devoit passer le Prince, estoient sablées & tapissées : il y avoit des tapis magnifiques à tous les balcons, c’est-à-dire, à toutes les fenestres ; car dans Madrid, il n’y a point de fenestre sans balcon : les balcons de la ruë des Orfevres estoient ornez de bassins d’argent, de vermeil, & d’autres bassins garnis de pierreries avec un arrangement tout à fait agreable à la vûë ; il sembloit que le Soleil vouloit seconder le zele de ces bonnes gens, tant il eut soin d’augmenter l’éclat de cette argenterie, par les rayons qu’il dardoit dessus. Enfin le peuple transporté de joye crioit de tout son cœur : Viva Philippe quinto, viva la Savoyana, viva Luis Primero, les hommes jettoient leurs chapeaux en l’air pour signal de leur joye, & les femmes faisoient voltiger leurs mantilles. Je suis Monsieur, &c.

Si je n’estois accablé par le grand nombre de choses dont j’ay encore à vous parler avant que de finir ma Lettre, je pourrois ajouter à la Relation que vous venez de lire, une autre Relation des épanchemens de joye que tout le Peuple de Madrid fit paroistre pendant toute la soirée ; mais la joye qu’il avoit marquée dés qu’on eut commencé à parler de reconnoistre le Prince des Asturies de la maniere que je viens de décrire, peut aisément faire deviner les vifs transports de joye de ce peuple, aprés la consommation d’un si grand Ouvrage dans un temps si convenable. Je vous diray donc seulement que le soir toute la Ville de Madrid fut illuminée, & qu’il y eut un grand Feu d’Artifice devant le Palais, à l’issuë duquel la joye du Peuple éclata dans toutes les ruës de Madrid.

[Mariage] §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 264-289.

Mr de la Verdoin Conseiller de la Seconde Chambre des Enquestes, a épousé Mademoiselle Mogniat fille de Mr Mogniat d’une des plus considerables familles de Lyon, où il est estimé & consideré, & sœur de Mr Mogniat Seigneur de Fontaniere & de Conflans sur le Rône, Greffier en chef de la Cour des Monnoyes de Lion. Le Mariage à esté celebré dans la Chapelle du Château de Bagnolet dont Mr le Juge, oncle de la nouvelle Epouse, est Seigneur. Il a regalé pendant trois jours un grand nombre de personnes de Consideration qui toutes ont esté charmées de ses manieres genereuses & engageantes.

Mr l’Archevêque de Lyon à donné la Benediction nuptiale à Mr le Marquis de Rochebonne & à Melle de Seve-Laval. Il est Colonel Reformé de Cavalerie à la suite du Regiment de Villeroy, & il avoit esté auparavant Exempt des Gardes du Corps. Il est frere cadet de Mr l’Evêque de Noyon ; & fils de Mr le Comte de Rochebonne, Commandant dans les Provinces de Lyonnois, Forez & Beaujollois. Mr le Chevalier de Rochebonne son frere se noya à l’affaire où Mr le Chevalier de Villeroy perit il y a 8. ou 9. ans. Il a un autre frere Comte de Saint Jean de Lyon & Chantre de la même Eglise, & cinq sœurs Religieuses de la Visitation dans le Convent de Sainte Marie des Chaînes de Lyon. Me la Comtesse de Rochebonne leur mere, est sœur de Mr l’Evêque de Carcassone. La nouvelle Marquise de Rochebonne est fille de feu Mr le President de Laval, dont je vous apris la mort dans ma Lettre du mois de Novembre dernier, & de feüe Dame N… de Seve Chasteaumorand sœur de Mr le Marquis de Chasteaumorand & de Mademoiselle de Chasteaumorand. La Maison de Seve est ancienne & divisée en plusieurs branches. Mr l’Evêque d’Arras est de celle qui estoit établie à Paris, & dont feu Mr de Seve, Conseiller d’Etat, estoit Chef.

Mr le Marquis d’Anseny second fils de Mr le Duc de Charrost, a épousé Melle d’Antraigues, fille de Mr d’Antraigues, & de Dame N… de Valencey fille d’une sœur de feu Mr le Maréchal de Luxembourg, & de feüe Me la Princesse de Mekclebourg ; de maniere que la nouvelle épouse est petite-niéce de ce Maréchal & de cette Princesse ; elle est sœur de Me d’Antraigues Religieuse de la Visitation dans le Faubourg Saint Jacques, connuë par la beauté de son esprit. Elle est celebre par les progrés qu’elle a fait dans la Philosophie du Pere Malle-branche & par l’attachement que feüe Me la Duchesse d’Epernon, morte il y a prés de 4. ans, avoit pour elle ; le raport qu’il y avoit du côté de l’esprit entre ces deux Dames les avoit unies, & le succés des études qu’elles avoient fait ensemble, n’avoit fait que resserrer les nœuds de leur amitié.

Mr le Marquis d’Anseny est sorti du Mariage d’Armand de Bethune Duc de Charrost, Gouverneur de Calais & Lieutenant General de Picardie, & de Marie Fouquet fille de Nicolas Fouquet, Vicomte de Vaux, Procureur General au Parlement de Paris & Sur-Intendant des Finances, & de sa premiere femme, sortie d’une des plus anciennes familles de Bretagne. Loüis Duc de Charrost Lieutenant General au Gouvernement de Picardie & Chevalier des Ordres du Roy, & Marie Lescalopier, dont le petit-neveu aujourd’huy Maistre des Requestes & Intendant du Commerce, a épousé Dame N… Charrier, estoient pere & mere de Mr le Duc de Charrost. Loüis estoit Capitaine des Gardes, & avoit esté honoré de la qualité de Duc en 1672. Il forma la branche de Charrost, & il estoit le troisiéme fils de Philippe de Bethune, & de Catherine le Bouteiller de Senlis. Il fut fort cher au Cardinal de Richelieu, & Mr de Rochefort raporte dans ses Memoires, le moyen qu’il employa pour s’insinuer dans les bonnes graces de ce Cardinal. La Ville de Bethune dans l’Artois sur la petite Riviere de Brette, a donné le nom à cette Maison, qui descend de Robert I. dit Fuisseux, Avoüé d’Arras, vivant en 1001.

Mr de Mailly Marquis de Néelle, a épousé Mlle de Mazarin. Leur Contract a esté signé par le Roy & par toute la Maison Royale, ainsi que par un grand nombre de personnes de la plus haute distinction. Ce Mariage fut celebré le mois dernier à une heure du matin dans la Chapelle du Palais Mazarin, & la Benediction nuptiale fut donnée à ces jeunes époux par Mr l’Evêque de Lavaur, oncle de Mr le Marquis de Néelle. Ce Prelat leur fit avant la Ceremonie un Discours sur le Sacrement qu’ils alloient recevoir, & sur les devoirs que ce Sacrement exigeoit d’eux. Ce qui se passa devant une fort nombreuse Assemblée, puis qu’outre les Parens de ces nouveaux époux, qui sont en grand nombre, & fort distinguez par leur naissance & par leurs Emplois, plusieurs Seigneurs de la Cour, & plusieurs Dames assisterent à cette Ceremonie.

Elle fut precedée de divers Concerts qui plurent beaucoup, tant à cause de la beauté des voix que du choix que l’on avoit fait des plus habiles joüeurs d’Instrumens. On s’ocupa aussi, en attendant l’heure de la celebration du Mariage, à diverses sortes de jeux, pour lesquels on trouva un grand nombre de Tables garnies de tout ce qui estoit necessaire pour ce divertissement, ensuite de quoy Mr le Duc de la Meilleraye donna un magnifique soupé. Il y eut deux Tables chacune de vingt-cinq couverts. Les services furent au nombre de quatre, & precedez par huit Maistres d’Hostel, & les Plats furent portez par cinquante Suisses. Les Salles, Sallons, Chambres, Anti-chambres, & Cabinets de ce Palais richement Meublé, brilloient par une infinité de Lumieres qui remplissoient un grand nombre de Lustres, de Plaques & de Girandoles, & qui faisoient remarquer la dorure & la Peinture des Platfonds, enrichis de Tableaux faits par les plus excellens Maîtres du dernier siecle, ainsi que la peinture de la voûte de la Gallerie d’environ vingt toises de longueur qui est de la main du même Romanelle qui a peint au Louvre l’Apartement d’Esté de la feüe Reine Mere. On voit dans la Gallerie du Palais Mazarin, Jupiter tonnant son foudre à la main, les Graces, les Muses, Apollon, Daphné, le Jugement de Paris le Ravissement d’Helene, & l’Embrasement de Troyes. Cette même Gallerie est ornée de Tableaux, de Bustes, de Figures de Marbre, de Cabinets de Porphire, & de differens ouvrages de la Chine.

Les Divertissemens recommencerent le lendemain aprés dîné, & le soir il y eut Comedie Italienne dans une Salle magnifique & toute brillante de lumieres.

Mr le Marquis de Néelle est jeune & bien fait ; il n’a pas encore vingt-deux ans. Cependant il a déja donné des marques de sa valeur dans plusieurs occasions des plus vives & des plus perilleuses. Il n’est pas moins galant que brave, & rien ne peut aller plus loin que les preuves qu’il fit paroître de sa magnificence & de sa galanterie dans une occasion où chacun est obligé d’en donner, ce que l’on fait ordinairement selon que l’on est amoureux, liberal, & galant, & il parut que toutes ces qualitez luy estoient justement duës dans tous les presens qu’il fit, & dans la maniere dont il les accompagna, & toute l’Assemblée eut des marques essentielles d’une galanterie toute spirituelle. Ceux qui ont l’honneur de servir son illustre Epouse en avoient eu des marques auparavant, & les femmes qui sont auprés d’elle, n’eurent pour avoir des habits de la plus grande beauté, selon leur employ, que la peine de choisir des étoffes selon leur goust.

Ce jeune Seigneur, est Capitaine des Gendarmes Ecossois, & commande la Gendarmerie, ceux qui sont pourvus de cette Charge ayant toûjours eu ce Commandement que Mr le Marquis de Roussy Lieutenant general des Armées du Roy, avoit avant luy.

Mr le Marquis de Néelle, Prince de l’Isse sous Montreal, & dont je vous apprens le mariage, est fils de feu Mr le Marquis de Mailly & de Néelle, qui fut tué au Siege de Philisbourg en 1688. Il estoit Maréchal de Camp, & Colonel du Regiment de Condé.

La Maison de Mailly est des plus illustres de Picardie. Elle a tiré son nom de la Terre de Mailly prés d’Amiens. Nicolas de Mailly se croisa au commencement du 13e siecle & il fut Chef d’une Escadre de Vaisseaux qui servit l’an 1202. pour la prise de Constantinople. Gilles son fils suivit le Roy Saint Loüis en son premier voyage d’Outremer. Gilles 3. son petit-fils épousa l’heritiere de l’illustre Maison de Coucy. Antoine, l’un des petits-fils de celui-ci fut un des plus grands Capitaines de son siecle. Il épousa en 1508. Catherine d’Astarac, fille de Jean Comte d’Astarac, & c’est de luy que feu Mr le Comte de Mailly, grand-pere de celuy qui vient de se marier, & qui épousa par dispense Marguerite de Monchy sa cousine germaine, estoit issu. Anselme de Mailly estoit Gouverneur de Flandre sous la Comtesse Richilde dans le onziéme siecle, & Mathieu de Mailly fut grand Chambellan de France en 1270.

Si je voulois vous parler des freres & sœurs du pere du nouvel Epoux, cet Article seroit trop étendu. Je vous diray seulement qu’il y a un Archevêque d’Arles, & un Evêque de Lavaur ; que Loüis, Chevalier Comte de Mailly, decedé depuis plusieurs années, & qui avoit épousé Mlle de Sainte Hermine, aujourd’hui Dame d’Atour de Madame la Duchesse de Bourgogne, étoit leur frere. Il avoit esté Colonel du Regiment de Bassigny, & ensuite de celuy des Vaisseaux ; Maréchal des Camps & Armées du Roy, & Mestre de Camp General des Dragons de France ; Marie Louise Abbesse de Lavaur, & Jeanne-Charlote Roze, Prieure perpetuelle du Monastere Royal de S. Loüis de Poissy.

Le pere de ce nouvel Epoux avoit épousé en 1687. Marie de Coligny, fille de Jean de Coligny Comte de la Mothe-St Jean, Lieutenant General des Armées du Roy, celebre par beaucoup d’actions de valeur, & pour avoir commandé le secours envoyé par le Roy à l’Empereur contre les Turcs l’an 1664. & gagné la fameuse bataille de Saint Godart. Par ce Mariage la Maison de Mailly est alliée à celles de France, d’Angleterre, & de Nassau, puisque Jean de Coligny étoit arriere petit-fils du celebre Gaspard II. de Coligny Seigneur de Chastillon & Amiral de France, dont la fille, Louise de Coligny, épousa Guillaume de Nassau Prince d’Orange. Ce dernier de Henriette Marie d’Angleterre, fille de Charles I. Roy d’Angleterre, & d’Henriette-Marie de France, a eu Guillaume Henri de Nassau Roy d’Angleterre.

Je passe à ce qui regarde la nouvelle Epouse. Elle n’a qu’environ 17. ans, elle est bien faite ; sa taille est des plus avantageuses ; sa douceur repond à sa vertu ; ses manieres sont agreables, & souvent mêlées d’un enjoüement qui fait plaisir.

Feu Mr le Cardinal Mazarin ayant amassé de grands biens & n’ayant point d’heritiers qui portassent son nom, jetta les yeux sur Armand Charles Duc de la Meilleraye & de Mayenne, Pair de France, Chevalier des Ordres du Roy, Lieutenant General de ses Armées, Gouverneur de la haute & basse Alsace, Grand Bailly d’Haguenau &c. Grand Maître de l’Artillerie, & fils de Charles de la Porte Duc de la Meilleraye Maréchal de France & Grand Maître de l’Artillerie, Chevalier des Ordres du Roy, Lieutenant general de la haute & basse Bretagne, Gouverneur de Nantes, & de Brest ; & de Dame Marie Ruzé, fille d’Antoine Marquis d’Effiat Maréchal de France. Mr le Cardinal Mazarin, dis-je, trouvant en Armand Charles, Duc de la Meilleraye, une grande probité & toutes les qualitez qu’il souhaitoit dans celuy qu’il vouloit faire heritier de son nom, de ses Armes, & de ses grands biens, jetta les yeux sur luy pour luy faire épouser Hortence de Mancini sa niéce, heritiere de tous ses biens, & qui passoit alors pour une des plus belles personnes de France. C’est de ce Mariage qu’est sorty Mr le Duc de la Meilleraye, pere de la nouvelle épouse. Ce Duc épousa Charlote Felix Armande de Durfort, fille de Jacques Henry de Durfort, Duc de Duras Maréchal de France, Chevalier des Ordres du Roy Gouverneur du Comté de Bourgogne, & en particulier de la Ville & Citadelle de Bezançon, Capitaine des Gardes du Corps, & General des Armées de Sa Majesté. C’est de ce Mariage qu’est venuë Mlle de Mazarin, qui vient d’épouser Mr le Marquis de Néelle.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 289-290.

Pendant que ces nouveaux époux goûtent les plaisirs que leurs donnent leurs jeunes années. Je passe aux effets que produit sur la Terre le retour de la saison nouvelle que l’on nomme Printemps.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Que ne devons-nous pas au retour du Printemps, doit regarder la page 289.
Que ne devons-nous pas au retour du Printemps ?
Il chasse de l’Hiver l’inhumaine froidure
Paré de mille fleurs, ombragé de verdure,
Il enrichit nos bois, il embellit nos Champs.
Que ne devons-nous pas à l’Auteur du Printemps ?
Il rend à nos ruisseaux leur cours & leur murmure,
Il redonne aux Oiseaux leurs chants,
Il ranime nos cœurs & toute la nature,
Redit cent & cent fois dans ces jeux innocens
Que ne devons-nous pas, &c.
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[Nouveau système de musique]* §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 290-293.

Je vous ay parlé dans quelques-unes de mes Lettres, d’une Musique à laquelle on donne le nom de Naturelle, & je vous en ay envoyé le Systeme. L’Air dont vous venez de lire les paroles a esté fait sur cette nouvelle maniere de composer. Quoy qu’elle n’ait pas besoin de lignes & de clefs pour se faire connoistre, parce que les caracteres dont elle se sert, (estant les premieres lettres de chaque Note) s’expliquent assez d’eux-mêmes, on les a cependant (pour les faire encore mieux comprendre) placez sur les lignes, & avec la clef qu’on nomme dans la Musique ordinaire C sol ut b mol, avec la lettre D qui signifie Dessus, qui seule suffit dans cette Musique nouvelle. Il faut observer qu’outre la valeur des Nottes marquée dans chaque caractere, elle en designe encore la nature & le nom par elle-même, ce qui ne se trouve dans l’autre que par rapport à une multiplicité de clefs, dont au sentiment de l’Inventeur de cette nouvelle Musique, la pratique est tres-difficile, & dont la parfaite habitude ne s’acquiert ordinairement qu’en s’y formant dés l’enfance. L’Air & les paroles sont de Mr Durand Avocat au Parlement. L’application qu’il a pour d’autres ouvrages qui regardent les Sciences, principalement celles de sa Profession (dont il a donné quelques essais au Public sous le titre d’Introduction au Barreau) ne l’empêche pas de faire de temps en temps quelque revûë sur cette nouvelle Musique, dont il a donné le Systême dés le commencement de ce siecle.

[Grammaire Française, sur un plan nouveau pour en rendre les principes plus sûrs, et la pratique plus aisée] §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 297-299.

Le public attend avec une impatience qui doit estre obligeante pour l’Auteur, un Livre que l’on acheve d’imprimer. Il est du Pere Buffier Jesuite. Cet Ouvrage a pour titre.

Grammaire Françoise sur un Plan nouveau, pour en rendre les principes plus surs, & la pratique plus aisée.

Outre la Grammaire pratique, ce Volume contient divers Traités particuliers : sur la nature de la Grammaire en general & chacune de ses parties : sur le vrai caractere de l’usage : sur la beauté réelle ou arbitraire des langues : sur la meilleure maniere de les aprendre : sur l’idée qu’on doit avoir du stile & de ses qualitez : sur la diférence des ortographes usitées en France & leur divers fondemens : sur les accens & les autres figures necessaires dans l’ortographe : sur la quantité où la longueur des syllabes Françoises : sur la prononciation : sur la ponctuation, & sur d’autres sujets qui peuvent servir à parler & à écrire correctement, avec un Abregé Latin de la Grammaire Françoise en faveur des Etrangers. Ce Volume est in 12.

[Entretiens du Juste & du Pecheur] §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 299-322.

Il paroist depuis peu un Livre nouveau intitulé,

Entretiens du Juste & du Pecheur, sur la Proposition ; l’homme souffre beaucoup plus de maux & de peines pour se damner que pour se sauver ; Dediez à Messieurs de l’Academie Françoise. Par un Pere de Famille, Ancien Avocat au Parlement de Paris.

Je crois vous faire plaisir en vous apprenant que ce Livre est de Mr Lordelot, dont tous les Ouvrages sont d’une grande utilité au Public, & regardent la conduite que l’on doit tenir dans la vie. Ils inspirent la pieté, l’amour de la vertu, & l’horreur que l’on doit avoir pour les vices. Si la lecture de cet Ouvrage produisoit sur tout le Public les effets qu’il a produit sur moy, ce Livre ce trouveroit bien-tost dans toutes les Familles. Je ne puis mieux vous en faire connoistre le sujet qu’en vous en envoyant la Preface.

L’Aveuglement ou la pluspart des hommes sont, de suivre le torrent impetueux du monde, & de marcher avec une fausse assurance dans la voye large & spacieuse qui conduit à une perdition éternelle ; & la prévention funeste qu’ils ont, de s’imaginer que le chemin du Ciel est difficile & fâcheux ; ont engagé la personne qui a travaillé à ces Entretiens, de faire son possible pour tirer le pecheur d’une erreur si grossiere & si dangereuse, en luy montrant par des raisons naturelles & sensibles, & même par sa propre experience : Qu’on souffre beaucoup plus de maux & de peines pour se damner que pour se sauver.

Il est vray que si on regarde les choses dans des vûës purement humaines, & si on veut suivre les mouvemens de la nature corrompue, rien ne paroist plus facile ni plus aisé, que de s’abandonner aux plaisirs sensuels ; que de satisfaire ses inclinations ; que de se laisser entraîner au penchant qui nous porte au mal, & de ne rien refuser à ses appetits dereglez : tout semble alors doux & agreable ; c’est aussi ce malheureux charme & cette illusion trompeuse qui seduit la pluspart des hommes, & qui les conduit au précipice.

Ce qui les trompe encore & qui les rebute, sont les difficultez qu’ils se persuadent qu’on trouve dans le chemin du Ciel ; puisque, (disent-ils) l’Ecriture nous apprend que l’entrée en est petite ; que la voye qui y conduit est étroite ; que peu de personnes la suivent ; qu’il se faut faire violence, dompter ses passions, fuir les plaisirs, pratiquer la penitence. Cet objet qui paroist austere les effraye, & sans faire de serieuses reflexions sur ces salutaires enseignemens ; ils s’abandonnent à la corruption de leurs cœurs, & aux depravations du siecle.

Mais si d’un autre côté ils se veulent faire justice & avoüer ingenuëment, que les voyes dans lesquelles ils marchent sont encore plus difficiles ; combien ils sentent d’amertumes dans les faux plaisirs du monde ; qu’elles sont les peines, les fatigues, les dépenses, les rebuts, & les maux qu’ils souffrent dans la jouissance de ces indignes satisfactions ; combien leur coûtent leurs voluptez criminelles, la honte, l’opprobre, & la pauvreté qui les suivent ; s’ils veulent réflechir sur les soins fatiguans que leur causent l’ambition, sur les tourmens interieurs de l’envie qui les déchirent, & sur les precipices affreux où les conduisent toutes leurs autres passions.

Mais sur tout s’ils veulent convenir de bonne foy des remords cruels de leur conscience qui les dévorent, du trouble continuel où ils sont, & de l’horreur de leurs crimes qui se presentent sans cesse à leurs yeux, & qui les menace continuellement des justes chastimens de Dieu : Ne sont-ils pas contraints de demeurer d’accord, qu’ils souffrent de cruels supplices, & qu’ils sont éfectivement les plus malheureux de tous les hommes.

Si d’une autre part ils considerent attentivement que les Ecritures qui nous disent que le chemin du ciel est étroit & difficile, nous assurent de l’autre, que le joug du Seigneur est doux & agreable ; que le fardeau qu’il nous impose est leger, que les peines qu’on y rencontre sont agreables. S’ils écoutent la voix qui nous invite si amoureusement à goûter les douceurs inconcevables qu’il y a à servir Dieu, qui nous promet de nous soulager dans nos maux, de nous consoler dans nos afflictions, de nous donner des forces pour soûtenir les fatigues de nostre voyage, de nous nourrir d’un pain tout celeste, de crainte que nous ne tombions en défaillance dans le chemin ; qui nous anime par la récompense, & qui nous couronne par la gloire ; on effacera bien-tost de son esprit toutes les injustes idées qu’on en avoit conçuës.

En effet, y a-t-il un homme plus heureux sur la terre, que celui qui sert veritablement Dieu ? on ne sçauroit exprimer la douceur qu’il ressent en servant un si grand Maistre, ny la joye celeste qu’il goûte sous une domination si agréable ; quel soulagement ne reçoit-il pas dans les adversitez de ce monde par la force que Dieu luy donne pour les supporter ; de quelle generosité ne l’anime-t-il pas, pour resister aux attaques de l’ennemi & pour vaincre ses passions ? Dans cette situation paisible, le juste toûjours tranquile, toûjours heureux en quelque estat qu’il plaise à Dieu de la mettre, participe dés cette vie au bonheur & à la felicité des Saints.

C’est ce que le Lecteur verra dans ces Entretiens ; & s’il veut se donner la peine de les lire avec attention, on espere avec la grace de Dieu qu’il sera pleinement convaincu de la verité de nostre Proposition, & par un raisonnement naturel & aisé, il concluëra sans doute, que puisqu’il y a beaucoup plus de maux & de peines à souffrir pour se damner que pour se sauver ; il ne luy sera pas difficile de se déterminer dans une affaire aussi importante que celle du salut ; qu’il vaut mieux suivre le chemin assuré des vertus chrestiennes, qui est si agreable & si doux, & qui mene au Ciel, que celuy des vices scandaleux du monde, qui est si penible & si douloureux, & qui conduit aux enfers. C’est l’objet, Chrestien, qu’on a en vûë dans cet ouvrage. On prie Dieu, qu’il y verse ses saintes benedictions.

Cet ouvrage consiste en huit Entretiens, dont le premier ne sert que d’introduction aux autres, & l’on peut dire que l’Auteur, par le Plan qu’il s’est formé, a trouvé le moyen d’exciter la curiosité de lire son Ouvrage, à ceux même qui font les esprits forts, & qui méprisent tout ce qui peut regarder les remontrances. Comme elles sont traitées dans cet ouvrage d’une maniere toute spirituelle & toute ingenieuse, & qui engage le Lecteur lorsqu’il a commencé à le lire, à en poursuivre la lecture ; je crois devoir vous envoyer le premier Entretien, qui suivant ce que je viens de vous dire, ne sert que d’introduction aux sept autres.

LE JUSTE.

Nous avons un grand voyage à faire ensemble, c’est celuy de nostre vie. Il y à longtemps que je te cherche, je suis ravi de t’avoir rencontré. Il est de la prudence du Voyageur de choisir le meilleur chemin, en voila deux qui se presentent ; l’un paroît étroit & difficile, & peu de personnes y passent ; l’autre est large & spatieux, & presque tout le monde y va. Lequel des deux veux-tu choisir.

LE PECHEUR.

Il semble que tu me veüilles d’abord me surprendre dans le choix que tu me propose, peux tu douter que je ne m’engage plutost, dans ce chemin large, facile & que je vois si frequenté, que dans cette route fâcheuse & penible, où l’on ne rencontre presque personne. J’ay toûjours oüi dire, au sujet des voyages, qu’il faloit suivre les grands chemins ; que les sentiers estoient tres-dangereux & qu’il ne servent souvent qu’à égarer le Voyageur.

LE JUSTE.

C’est ce qui te trompe, ce grand chemin qui te paroist si spatieux & facile & si frequenté, & tout rempli de precipices, d’écueils dangereux, de peines, & de fatigues ; c’est celuy de l’enfer : l’autre au contraire qui te semble si étroit & si difficile, est doux, agreable & aisé ; c’est celuy du ciel. Regardes presentement celuy que tu veux prendre.

LE PECHEUR.

Je ne me rends pas si aisément à des paroles, je crois plus ce que je vois que ce que tu me dis. Si ce grand chemin n’estoit pas assuré, il ne seroit pas rempli de monde comme il est. Il me semble que tu as dessein de m’égarer.

LE JUSTE.

Je suis fâché que tu conçoives de moy une si mauvaise idée, mon dessein n’est pas de t’éloigner du bon chemin ; mais de te détourner du mauvais : & si tu veux que nous nous entretenions durant nôtre voyage de la difference de l’un & de l’autre, j’espere te convaincre par toi-même que tu soufriras beaucoup moins de maux & peines pour te damner dans le chemin large & spacieux que tu veux suivre, qu’à te sauver dans celuy qui est étroit, par où je voudrois te conduire : c’est à toy à te déterminer.

LE PECHEUR.

Tu auras bien de la peine à me le persuader ; ne t’imagine pas que je veüille pour cela quitter ma voye : si tu veux m’y accompagner, je te feray bien voir le contraire, & pour t’y engager, je m’offre de supporter les frais du voyage.

LE JUSTE.

Je te suis fort obligé : mais si je t’y accompagnes, ce ne sera que pour te découvrir les écueils & les perils qui se rencontrent dans ta route, & pour t’en faire ressentir les peines, afin que je puisse ensuite te ramener plus facilement dans le veritable chemin, Allons.

Les sept Entretiens que le Juste & le Pecheur ont ensuite ensemble, sont sur, l’Orgueil ; L’Avarice ; la Luxure ; l’Envie ; la Gourmandise ; la Colere ; et la Paresse.

Vous voyez bien que ces sept Entretiens roulent sur les sept pechez Mortels. Le Juste en fait une peinture si vive, si bien touchée, si ressemblante, & si effrayante, que le Lecteur ne peut s’empêcher d’en estre touché, & de prendre en luy même une ferme resolution d’en profiter.

Le Pecheur fait au contraire des peintures oposées à toutes celles qui doivent inspirer l’horreur que l’on doit avoir pour ces vices, & fait voir les plaisirs qu’en tirent tous ceux qui y sont adonnez ; mais ces peintures, quoy que faites par un Pecheur qui met son souverain bien dans tous les plaisirs qui sont atachez à ces vices, les défend si mollement nonobstant le fort attachement qu’il a pour eux, que l’on voit bien que ce n’est pas l’Auteur de cet Ouvrage qui fait qu’il se défend foiblement afin de faire triompher le Juste ; mais parce que sa cause est effectivement mauvaise, & cela se connoist pendant tout le temps que durent ces Entretiens, en sorte que l’on voit le Pecheur goûter les raisons du Juste, & s’y rendre insensiblement & par degrez. Enfin se trouvant entierement convaincu, & pour ainsi dire acablé des bonnes raisons que luy donne le Juste, il ne reste plus au Juste qu’à faire connoistre au Pecheur les moyens dont il se doit servir pour combatre ces vices, & pour en triompher.

On peut dire que cet Ouvrage qui ne contient que six feuilles in douze, renferme tout ce qui fait le sujet de toutes les Predications & de tous les Livres qui ont parlé contre les vices, & qui ont tâché d’en faire horreur, & que le tour ingenieux qu’à trouvé l’Auteur de faire lire son Ouvrage à cause des raisons que donne le Pecheur pour faire aprouver ses vices, ce qui fait un contraste qui atache beaucoup. Peut estre, dis-je, que l’agreable & spirituelle maniere dont l’Auteur a traité cet Ouvrage, sera cause de beaucoup de Conversions, & c’est dans la pensée de faire connoistre un Ouvrage qui doit beaucoup contribuer au Salut des Ames, que j’ay cru devoir étendre cet Article.

Ce Livre se vend chez Pierre Bienfait, sur le Quay des Augustins, à l’Image Saint Pierre.

Et chez J. Josse, ruë Saint Jacques à la Colombe Royale, prés Saint Yves.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 338-339.

Pendant que les uns sacrifient à l’Amour, les autres abandonnent son Party, comme vous verrez dans les Vers suivans ; mais vous devez faire attention que ce n’est qu’en Chansons, & que l’on reprend souvent un party que l’on n’a abandonné qu’en chantant.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par, Adieu Venus, doit regarder la page 338.
Adieu, Venus
Trop cruelle inhumaine
Je brise ma chaîne
Et ne te connois plus.
L’Aimable Bacchus
Offre à mes vœux
Des biens plus durables
Et plus agreables.
Que ceux [que] je goûtois dans tes liens rigoureux.

C’est Air est de la composition de Mr Souisse, qui va donner au Public un Recüeil de nouveaux Airs serieux & à boire.

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[Article concernant la Victoire remportée par les Espagnols sur les Portugais] §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 360-367.

Le Roy d’Espagne n’eut pas plutost appris cette nouvelle, qu’il dépêcha en France un de ses meilleurs Courriers, & dont il estoit sûr de la diligence. En effet il arriva à Paris le 17. à trois heures aprés midy, n’ayant employé que six jours à faire sa route. Mr le Duc d’Albe, à qui l’estime que l’on a ici pour luy attire toûjours une grande Compagnie, avoit beaucoup de monde chez luy lorsque le Courrier qui apporta la nouvelle de la Bataille, arriva. Comme il y a peu de Ministres aussi sages & aussi prudens, & qui se possedent mieux que luy, il sçut si bien se rendre maistre de sa joye qu’aprés avoir lû ses dépêches, il retint si bien les mouvemens de la joye qu’il ressentoit non seulement comme bon Espagnol ; mais comme Sujet zelé, & penetré de l’amour qu’il ressent pour le Roy son Maistre, qu’il ne parut aucun changement sur son visage qui pust donner aucunes marques des mouvemens de joye dont son cœur estoit agité & aprés avoir laissé écouler quelque temps avec sa tranquilité ordinaire, il donna des ordres pour son départ pour Versailles, & chargea Mr son fils d’une Lettre qu’il avoit reçuë de Sa Majesté Catholique pour S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans, en luy ordonnant de ne la porter à ce Prince qu’aprés cinq heures. Il donna ordre aussi à un de ses domestiques de prendre la Poste & de porter à Monsieur l’Electeur de Baviere, une Lettre qu’il avoit aussi reçuë du Roy d’Espagne pour S. A.E. Il fit plus ; & comme il est prévoyant, & que rien de ce qu’il doit faire ne luy échape, il donna des ordres secrets afin que l’on préparast toutes les choses necessaires pour donner le lendemain au soir, au Peuple, des marques publiques de sa joye par une grande illumination, & par quantité d’artifice qui devoit estre tiré devant son Palais, ainsi que par d’autres marques de joye moins éclatantes & plus essentielles. Vous sçavez que lorsqu’il s’agit des avantages du Roy son Maistre les moindres marques qu’il en donne, sont des Festes éclatantes. Enfin estant sur le point de monter en Carosse, & estant persuadé que personne ne pourroit arriver à Versailles pour porter au Roy plutost que luy la nouvelle qu’il avoit reçuë, il en fit confidence à quelques personnes dont il estoit sûr du secret, & qui cependant n’auroient pû le faire sçavoir à Versailles plutost que luy, quand même elles auroient parlé. Il leur permit neanmoins de découvrir ce secret aprés cinq heures, qui estoit l’heure qu’il avoit ordonné à Mr son fils de porter à Monsieur le Duc d’Orleans, la Lettre adressée à ce Prince par S.M.C. L’heure marquée pour découvrir ce secret estant arrivée, Madame la Duchesse d’Albe qui n’estoit pas moins penetrée de joye que Monsieur son Epoux, l’envoya dire à plusieurs personnes de distinction, & Mr son fils alla luy-même chez d’autres. Cependant Monsieur le Duc d’Orleans qui estoit à l’Opera lorsqu’il reçut la Lettre de S.M. C. témoigna tant de joye aprés l’avoir luë, de la nouvelle que ce Monarque luy mandoit, qu’il en donna des marques si éclatantes que l’Opera fut interrompu, chacun ayant voulu faire paroître sa joye, & plusieurs qui écoutoient l’Opera avec le plus d’attention, le quitterent pour aller aprendre cette nouvelle à plusieurs personnes dont ils connoissoient assez le fond du cœur pour estre persuadez de la joye que cette nouvelle leur causeroit. Ainsi l’on peut dire qu’elle fut presque dans le même instant répanduë dans tout Paris, où l’on donna beaucoup de loüanges à la conduite & à la valeur de Mr le Marquis de Bay, de même qu’à celle des Espagnols, qu’ils avoient signalée en cette occasion ainsi que leur fidelité pour un Monarque qui les aime veritablement, & dont ils sont charmez. Si la digression n’étoit point trop grande, je ferois icy l’éloge de l’intrepidité de cette Nation, & l’on n’en pourra douter lors que l’on se souviendra du Bataillon du Comte des Fontaines, dont aucun de ceux qui le composoient ne sortit de ses rangs, & qui périt tout entier dans la même place où il avoit esté attaqué, son Commandant tout accablé qu’il estoit de fatigue & de lassitude, & ne pouvant plus se soûtenir, ayant voulu mourir assis & les armes à la main, au milieu de son Bataillon, sans vouloir le quitter. Enfin l’on peut dire que si les Espagnols n’ont pas toûjours brillé dans la guerre, que ce n’estoit que parce qu’on les avoit laissez dans une trop longue inaction ; mais qu’aprés avoir repris les Armes ils ont continué de faire paroistre qu’il n’y a point de Nation plus belliqueuse, plus intrepide, & qui supporte la fatigue de meilleure grace & avec plus de tranquilité : de sorte qu’il y a lieu de croire que plus cette Nation continuera la guerre, plus elle fera connoistre à ses Ennemis qu’il leur sera difficile de la subjuguer, pour ne pas dire impossible, & que quand elle combattra pour donner des marques de sa fidelité, & pour défendre sa Patrie, elle sera toûjours invincible.

Enigme §

Mercure galant, mai 1709 [tome 5], p. 405-407.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit l’Enseigne. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs le Prieur de la Celle ; Gagnat le fils ; de S. Vincent ; de Colombe, & de la Tutelliere ; Jacob, des Galeries du Louvre ; le Heros de Mocsouris ; la Societé de la Chambre-basse de l’hiver chez Guerin, & P.H. & M. Denisart ; le Solitaire des Angloux, & son Amy Darius ; le Solitaire du Marais ; l’Assossie de la Solitaire de la ruë aux Feves, & le Capitaine de la Pensée. Mes la Presidente de l’Election de Chaumont & Magny ; d’Aleran ; de Truandiere, & de Vignerol ; & Mlles de Toutes-Villes ; de la Chambonniere ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la Bergere Climene & son Berger Thirsis.

Je vous envoye une Enigme nouvelle, elle est de Mlle du Chesne.

ENIGME.

Du simple Villageois j’habite la Chaumiere,
Et je brille toûjours dans les riches Palais :
Des plus grands Conquerans la debile paupiere,
De mes sombres reduits cherche l’heureuse paix.
Des plus tendres secrets je suis dépositaire ;
Des malheureux Mortels je vois finir le sort,
Et l’orgueil dans mon sein insultant à la mort,
Fait d’une vaine Pompe éclater la chimere.