1706

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1706 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10]. §

[Prelude, contenant plusieurs Eloges du Roy, prononcez dans une celebre assemblée] §

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10], p. 5-27.

Je ne puis mieux commencer ma Lettre que par les trois éloges du Roy, prononcez à l’Academie Françoise le jour de la reception de Mr l’Abbé de Louvois, & de Mr le Marquis de Saint Aulaire. Ces Mrs aprés avoir donné selon l’usage, les loüanges duës à ceux dont ils remplissoient la place, au Corps de l’Academie, & à Mr le Chancellier Seguier, Fondateur de cette sçavante Societé, prononcerent, selon qu’il s’est toujours pratiqué en pareilles occasions, des éloges du Roy. Mr l’Abbé Tallemant, qui se trouvoit alors Directeur de l’Academie, repondit aux discours de ces deux Mrs & loüa aussi Sa Majesté ; voicy ces trois éloges. Mr l’Abbé de Louvois aprés avoir parlé de Mr le Chancellier Seguier, dit.

Quelque gloire que l’Académie se fust acquise jusqu’alors, il luy manquoit encore celle d’estre honorée de l’auguste protection du Roy. Vous l’obtintes, Messieurs dans un temps où les projets de ses conquestes rendoient les moments de son attention plus prétieux ; & malgré les embarras inséparables de la guerre, vous vous vites conduire par ce Heros dans son propre Palais.

Cette protection, Messieurs, ne se borna pas à Vous, elle se fit aussi sentir à tous les Gens de Lettres. le Roy les mit bientost par ses liberalitez en estat de ne songer qu’à déployer tout leur genie, & à faire servir à l’utilité publique les talents que le Ciel leur avoit départis. De là ces Académies celebres, qui formées sur le modelle de la vostre, renferment dans les differentes sciences ce que la France produit de plus parfait. De là ces decouvertes fameuses qui rendront le regne de LOUIS LE GRAND aussi renommé, que ses Exploits. De là tous les Arts portez au plus haut point de perfection. De là enfin cette magnificence royale employée à ramasser de tous les endroits de la terre les monuments antiques consacrez à l’Histoire, & à faire recueillir de toutes parts ce nombre prodigieux de Livres qui surpasse de beaucoup celuy que les Auteurs donnent aux Ptolomées & aux Augustes.

Sous de tels auspices, Messieurs, que ne doit pas attendre le Public de vos veilles & de vos travaux ? Ils ne peuvent avoir de plus digne objet, que l’honneur d’un Prince, dont les actions doivent servir d’exemple à tous ses Successeurs. Je serois trop temeraire, si j’osois aujourd’huy employer sur un sujet si relevé, les premiers efforts d’une voix encore mal formée, & qui respondroit trop imparfaitement à vostre choix & à mon zele.

Ce n’est pas que je n’eusse des avantages particuliers, pour tenter une si difficile entreprise. Je n’aurois qu’à joindre à tout ce qu’en répand la voix publique, ce que j’en ay peu recueillir par une tradition paternelle. Ceux que la nature m’a donnez pour maistres de mon éducation, m’ont dés mon enfance rempli l’esprit de toute sa gloire qu’ils ont eu l’avantage de voir de plus prés, &, pour ainsi dire, jusques dans sa source.

Mon Ayeul, déja placé dans le Ministere de la Guerre, a vû monter sur le Throsne ce grand Prince, avec toutes les perfections d’une naissance aussi heureuse, qu’elle est auguste. Il a suivi de ses yeux les progrés étonnans d’un genie superieur formé pour la plus grande Monarchie. Témoin de tous ses mouvemens, jusqu’au jour heureux qu’il commença de gouverner par luy-même, il luy a reconnu dés ses premieres années, une sagesse singuliere, avant l’experience ; une justice exacte, avant la connoissance des Loix ; une droiture & une équité accomplie, avant qu’elle pust luy estre inspirée ; une grandeur d’ame & une fermeté héroïque, avant mesme que d’estre éprouvée ; & toutes ces vertus aussi soûtenuës dans la maturité de l’âge, que parfaites dans leur commencement.

Que ne m’a point raconté un Pere, qui ne devoit pas moins son intelligence aux lumieres de son Maistre, que son élevation à sa bonté ; qui, dépositaire de ses plus grands desseins, a tousjours admiré la précision de ses ordres, & la justesse des moyens qu’il luy prescrivoit pour leur execution ; qui dans le secret de ses Conseils voyoit éclore les prodiges, que le temps & les conjonctures faisoient ensuite éclatter à la veüe de toute la Terre ; & qui par l’accés particulier dont il estoit honoré, découvroit tous les jours dans son auguste personne ces rares qualitez qui luy ont acquis le nom de GRAND avec tant de justice.

Ce que l’un & l’autre voyoient de si surprenant dans ce sublime Genie, ils le portoient avec estonnement dans leur Famille. Ils en estoient trop frappez pour pouvoir s’en taire. Et ce que le secret ne leur permettoit pas de declarer, ils le faisoient sentir par leur admiration. Pourquoy donc ayant appris, pour ainsi dire, à parler par les loüanges de ce grand Prince, & ce langage m’estant comme naturel, n’ay-je pas aujourd’huy plus de facilité à vous les exposer ? Mais qu’il est different, Messieurs, de parler selon son cœur des Grandeurs du Roy, ou de s’en expliquer selon la dignité d’un si auguste sujet. Si tous les François peuvent estre éloquents pour faire le recit des actions qui ont signalé la gloire de son regne ; les plus éloquents ne le sont pas encore assez pour exprimer dignement & par des traits ressemblants le caractere de sa grande ame, & cette égalité constante dans les differents évenements de sa vie.

Ce ne peut estre là le coup d’un premier essay ; mais le chef d’œuvre de l’Art, dont je viendray recevoir les leçons dans vos sçavants entretiens. En attendant que j’y sois devenu digne disciple d’aussi grands Maistres, je rentre dans la foule des Admirateurs de toutes de ces merveilles, & je me contente de faire des vœux pour la longue conservation d’un Prince dont la seule veuë nous rassure contre les trop heureux efforts de ses Ennemis. Sa pieté seule ne doit-elle pas flechir le Ciel en sa faveur ? & ne voyons-nous pas qu’ils reçoit desja dans la longue suite de sa Royale Famille, la recompense promise aux Rois selon le cœur de Dieu ?

Fasse donc le Seigneur que sa santé précieuse laisse long-temps à ses Peuples le plaisir de vivre sous ses loix, & qu’aprés avoir restabli la Paix & la tranquilité dans son Royaume, il n’ait plus qu’à rendre heureux des Sujets, dont il a tousjours éprouvé le zele & la fidelité.

Voicy comment Mr le Marquis de Saint-Aulaire entra dans l’Eloge du Roy.

C’est par le moyen des Societez sçavantes que les hommes ont trouvé le secret de mettre, pour ainsi dire, l’esprit en commun : par là s’est établi un commerce où l’interest que chacun en retire passe de beaucoup le fonds qu’il y porte, où personne ne perd la possession n’y l’usage de ce qu’il donne, où le travail particulier devient le profit de tous.

Sans ce concours aussi agréable qu’utile, me le permettrez-vous, Messieurs, de le dire, Vous ne rempliriez pas si dignement les esperances de ce sublime Genie, qui par le succés de ses grandes vûës prévoyant la gloire de ce Regne vous en confia le précieux dépost, & se reposa sur vous du soin d’en consacrer les monumens à la posterité.

Les fleurs immortelles de l’éloquence qu’il fit éclorre, & qui furent ensuite cultivées de la même main qui tenoit la balance de la Justice, eurent encore besoin de l’abri dont vostre Auguste Protecteur les favorise, pour devenir entre vos mains dignes de le couronner.

Il ne falloit pas moins que l’assemblage de tous les talens acquis & naturels pour parler d’un Roy en qui toutes les vertus se réünissent, & si, loin de vos sçavants Concerts, j’osay faire entendre ma foible voix lorsqu’il m’estoit permis de ne suivre d’autres regles que celles de mon zele, daignez, Messieurs, vous en souvenir, mon ambition se bornoit à celebrer quelqu’une de ces vertus aimables ; que le grand nombre de celles qui sont plus éclatantes dérobe aux yeux du Public.

Vous le sçavez, Messieurs, plus on l’approche, plus on l’admire, & ce point de vûë si fatal à la gloire des Princes les plus vantez, ajoûte toûjours quelque nouveau lustre à la sienne.

Jamais il n’est si grand ni si respectable que lorsqu’il se laisse voir dépoüillé de la pompe de la Royauté & de l’éclat qui l’environne.

Quelques ennemis que la Fortune luy suscite, quelques obstacles qu’elle oppose à ses desseins, ses efforts ne servent qu’à montrer toutes les faces du Heros. Elle met au jour des vertus qui demeuroient oisives & inconnuës, & dans son inconstance même elle est constante à servir sa gloire.

Mr l’Abbé Tallement commença l’Eloge du Roy par les paroles suivantes, en s’adressant aux deux nouveaux Academiciens.

Venez, Messieurs, mesler vos voix avec les nostres dans le Concert des loüanges immortelles que nous devons à nostre auguste Protecteur. Tous les évenemens de son regne fournissent tousjours de nouveaux sujets de l’admirer. Les plus grandes Puissances de l’Europe l’ont veu plus d’une fois triompher de leurs vains projets & de leur union, & si la Fortune semble aujourd’huy favoriser l’injustice : la Fermeté, le Courage, & la Pieté du Monarque sçauront bien soutenir la bonne cause, & trouver une heureuse issuë à tant de maux. Quelle fureur estonnante s’est emparée des Nations, l’envie & la jalousie ont mis bas le masque dont elles avoient accoustumé de se couvrir ; on ne cherche pas mesme les plus legers pretextes pour faire la guerre & pour se couronner, on déthrone les legitimes Souverains, la trahison & la violence tiennent lieu de droit & de raison, & les Peuples estonnez ne sçachant à qui obéïr, voyent seulement chez eux le pillage & l’impieté, & ceux mesmes qui aspirent à les gouverner acharnez à les ruiner & à les perdre. Les uns disent qu’ils craignent que la France ne soit trop puissante. Les autres ne font qu’exercer une vieille haine & s’épuisent sans aucune veritable veuë pour leur propre interest. D’autres enfin redoublant la crainte des uns & aigrissant la rage des autres, cherchent à se rendre maistres de l’Europe par le seul motif de maintenir leur ambition demésurée, & de se faire des Royaumes que la justice & la raison ont tirez de leurs mains. Il semble même que Dieu par des secrets inconnus de sa providence ait livré le monde Chrestien au Demon du desordre, & que la bonne cause ait esté enveloppée pour quelque temps dans les justes Decrets de sa colere. Comment est-il possible de resister à tant de Puissances & en tant de lieux. L’Espagne qui depuis plus d’un siecle ne connoissoit la guerre que par le soin qu’on prenoit de la deffendre & de combattre pour elle, voit aujourd’huy les Nations estrangeres jusques dans le sein de ses Estats, & sa fidelité captive gemit sous le poids d’une foiblesse, dont sa longue létargie l’empêche de se délivrer. LOUIS LE GRAND seul par toutes sortes de secours cherche à réveiller cette ancienne bravoure Espagnole, & soûtient cette fidelité qu’on cherche à corrompre par la force & par les artifices. Les plus mauvais succez ne l’étonnent ni ne l’abbatent. De nouvelles Armées renaissent en peu de temps, ses ordres pourvoyent à tout. Peut-on croire que l’Estre Souverain ne soit enfin touché de tant de miseres, & ne vienne arrester la fureur de la Discorde, & ouvrir les yeux à tant de Nations qui courent à leur perte dans le temps même qu’elles croyent triompher. Aimable Paix, Fille du Ciel, divine Astrée, Justice éternelle, descendez des Cieux, venez changer la face de la Terre, venez rendre la tranquillité à tant de Peuples en leur rendant leurs veritables Maistres ; venez enfin nous redonner encore ces beaux jours dont nous avons accoûtumé de joüir sous le plus juste, & sous le plus grand des Rois.

La Sceance finit par la lecture que fit Mr l’Abbé Tallemant, d’une Epître en Vers, adressée à Mrs de l’Academie, & composée par Mr le Marquis de Saint Aulaire. Ainsi ce Marquis fit connoistre, par le discours qu’il prononça, & par l’Epître dont je viens de parler, qu’il est aussi bon Poëte, que bon Orateur. Vous sçavez qu’il est Lieutenant General du Limousin, & que quoy qu’il se soit toujours attaché à servir le Roy, ce qu’il a fait utilement, il n’a pas laissé de faire sa cour aux Muses avec beaucoup de succés.

[Mariage de Mr le Pelletier Desforts et Mlle de Basville]* §

Mercure Galant, ocotbre 1706 [tome 10], p. 138-158.

Mr le Pelletier Desforts, Intendant des Finances, fils de Mr le Pelletier de Sousy, Directeur general des Fortifications, Conseiller d’Etat au Conseil Royal des Finances, frere de Mr le Pelletier Ministre d’Etat, & oncle de Mr le Pelletier President à Mortier a épousé Mlle de Basville, fille de Mr de Lamoignon, Seigneur de Basville & Intendant de Languedoc, petite fille du celebre Guillaume de Lamoignon premier President au Parlement de Paris. La Lettre suivante, qui vous paroistra fort naturelle, vous aprendra les particularitez de ce Mariage.

À Montpellier ce 2. Octobre 1706.

Vous prenez tant de part à tout ce qui regarde l’illustre maison de Basvile que je ne doute point que vous ne soyez ravy d’aprendre ce qui s’est passé icy de plus remarquable au sujet du mariage de Madlle de Basville avec Mr le Pelletier Desforts. À peine eut on appris qu’il approchoit de cette Ville que nos Marchands se mirent en estat d’aller au devant de luy. Leur équipage & l’ordre avec lequel ils marcherent avoient quelque chose de guerrier ; ils estoient au nombre de cent, tous bien montez en habits uniformes, & leurs chapeaux étoient ornez de cocardes, & l’on doit dire à leur avantage qu’ils ressembloient moins à des gens de négoce qu’à des Troupes qui partent pour l’ouverture d’une campagne, & qui ne sont encore ni encrassez par la poussiere, ni hâlez du Soleil. Cette Compagnie s’avança, au bruit des Timbales & des Trompettes, environ deux lieuës hors de la Ville, dans un lieu où Mr le Duc de Roquelaure & Mr de Basvile se rendirent aussi. Mr Desforts n’eut pas plûtost parû que l’on commença à luy marquer la joye que l’on avoit de son arrivée, par une salve de plus de deux cens coups de pistolets. Je passe legerement sur cette premiere entrevûë pour en venir à une plus essentielle ; cependant je ne dois pas oublier de vous dire, que le chemin par où Mr Desforts passa étoit bordé d’une double haye de peuple qui s’y étoit rendu, moins par curiosité, que pour satisfaire à l’ardeur d’un veritable zele ; de maniere qu’il étoit assez difficile de se faire un passage au travers de cette multitude empressée ; les Carosses ne laissoient pas d’avancer toûjours. On arriva enfin chez Mr l’Intendant, où Me & Mlle de Basville, accompagnées d’un grand nombre de Dames, s’offrirent d’abord aux yeux de Mr Desforts. Mlle de Baville avoit eu pendant tout ce jour-là, qui étoit le 8. du mois passé, des mouvemens de cœur continuels ; vous vous imaginez bien sans doute, qu’ils redoublerent dans ce moment ; pour moy je ne puis vous dire que ce que j’ay vû. Ces deux aimables personnes peuvent seuls dire ce qui se passa dans leur ame, & je crois même que cela les embarassoit beaucoup. Mr Desforts parla le premier, & s’énonça avec tant de grace, qu’il charma tous ceux qui l’entendirent, & l’on peut dire, sans blesser la vertu de Mlle de Basville, qu’elle ne parut pas insensible, & l’on commença à croire que ce qui fait essentiellement la douceur du mariage, se trouveroit dans celui-cy. Nos Consuls entrerent alors pour faire compliment à Mr Desforts, & l’Auditeur qui parla au nom de la Ville, s’en acquitta avec un aplaudissement general : le lendemain tous les Corps & tous les Ordres Religieux le haranguerent aussi. La Societé Royale des Sciences nouvellement établie en cette Ville, qui ne fait qu’un seul & mesme Corps avec l’Academie Royale des Sciences de Paris, & dont Mr de Basville est un des six Academiciens honoraires, luy fit aussi compliment, & Mr Plansade qui en est Directeur, porta la parole. Tout ce jour-là fut destiné à de pareilles ceremonies, & le reste du temps, jusqu’au jour de la celebration du mariage, ne fut employé qu’en regales, simphonies, jeux & autres divertissemens de cette nature. Le Dimanche 12. la ceremonie du mariage fut faite dans le Chœur de la Cathedrale par Mr Joubert, Grand-Vicaire, qui fit aux nouveaux Epoux, un discours plein d’onction & d’éloquence sur l’amour mutuel qu’ils se doivent l’un à l’autre, le mot solemnel fut prononcé, la benediction fut donnée, & l’on dit ensuite la Messe, pendant laquelle il y eut une Musique des plus excellentes. La foule étoit fort grande, & les nouveaux Mariez qui en attirerent tous les regards, en eurent aussi tous les cœurs. On n’entendit de toutes parts que des acclamations & des applaudissemens continuels, on s’épuisa generalement en loüanges & en vœux, & de tous les spectateurs ; il s’en fit, si je l’ose dire, comme autant de Prestres qui benirent leur mariage. Ils eurent ce jour-là le divertissement, que nous appellons, du Chevalet, qui est assez réjoüissant. Trois fontaines de Vin coulerent jusques bien avant dans la nuit, où le peuple après s’estre lassé à danser aux chansons, alloit reprendre de nouvelles forces pour mieux rentrer en danse. Il y eut sur le soir aux environs de l’Hostel de Mr l’Intendant, une grande illumination & un tres-beau Feu d’artifice : le repas des noces se fit ensuite avec beaucoup de magnificence ; & l’heure d’aller coucher les Mariez étant venuë, les Dames deshabillerent la nouvelle épouse, les hommes donnerent la Robbe de Chambre à l’époux, & ils furent ensuite mis dans un lit magnifique.

Lors Venus le rideau tira,
Et le monde se retira ;
Et l’Amour seul, avec sa mere,
Vit tout le reste du mystere.

J’ajoûteray seulement que pendant qu’on deshabilloit les Mariez, il y eut sous les fenestres de leur appartement, un concert de flûtes douces qui joüerent l’Air tendre d’Amadis de Gaule, qui commence par, Vous ne devez plus attendre, &c. Le lendemain sur le midy, qui fut l’heure de leur lever, les Consuls allerent encore faire compliment à Mr Desforts, à Madame Desforts, à Mr & à Madame de Basville sur l’accomplissement du mariage : les visites, les danses & les concerts recommancerent tout de nouveau. Le Mardy suivant, Mr le Duc de Roquelaure qui est splendide en tout ce qu’il fait, leur donna à dîner avec autant de profusion, que de magnificence. Mr le premier President de la Cour des Aides leur donna, deux jours aprés, un repas fort delicat. Il y eut ensuite un grand Concert, & les divertissemens de cette soirée finirent par un Bal. Le Dimanche suivant Mrs Bonniers, freres, dont l’aîné est Tresorier de France, leur donnerent à leur Chasteau d’Alco, qui est à deux milles d’icy, une feste nocturne des plus brillantes & des plus magnifiques qui ayent esté vûës en ce pays ; tout ce que nous avons icy de plus qualifié parmy les deux sexes, y fut invité. Il y eut une illumination des mieux entenduë ; le Château parut tout en feu, & l’on y comptoit plus de quatre milles lanternes aux Armes de Desforts & de Basville, sans y comprendre une infinité prodigieuse de méches avec lesquelles on avoit figuré leurs Chifres. Trois tables dont la premiere étoit de vingt couverts, la seconde de quinze & la troisiéme de douze, y furent servies avec autant de propreté que de delicatesse & de somptuosité. À peine fut-on sorty de table, qu’on vit paroistre sur la Terrasse de ce Chasteau, une trouppe de Paysans vestus de blanc, qui régalerent l’Assemblée de plusieurs danses rustiques au son des Haubois & des Tambourins, qui ne furent interrompus que par le bruit éclatant des bombes & des petards, qui jettant tous les spectateurs dans une surprise agreable, leur fit tourner les yeux du costé d’un Feu d’artifice qu’on avoit reservé pour la fin de cette feste : l’Artifice en fut admirable, & la diversité en fut si grande, que ce spectacle divertit pendant une heure entiere. Il s’y trouva plus de dix mille personnes qui en furent également satisfaites, & pendant toute la nuit la Campagne fut couverte de monde, les Métairies voisines en étoient remplies, & le vin ne fut pas épargné pour boire à la santé des nouveaux Mariez. Mr & Madame Desforts parurent tres-satisfaits des plaisirs de cette nuit, qui leur avoit esté uniquement consacrée, & je ne doute pas qu’ils ne s’en souviennent toute leur vie ; aussi est-il certain que Mrs Bonniers n’ont rien épargné pour les bien divertir, & pour leur donner des témoignages publics de leur affection & de leur zele. Il n’y eut point de divertissemens publics pendant les dix jours suivans ; mais il y eut deux Tables ouvertes chez Mr de Basville depuis l’arrivée de Mr Desforts, jusqu’à son départ ; c’est-à-dire, que ces Tables ont esté servies pendant plus de trois semaines, & durant tout ce temps-là, on a tous les jours esté diverty par des Concerts nouveaux. Mr de Basville & Mr Desforts ont paru penetrez d’une vive joye, & l’on ne sçauroit dire lequel des deux étoit le plus aise de Mr Desforts d’avoir un Beau-pere d’un si grand merite, ou Mr de Basville d’avoir un Gendre si accompli & si avancé à l’âge de vingt-sept ans. Il est tres-bien fait ; il a de l’esprit infiniment, beaucoup de probité, des manieres douces & agreables, une phisionomie heureuse, & les inclinations nobles & vertueuses ; il est dans un poste éclatant, & la fortune n’a pas esté moins liberale pour luy, que la nature. Mlle de Basville joint à toutes les graces du corps, toutes les beautez de l’ame. Le zele ardent que je me suis toûjours senty pour cette Maison si feconde en grands Hommes, doit excuser la longueur de ma Lettre. Je suis, &c.

Mrs le Pelletier descendent du costé maternel des deux celebres Pithou, natifs de la Ville de Troyes, & d’un pere tres-sçavant. Pierre Pithou qui étoit l’aîné fut élevé par les deux plus habiles hommes de ce temps-là, qui sont Turnebes & Cujas ; & il acquit dans leur école une si grande réputation de doctrine & de probité, que le Roy Henry III. ayant résolu d’envoyer en Guyenne quelques-uns des principaux Magistrats du Royaume pour y remedier à quelques desordres, choisit le docte Loysel avec Pierre Pithou, pour traiter dans le Parlement de Bordeaux d’affaires importantes à la Couronne & à la tranquillité publique. Ce grand homme mourut à Nogent sur Seine âgé de cinquante ans, deux années aprés la reduction de Paris, sous l’obéissance d’Henry IV. reduction qu’il avoit ménagée par sa sage conduite, & dont il eut tout l’honneur. Il mourut avec la réputation d’un grand Historien, d’un docte Critique, d’un sçavant Jurisconsulte, & d’un subtil & solide Philosophe. Il fut le premier qui tira les plus beaux monumens de l’Antiquité, & qui les mit au jour pour l’utilité de sa patrie.

[Mariage de Mr de Lamoignon et Mlle de Bergoigne]* §

Mercure Galant, ocotbre 1706 [tome 10], p. 158-164.

Je ne vous dis rien de la Maison de Lamoignon, dont je vais vous parler, en vous entretenant du mariage de Mr de Lamoignon, Maistre des Requestes, & ci-devant Avocat general, à qui le Roy vient d’accorder la survivance de la Charge de President à Mortier, que possede Mr de Lamoignon son pere. Je vous envoye un Madrigal que Mr de Mautour, Auditeur des Comptes, luy a adressé sur ce sujet.

Utile à ta Patrie, utile à ta famille,
Lorsque tu veux transmettre à la Posterité,
Dans un digne heritier dont le merite brille,
Ton esprit, tes vertus, ton nom, ta dignité ;
IllustreLamoignon, tu fais voir par ton zele,
D’un Pere genereux, d’un Magistrat fidele,
Et la tendresse & l’équité.

Le même, à qui le Roy a accordé la survivance de President à Mortier, vient d’épouser Madlle de Bergoigne, fille unique de Mr de Bergoigne, Maistre des Comptes. Mr de Lamoignon qui vient de l’épouser, est petit-fils du celebre Guillaume de Lamoignon Premier President du même Parlement, aprés avoir esté successivement Conseiller & Maître des Requestes. Ce grand Magistrat, qui fut le Mecene des gens de Lettres dans le dernier siecle, estoit fils de Chrêtien de Lamoignon, President à Mortier au Parlement de Paris, & qui fut un des plus celebres disciples de Cujas, sous lequel il étudia à Bourges. Il fut fait Conseiller au Parlement de Paris en 1573. en 1596. il eut une Charge de President aux Enquestes, & en 1633. il parvint à celle de President à Mortier. Pierre de Lamoignon qui estoit son frere cadet, mourut sans posterité à l’âge de vingt-quatre ans, un des esprits les plus délicats de son temps. Il fut pleuré par tous les Poëtes de son siecle, ils estoient l’un & l’autre fils de Charles de Lamoignon, sieur de Basville, Conseiller d’Etat ordinaire & Maistre des Requestes, un des plus doctes & des plus sages Magistrats du seiziéme siecle. La Maison de Lamoignon est des plus nobles & des plus anciennes du Nivernois. Pierre de Lamoignon, Seigneur de Poincy, vivoit sous le regne de Saint Louis dans le treiziéme siecle. Ses descendans nous sont connus jusques à present, & on prouve la filiation depuis ce Pierre jusqu’à l’illustre President qui est aujourd’huy le Chef de cette Maison. Mr de Bergoigne Maître des Comptes est un Magistrat tres-estimé dans sa Chambre. Sa famille est connuë à Paris depuis un grand nombre d’années ; & elle a produit divers sujets d’un grand merite. Il y a eu plusieurs personnes de ce nom dans les Cours Superieures de cette Ville, & sur tout à la Chambre des Comptes. Celuy dont je parle s’est donné tous les soins imaginables pour l’éducation de Me de Lamoignon sa fille. Il y a parfaitement réüssi & il l’a rendu une des plus aimables personnes de Paris.

Les Vers suivans ont esté faits pour cette nouvelle Epouse, par le même Mr Moreau de Mautour, qui a fait le Madrigal que vous venez de lire.

MADRIGAL.

Vous meritez, Iris, les dons de la Fortune.
Vous meritez d’avoir Lamoignon pour époux.
Cette Déesse en vain par une erreur commune,
Paroist estre aveugle pour tous.
Son choix nous fait bien voir qu’elle a des yeux pour vous.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10], p. 164-165.

Quoy que les paroles que je vous envoye n’ayent pas esté faites comme le Madrigal que vous venez de lire, au sujet du mariage dont je viens de vous parler, il peut fort bien le suivre, & estre chanté devant la nouvelle Epouse.

AIR NOUVEAU.

L’air, Que mon Iris, page 165.
Que mon Iris est belle,
Que j’en suis amoureux ;
L’Himen va nous unir d’une chaîne éternelle,
Je suis au comble de mes vœux
Et je vais estre autant heureux
Que mon Iris est belle.
images/1706-10_164.JPG

[Réjouissances à Madrid pour la réception de Philippe V]* §

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10], p. 308-311.

Je dois ajoûter ici, que l’on avoit fait dresser à Madrid, pour la reception du Roy, un Arc de Triomphe sur lequel toutes les Villes demeurées fidelles à sa Majesté Catholique, étoient representées ; tous les Corps estoient venus pour la complimenter à l’entrée de la Ville ; mais les acclamations du Peuple furent si grandes, & les cris de Vive Philippe V. furent si continuels, qu’il fut impossible aux Magistrats qui estoient venus pour haranguer sa Majesté, de se faire écouter, de maniere qu’ils furent obligez de remettre leurs Complimens à un autre jour, tant il estoit impossible d’estre entendu ; le carillon des cloches estant joint aux acclamations réïterées du Peuple, qui fit des feux pendant toute la nuit ; & il y eut un si grand nombre de feux d’artifice, qu’il sembloit que chaque particulier eût pris soin d’en faire dresser devant son logis. Toutes les maisons étoient illuminées, & tous les balcons remplis de flambeaux de poing. Il y eut des concerts de Musique pendant toute la nuit, dans toutes les ruës de Madrid, & des tables dressées où tous les passans étoient conviez de boire à la santé de Philippe V. Enfin, la joye fut si grande & si universelle dans Madrid, qu’il faudroit un Volume pour décrire tout ce qui se passa pendant cette nuit, qui parut plus brillante à tous ses habitans, que le plus beau jour.

[Relation de tout ce qui s’est passé en France pendant le séjour que Monsieur le Marquis de Franchimont y a fait] §

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10], p. 354-384.

Un Prince d’une des plus augustes Maisons d’Allemagne, & du premier College de l’Empire se trouvant au Pays-Bas & voulant passer en Italie sous le nom de Marquis de Franchimont a pris sa route par la France, comme la plus agreable & la plus seure. Je m’imagine que vous direz d’abord en lisant ces lignes que ce Prince a changé de resolution, & qu’il ne doit plus aller en Italie ; mais comme il n’a quitté ce dessein que sur la fin de son sejour en France, je dois en Historien fidelle mettre à la teste de la relation que vous allez lire le sujet qui l’a engagé de venir en France, & je vous marqueray à la fin de la mesme relation ce qui l’a empêché de passer en Italie selon le dessein qu’il avoit formé de faire ce voyage. Je poursuis ma relation à peu prés selon l’ordre que les choses se sont passées, car supposé que je raporte en quelques endroits des faits qui auront esté precedez par d’autres, je crois que vous trouverez cette faute legere pourveu que tous les faits soient veritables, & c’est dequoy je puis vous assurer.

Le Roy ayant esté informé du dessein de ce Prince Sa Majesté auroit bien voulu qu’on luy eust rendu dans son Royaume les honneurs qui luy sont dûs dans ses Etats, ainsi que dans tous ceux des autres Souverains mais les instances pressantes & reïterées de ce Prince de joüir d’un entier & parfait incognito ont engagé Sa Majesté à y consentir ; mais Monsieur le Marquis de Franchimont, car je dois souvent me servir de ce nom pour vous parler de ce Prince, s’estoit bien proposé, puisqu’il devoit passer par Paris & y faire quelque séjour, de se servir de l’heureuse occasion qu’il avoit de saluer le Roy, & de se confirmer par luy-même de ce qu’il n’avoit encore appris que par la renommée des grandes qualitez de Sa Majesté, qui tire moins d’éclat de sa Couronne que de son merite personnel. C’est dans ces termes que ce Prince en a parlé aprés avoir eu sa premiere Audience. Elle luy a esté donnée dans tout l’incognito qu’il a demandé ; mais il n’a esté, selon le rapport de ce Prince, qu’à l’exterieur, pour le public, puisqu’on ne peut rien ajoûter aux marques de generosité, de bienveillance, & de bonté, que Sa Majesté a fait voir dans le charmant accüeil qu’elle luy a fait. Ce Prince a esté reçu dans le Cabinet du Roy, où Monseigneur le Dauphin & Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berry, s’étoient rendus. Le Roy en répondant à ce que Mr le Marquis de Franchimont luy témoigna de joye, de respect & d’attachement, luy dit, outre plusieurs choses obligeantes, en luy montrant les Princes ses fils, qu’il estoit dans sa famille, dont il prétendoit bien estre aussi, à quoy Sa Majesté ajoûta qu’il ne l’avoit pas encore toute vûë & qu’il l’alloit mener à Madame la Duchesse du Bourgogne. En effet les Princes estant sortis les premiers du Cabinet, on alla à l’Appartement de cette Princesse. Elle estoit au milieu d’un Cercle des plus brillans, & composé des premieres Dames de la Cour. Elle reçut le compliment de Monsieur le Marquis de Franchimont, avec l’agrément qui luy est naturel, & elle y répondit avec tout l’esprit qu’on luy connoît. Ce Prince estant sorti avec le Roy pour retourner dans le cabinet de S.M. & traversant la galerie, ce Monarque connoissant son bon goust & la justesse de son discernement, voulant luy faire remarquer quelques beaux morceaux de Peinture & de Sculpture, ce Prince, sans y porter seulement les yeux, répondit, qu’il estoit si remply de la presence de Sa Majesté, qu’il ne voyoit qu’elle. Il ne vit en effet ce jour là rien des beautez de Versailles, & il retourna à Paris, aprés avoir vû les Princesses. Madame fit à ce Prince un accüeil où le sang & les manieres gratieuses sembloient disputer à qui paroistroit davantage. Madame la Duchesse d’Orleans n’oublia rien pour bien marquer la consideration & l’estime parfaite qu’elle avoit pour ce Prince. Il alla quelques jours aprés à Meudon, où Monseigneur l’avoit invité, & où il le reçut avec les demonstrations d’une estime, & les témoignages d’une amitié si sincere & si tendre, que le ceremonial & l’incognito y estoient également confondus. Monseigneur le fit entrer dans sa Caléche, pour voir les Jardins & il les trouva si beaux, aussi bien que les Appartemens, qu’il dit : Qu’un Prince privé de ses Etats trouveroit une espece de consolation à estre simplement Concierge d’une si charmante & si belle Maison. Il y eut le soir un tres grand soupé, qui fut suivi d’un concert, où les Musiciens du Roy se firent admirer.

Monsieur le Marquis de Franchimont a aussi rendu visite à Madame la Princesse. Il y avoit peu de temps qu’il estoit dans le lieu où Madame la Princesse le reçut, lorsque Monsieur le Prince y entra. La conversation devint generale, & fut tres agreable. L’esprit y brilla de part & d’autre, & ils se séparérent fort contens les uns des autres. Monsieur le Marquis de Franchimont ayant esté reçu avec tout l’agrément imaginable, & y ayant paru tres-sensible, Monsieur le Prince fit voir en cette occasion qu’on ne peut donner trop de marques d’estime à un Prince qui n’est pas moins recommandable par ses rares qualitez, & par son esprit que par sa naissance.

Le jour que le Prince dont je vous parle alla voir les Jardins & les eaux de Versailles, il se rendit en arrivant dans l’Appartement de Monsieur le Comte de Toulouse, qui luy avoit esté preparé, d’où il passa dans les Jardins. Il trouva quatorze Roulettes, dans lesquelles il fut conduit avec plusieurs Gentilshommes de sa suite, dans tous les endroits où il y avoit quelque chose digne de sa curiosité. Mr Lambert, Controlleur des Bastimens, l’accompagna par tout, & répondit à toutes les questions que le Prince luy fit qui furent trouvées tres-justes. On remarqua son bon goust, n’ayant donné des loüanges qu’aux choses qui en meritoient le plus. L’Orangerie fut sur tout admirée, comme un Chef-d’œuvre d’Architecture qui n’a point de pareil dans le monde. Le Prince fut reconduit dans le même Appartement où il avoit esté amené en arrivant, & s’en retourna l’esprit tout remply de tout ce qu’il venoit de voir.

Il n’a pas esté moins surpris des beautez de Marly. On avoit mis des meubles d’hiver tres-magnifiques dans l’Appartement de Monseigneur le Duc de Bourgogne, pour l’y recevoir, le jour qui avoit esté marqué pour luy faire voir toutes les beautez de ce Château. Lorsqu’il entra dans le Jardin il trouva une grande Caléche découverte, dans laquelle le Roy se promene ordinairement. Il fut charmé de tout ce qu’il vit en ce lieu delicieux, & dit, qu’il ne pouvoit assez admirer tant de marques somptueuses de la grandeur, de la puissance, du genie, & du goust exquis du Roy.

On doit remarquer qu’on venoit de luy dire que Sa Majesté avoit elle-même imaginé tout ce qu’il y a de plus considerable à Marly, ce qui fut cause que ce Prince s’attacha encore avec plus d’attention à examiner toutes les beautez de ce lieu, & je puis assurer avec verité que sans sçavoir directement ce qui plaisoit le plus à Sa Majesté, ce qui estoit le plus estimé par les plus habiles connoisseurs, fut ce qui arresta le plus long-temps ses yeux, & qu’il loüa davantage. Enfin aprés qu’il eut bien consideré tout ce qui se trouve de plus beau dans ce lieu tout charmant, Mr des Jardins, Controlleur de Marly, qui le conduisoit par tout, suivant l’ordre qu’il en avoit reçu de Sa Majesté, & qui éclaircissoit sa curiosité sur les choses dont il souhaitoit d’être informé, le conduisit insensiblement jusqu’à l’Appartement de Monsieur le Duc du Maine, où ce Prince trouva une collation préparée, & dressée par les Officiers du Roy, qui s’estoient rendus exprés à Marly pour cet effet. Elle estoit magnifique. Le Prince se mit à table avec une partie des personnes les plus qualifiées de sa suite. Il y demeura peu, & cette collation dont la magnificence & l’arrangement charmoient autant les yeux que les mets en satisfaisoient le goust, fut abandonnée à une infinité de gens, qui sur le bruit que ce Prince devoit aller à Marly ce jour-là, s’y estoient rendus, plutost pour le voir, ayant oüi parler de son esprit & de ses manieres agréables, que pour voir les beautez d’un lieu qui n’estoient pas inconnuës à la plus grande partie de ceux qui s’y rendirent. À peine ce Prince fut-il sorti de table que l’on vit arriver l’Ecuyer de Mr de Chamillart. Je dois vous dire icy pour l’éclaircissement de la suite, ce qui s’estoit passé la veille. Mr de Chamillart avoit esté rendre visite à Monsieur le Marquis de Franchimont, & ce Marquis lui avoit dit dans la conversation, qu’un des habitans de la Ville où il faisoit depuis quelque temps son sejour ordinaire, avoit prés de la même Ville une maison de campagne assez belle. Il ajoûta, qu’aimant la vie solitaire, il s’y retiroit souvent pour passer quelques jours hors de la foule & du tumulte ; & que le proprietaire de cette maison sçachant qu’il venoit en France, & estant Sujet du Roy, luy avoit témoigné qu’il avoit une extrême passion d’avoir des Lettres de Noblesse. Le Prince avoit fait simplement ce recit à Mr de Chamillart, en lui marquant neanmoins, qu’il souhaiteroit d’obtenir du Roy ces Lettres de Noblesse, & la conversation n’avoit pas esté poussée plus loin là-dessus. Cependant l’Ecuyer de Mr de Chamillart le demandoit pour lui donner ce qu’il n’avoit qu’à peine eu le temps de souhaiter. La surprise du Prince fut extrême, moins à cause de ce qu’on lui envoyoit que de la prompte expedition, & il avoüa qu’elle lui avoit fait plus de plaisir, que tout ce qu’on auroit pû lui donner de plus grand prix, estimant mille fois plus l’attention que l’on avoit euë, à remplir si promptement son desir, que ce qu’on lui envoyoit. Je ne vous raporte que le sens de ce que ce Prince dit ; mais les termes dont il se servit en parlant du plaisir que le Roy lui venoit de faire, furent si vifs & si expressifs, que tous ceux qui l’entendirent furent également charmez & touchez.

Ce Prince estant à S. Cloud, trouva à l’entrée du jardin, la Caléche de Mademoiselle, qu’on luy offrit de la part de cette Princesse pour voir les jardins. Il monta dans cette Caléche, avec trois personnes des plus qualifiées de sa suite, & fut conduit dans les plus beaux endroits des jardins dont il fut charmé. Il admira sur tout, la Cascade qu’il trouva de la plus grande beauté. Ce Prince fut à peine descendu de la Caléche que Mademoiselle luy avoit fait donner, qu’il envoya une personne de distinction de sa suite, pour remercier cette Princesse de ses honnestetez, & pour luy faire compliment sur toutes les beautez qu’il venoit de voir.

J’ay oublié de vous dire, que le Prince dont je vous entretiens, avoit vû à Versailles dans le Cabinet apellé des Curiositez, où il y a une belle & longue suite de Medailles d’or, une Medaille ou il estoit representé, & qui a esté frapée à Ausbourg. Ce Prince fut surpris du merveilleux amas de toutes les choses qu’il vit dans ce Cabinet, & il admira la richesse & le bon goût qu’il trouva dans tout cet assemblage, dans lequel il remarqua beaucoup de pieces tres-rares. Il me faudroit faire un Inventaire de ce Cabinet, si je voulois vous parler de tout ce qui s’y passa ; mais mon but n’est que de marquer dans cette Relation la plus grande partie des lieux où ce Prince a esté ; & comme il a infiniment d’esprit, de raporter tout ce qu’il a dit de spirituel, & les loüanges fines & délicates qu’il a données au Roy, par raport à ce qu’il a vû.

Je dois ajoûter encore, que Mr le Maréchal de Bouflers, qui a l’honneur d’en estre connu, l’a traité à dîné à Versailles avec beaucoup de magnificence.

En partant de Versailles pour Paris, il donna ordre qu’on le menât à l’Eglise des Invalides. Il avoit déja vû une fois ce superbe Temple, & il avoit esté si éblouy de tout ce qu’il y avoit vû, & sur tout de la beauté de l’Architecture, cette Eglise estant un Chef-d’œuvre en ce genre ; de maniere que sa curiosité ne se trouvant pas satisfaite, il s’estoit proposé d’y retourner. Il fut encore plus charmé que la premiere fois, de tout ce qu’il vit en ce lieu ; de sorte qu’il témoigna le jour même à Mr Mansard, le plaisir qu’il avoit pris à voir ce Chef-d’œuvre ; & Mr Mansard l’asseura qu’il lui envoyeroit bien-tost un dessein, que ce Prince qui connoissoit sa grande habileté, souhaitoit depuis longtemps, & dont il lui avoit parlé à Versailles le jour que le Roy lui donna sa premiere Audiance. Cela se passa le jour que Mr Mansard alla le saluer à Paris, dans le lieu qu’il avoit choisi pour sa demeure.

Ce Prince ayant fait demander une Audiance particuliere au Roy, on sçût aprés cette Audiance qu’il n’iroit point en Italie. On n’en publia pas les raisons, mais il suffit de connoître la prudence, la sagesse & la penetration du Roy, sur toutes les choses qui peuvent arriver pour les deviner : & l’on doit juger que la conservation de ce Prince y entre pour beaucoup. En effet, on doit tout craindre d’une Puissance naturellement violente, & il est dangereux de tomber entre les mains des Princes qui veulent tout ce qu’ils peuvent, & qui ne sont pas portez à faire du bien.

Mr le Marquis de Torcy a donné à ce Prince, de la part de Sa Majesté, une Croix de Diamans brillans de trente à quarante mille écus. Ce Marquis s’est acquité de cette commission, avec la maniere gracieuse, l’esprit & cet air insinuant qui lui sont si naturels, & qui sont si necessaires à un Ministre pour le bien des affaires de son Maistre. Le Prince dit mille choses obligeantes & spirituelles, en recevant le present du Roy, & fit une allusion ingenieuse de son cœur au diamant, par raport à la fermeté. Cette allusion renferme tant d’esprit, & donne une idée de tant de choses, qu’il est plus aisé de les imaginer que d’en faire le recit. Mr de Torcy traita pour la troisiéme fois, Monsieur le Marquis de Franchimont, le jour qu’il lui donna le present du Roy ; & comme ce Marquis aime beaucoup la Musique, le soupé fut précedé d’un grand concert. Ce Prince fut ensuite conduit par Mr le Marquis de Torcy qui en avoit l’Ordre du Roy, dans le Cabinet de Sa Majesté, où ce Monarque entre tous les jours aprés son soupé, & dans lequel il n’entre jamais à cette heure là, que des Princes & des Princesses de la Famille Royale. Cet honneur fait assez connoistre, que ce Prince est regardé comme ceux qui en sont : aussi a-t-il esté tres-touché de cet honneur, & il parut même qu’il y estoit plus sensible qu’au present qu’il avoit reçû ce jour-là. Le Roy invita ce Prince à la Chasse du Cerf, où Sa Majesté devoit aller le lendemain. Le jour marqué, Mr le Marquis de Livry, Premier Maistre d’Hostel du Roy, luy fit servir un grand déjeuné dans l’Apartement de Mr le Duc de Grammont, que le Roy avoit donné ordre de meubler pour ce Prince. À peine fut-il sorty de table, que Mr le Marquis de Torcy & Mr le Marquis de Bereinghen, Premier Ecuyer du Roy, le vinrent prendre dans cet Apartement pour le conduire à Marly, dans un des Carrosses de Sa Majesté. Mr le Baron de Beleiss, l’un des Gentilshommes de la Chambre de ce Prince, occupa la quatriéme place qui restoit à remplir dans ce Carrosse. On arriva bien-tost au rendez-vous de la Chasse qui se fit aux environs de Marly, & où ce Prince eut beaucoup de plaisir. À peine la Chasse fut-elle finie, que le Roy entra dans le Château. Ce Prince qui avoit esté à la Chasse avec Sa Majesté, devoit descendre à l’Apartement de Monseigneur le Dauphin qu’on luy avoit preparé ; mais il alla d’abord joindre le Roy, & ne quita Sa Majesté qu’aprés en avoir pris congé. Il seroit difficile de bien exprimer ce qui se passa en cette ocasion. Un adieu muet, succeda aux paroles, & en dit encore plus. Ce Prince embrassa le Roy, qui répondit à cet embrassement de la maniere du monde la plus tendre : les mouvemens qui agiterent leurs cœurs en ce moment, passerent jusqu’à leurs yeux, & jamais silence éloquent n’a tant dit, & n’a tant fait comprendre de choses en même temps. Enfin, la séparation se fit sans que la parole pût revenir à l’un ny à l’autre ; & si les bontez & la tendresse du Roy parurent en ce moment redoublées pour ce Prince, on remarqua de son costé un respect, un attachement & une sensibilité pour ce Monarque, au delà de toutes sortes d’expressions.

Le soir du même jour Mr le Maréchal de Noailles traita ce Prince à soupé ; le repas fut grand & bien entendu, la compagnie choisie, & le divertissement qui succeda au soupé plut au Prince qui faisoit le sujet de la Feste, puisqu’il consistoit en un tres-beau concert, dans lequel les Musiciens s’efforcérent de faire de leur mieux, pour donner plus de plaisir à un Prince qui a beaucoup de goust pour la Musique, & qui se plaist à l’entendre.

Mr le Marquis de Torcy se trouva à ce repas, & il avoit aussi esté de celuy de Mr le Maréchal de Bouflers, parce que ces deux Maréchaux avoient mangé chez luy, avec Monsieur le Marquis de Franchimont Mr le Duc de Beauvilliers avoit splendidement traité ce Marquis quelques jours auparavant.

Pendant le sejour qu’il a fait icy il s’est attiré l’amour, l’estime, & la veneration de tous ceux qui l’ont ouy parler ; j’ay entendu dire à cette occasion par un homme de distinction qui se sentit touché au départ de ce Prince, qu’il seroit à souhaiter de ne le voir jamais, sans estre en pouvoir de le voir toujours.

Monsieur le Prince ayant invité Monsieur le Marquis de Franchimont d’aller à Chantilly, ce Marquis se fit un plaisir de voir un si beau lieu, & comme, il est sur la route par laquelle il devoit passer pour retourner au lieu de sa residence ordinaire, il y alla en sortant de Paris. Il y arriva le 20. de ce mois à une heure aprés midy. Vous pouvez vous imaginer l’accüeil que luy fit d’abord Son Altesse Serenissime ; il est peu de Princes au monde plus gracieux, & qui reçoivent mieux ceux qui le vont voir, chacun selon leur rang. Peu de temps aprés l’arrivée de Monsieur le Marquis de Franchimont, le dîné fut servi ; je ne vous dis point qu’il estoit magnifique, & que la délicatesse des mets répondoit à l’abondance ; le nom de Monsieur le Prince, dit tout. Le dîné estant fini, Monsieur le Marquis de Franchimont vit les appartemens du Château où tout lui parut digne du goût du grand Prince à qui ils doivent tous les ornemens qui les font admirer. Ce Marquis fut ensuite conduit dans les Jardins & dans tous les dehors où il vit quantité de canaux, de fontaines, & de jets d’eau dont la beauté luy fit un extrême plaisir. Il y eut un tres-beau concert de musique au retour de cette promenade, & ce Concert dura jusqu’à l’heure du soupé que je ne puis comparer qu’au dîné qui avoit esté servi le même jour. Il y eut le lendemain grande chasse, où Monsieur le Marquis de Franchimont prit beaucoup de plaisir. Ce Marquis continua sa route ce jour-là, & quitta Chantilly encore plus remply des manieres engageantes de Monsieur le Prince, que de sa magnificence, & des plaisirs qu’il avoit pris en ce lieu, quoy que tout eust contribué à luy en donner. Je n’ay pas crû devoir entrer dans aucuns détails, pour ne pas blesser la modestie de Monsieur le Prince, qui ne souffre qu’à peine qu’on luy rende là-dessus la justice qui luy est dûë, & je ne vous en aurois point parlé, si je ne m’estois trouvé engagé de faire connoistre pour la gloire de la France, & pour celle de Mr le Marquis de Franchimont, de quelle maniere il y a esté reçû, combien on s’est efforcé à l’exemple du Roy, de chercher tous les moyens de le divertir, & de luy marquer que l’on sçait ce qui est dû à son merite & à sa naissance.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10], p. 384-386.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit l’Ecriture, & comme beaucoup de gens ont cru que c’estoit l’Imprimerie, il a esté deviné par, Mrs de Sintes de Dunkerque : de la Pasturelle de la Cour du Palais : Veartuod & sa chere épouse : Bazini di Bolenia : Melliti di Sanneria : les deux Amis inseparables de Bourges : le Breton & Chanfrin, & leur bon amy Begué : le Purite, de Dunkerque : l’Infortuné François. Mlles Manon de l’Aigle : la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins : Gogo deux mille, & l’Imperatrice des brigues.

Je vous envoye une Enigme nouvelle. Elle est de Mr L.R.P.B.

ENIGME.

Quels que soient les appas d’un visage charmant.
J’ajoûte neanmoins aux beautez d’une Dame,
Si je me montre un peu je consume un Amant,
Et si je paroist trop, bien souvent on me blâme,
Souvent je suis contraint pour éviter du mal,
Dans un petit Palais entouré de corail,
D’exprimer mon fardeau par un bouton de rose
Je sens au moindre coup une extrême douleur,
Quand par hazard je suis tout rempli d’une chose,
Dont je voudrois n’avoir que la couleur.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1706 [tome 10], p. 386-387.

La Chanson que je vous envoye est d’un fort habile Maître.

AIR NOUVEAU.

L’air Coule, Jus precieux, page 386.
Coule, Jus precieux, pour l’objet qui m’enflame,
Qu’il comble mes desirs, qu’il l’engage à son tour,
Chasse la raison de son ame,
Ny laisse regner que l’Amour ;
Tu triomphes ! son cœur jusqu’alors inflexible,
Soûpire & sent de tendres feux,
Je l’entens, je le voy ! Ciel ! que je suis heureux,
Si c’est pour moy qu’il est sensible.
images/1706-10_386.JPG