1703

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10]. §

[Prelude] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 5-7.

Je croy ne pouvoir mieux commencer ma Lettre que par les Vers suivans.

AU ROY.

Rien n’égale Louis vos grandes destinées,
On ne sçauroit nombrer vos glorieux exploits,
Mais vous comptez autant d’années
Que la France compte de Rois.
Quel de ces Rois, Prince admirable,
À vous peut estre comparable ?
Non, il n’en fut jamais aucun dans l’Univers :
Mais ainsi que parmi ces Monarques divers
Il n’en est nul qui vous ressemble,
Nul aussi ne regna jamais autant que vous :
Comme par vos vertus vous les surpassez tous
Puissiez-vous regner seul autant que tous ensemble :
Que vostre Fils, semblable à des Heros si grands,
Compte un jour pareil nombre d’ans,
Que vostre Petit-Fils de même !
  Témoin de la felicité
  D’une longue Posterité
En compte autant aussi pleins d’un bonheur extrême.

[Feste de Saint Loüis celebrée à Modene] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 9-13.

On écrit de Modene que les Religieux de Saint François, qui ont accoûtumé d’y celebrer tous les ans avec beaucoup de pompe, la Feste de Saint Louis, se sont surpassez cette année dans la magnificence qu’ils ont ajoûtée à cette solemnité. Toute leur Eglise estoit tapissée d’un tres beau Damas. Le grand Autel estoit orné richement, & de bon goust. Du milieu de la voûte pendoit l’étendart du Saint, où brilloient des ornemens d’une riche & delicate broderie. On avoit fait du Portique de cette Eglises une espece de Gallerie, où l’on avoit distribué les Portraits du Pape, du Roy, de la Famille Royale, du Roy & de la Reine d’Espagne, du feu Roy Jacques de glorieuse memoire, de la Reine d’Angleterre, & de la Maison de Modene. En face de ce Portique, on voioit une figure du Roy à cheval, ayant d’un costé des trophées d’armes, & de l’autre tous les blazons de ceux de la Maison Royale. Dés qu’on estoit dans ce Portique, de quelque costé que l’on pust regarder vers la ruë, on ne voyoit que de belles Statuës, toutes allegoriques aux principales vertus du Roy, entre-meslées de Devises & d’Inscriptions à la gloire de ce Monarque. L’Office y fut celebré avec toute la magnificence possible. La Musique y fut admirée, & le Commandant y assista avec tous les Officiers qui sont dans Modene, un grand nombre d’autres qui estoient venus du Camp. L’aprés-midy, la Musique y fut distribuée en plusieurs chœurs. Le concours y fut prodigieux, & toute cette magnifique ceremonie se termina le soir par la Benediction du Saint Sacrement, au bruit du canon, & avec les applaudissemens de la Noblesse & du Peuple. Outre les exercices de pieté qui se pratiquent en pareilles rencontres, les Officiers François y donnerent des marques d’une pieté exemplaire. Mr de Rigoley Tresorier de la Maison du Roy, fut si content de ces Religieux, qu’il leur fit en son particulier une magnifique aumône, dont ils sont si reconnoissans, qu’au lieu d’en profiter pour eux, ils n’en veulent faire d’autre usage que celui d’ériger un Autel pour la Nation Françoise, dans leur Eglise, à la gloire de Saint Louis.

[Mort de Mr de Saint-Evremont]* §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 28-41.

La Republique des Lettres vient de perdre un de ses ornemens en la personne de Mr de Saint-Evremont, qui est mort à Londres âgé de quatre-vingt onze ans. C’étoit un Gentilhomme de Normandie, plus distingué par son merite, & par la haute reputation que ses ouvrages & les rares qualitez de son esprit luy avoient acquis dans toute l’Europe, que par sa naissance, qui estoit cependant considerable. Mr de Saint Evremont, fut pendant quelques années attaché à feu Mr le Prince. Il fut obligé de sortir du Royaume pour quelques affaires avec feu Mr le Cardinal Mazarin, il n’y est point revenu depuis ce temps-là, quoy qu’il y fust souhaité. Quand il sortit du Royaume il se retira à Londres, où l’on peut dire qu’il a fait durant plusieurs années les delices de l’Angleterre. Sa maison estoit le réduit de toutes les personnes de merite & de sçavoir qui estoient dans cette Ville. Il y estoit un Oracle qu’on consultoit de toutes parts sur toutes les matieres qui regardent les belles Lettres & les ouvrages d’esprit. Il avoit un goust sûr ; ainsi il ne prenoit jamais le change sur une pensée & sur un sentiment : le sien tenoit toûjours lieu de décision, & on n’en a jamais contesté l’autorité. C’estoit donc dans la culture de l’esprit que consistoient ces plaisirs tant vantez de Mr de Saint Evremont ; ces plaisirs piquans & delicats, dont on a tant parlé dans le monde : il vivoit dans le luxe & dans la volupté, il est vray ; mais dans un luxe poli & une volupté étudiée & recherchée ; c’estoit un Philosophe Epicurien ; mais ce n’estoit pas un Epicurien grossier ; c’estoit un Philosophe qui retranché dans la partie spirituelle s’est toûjours rendu maistre de l’interieur. Voila en peu de mots quel estoit cet homme rare sur la doctrine & sur les mœurs duquel les sentimens ont esté si partagez. Ceux qui voudront entrer dans de plus grands détails n’ont qu’à consulter ses ouvrages, ils l’y trouveront peint & caracterisé bien plus habilement que je ne sçaurois faire : Ses ouvrages, en effet, seront auprés de la derniere posterité des pretieux monumens d’un des plus beaux genies & de l’esprit le plus élevé qui aye paru en France dans le dix-septiéme siecle ; on trouvoit dans ses ouvrages une grande étenduë de raisonnemens, une profondeur de reflexions, des images du vray, des portraits du cœur humain, dans la peinture duquel personne n’a jamais mieux reüssi que Mr de Saint-Evremont. Il parut en 1646 une Comedie qu’on luy attribua. Elle est intitulée : La Comedie des Academistes pour la reformation de la Langue Françoise. Piece Comique, avec le rôle des Presentations faites aux grands jours de ladite Academie ; imprimé l’an de la Reforme. La Preface aux Autheurs de l’Academie est signée par un nommé de Cavenets. Cette Piece ne fut pas generalement approuvée ; aussi Mr de Saint-Evremont estoit il sorti de son caractere pour la faire. Le Comique n’estoit pas son rôle naturel ; il en a soutenu de plus importans dans le cours de sa vie, dont il s’est tiré en habile homme : cette Comedie fut donc plutost l’ouvrage de son dépit & d’une secrette animosité que celuy de son esprit. Le Paralelle est le genre de composition où il a travaillé avec le plus de succés. On ne voit rien de plus fini que celuy qu’il fait d’Alexandre & de Cesar ; celuy de Mr le Prince & de Mr de Turenne, n’est pas moins beau. On voit en Mr le Prince, dit-il, une lumiere toûjours presente, un courage impetueux sans trouble & sans precipitation. Mr de Turenne a l’avantage du sang froid, la capacité, l’experience, une valeur ferme & assurée. Que ce contraste est beau, & que ce debut promet de belles antitheses. Pour descendre du Champ de Mars sur le Theatre, le Paralelle de feu Mr de Corneille & de feu Mr de Racine a aussi de tres grandes beautez.

Il ne s’explique pas avec moins de dignité sur les sujets qui regardent la Religion : en parlant des pieces saintes qu’on joüe sur les Theatres prophanes, il dit, que si le Theatre perd beaucoup de son agrément dans la representation des choses saintes ; les choses saintes perdent aussi beaucoup de la religieuse opinion qu’on leur doit quand on les represente sur des Theatres prophanes. La reflexion d’Horace dans la troisiéme Satyre de son premier Livre autorise bien cette pensée. On n’a jamais mieux caracterisé les grands hommes de l’antiquité qu’a fait Mr de Saint Evremont : son Jugement sur Seneque & sur Plutarque est tres beau, il paroit sçavant dans la connoissance du cœur humain lorsqu’il peint Petrone, cet ingenieux débauché. Mr de Saint Evremont a suivi de prés Mr de la Rochefoucaut, si même il ne l’a pas surpassé en quelques endroits : il l’avoit d’abord pris pour son modele, & il luy est fort honorable d’avoit esté imité par un si grand personnage. Comme la mort donne le sceau à la reputation des Auteurs, nous pouvons donc dés à present mettre les reflexions & les pensées de Mr de Saint Evremont dans le rang de celles de Mr de la Rochefoucaut, de Montagne, de la Bruïere, & de Scaliger, qui en fait de morceaux detachez, sont ce que nous avons de meilleur aujourd’huy : Le chef-d’œuvre de nostre Auteur, est l’Oraison funebre de Madame la Duchesse Mazarin qu’il chanta long-temps avant sa mort sous le nom d’Hortense, & on n’a sceu qui avoit esté le plus honoré, ou de Madame Mazarin, d’avoir esté loüée par un si grand homme, ou de Mr de Saint Evremont d’avoir chanté une si illustre amitié.

Feu Mr de Saint Evremont s’étoit acquis l’estime & l’amitié des plus grands Seigneurs d’Angleterre, & le Milord Montaigu luy avoit donné par Contrat une pension viagere.

L’Epitaphe qui suit est de Mr de la Fevrerie, dont vous n’avez rien vû depuis le discours qu’il a fait sur le silence que je vous ay envoyé, & qui a esté admiré de tous ceux qui l’ont lû, il a cru qu’il devoit se taire aprés avoir fait l’éloge du silence : cependant il parle si bien, qu’il ne devroit jamais se taire.

EPITAPHE
de Mr de Saint Evremont.

Cy gist un fameux exilé,
Jadis à la Cour signalé,
Et de qui la disgrace aura place en l’Histoire ;
Mais qu’il en fut bien consolé,
Puisque les Filles de memoire,
Dans leur Temple l’ont instalé.
Oüy, quoique l’on en puisse croire,
Je doute que Saint Evremont
Eut dans le champ de Mars acquis autant de gloire
Qu’il en a remporté dessus le Sacré Mont.

[Relation nouvelle & curieuse de tout ce qui s’est passé à l’attaque de la Ville, Forts & Château d’Huy] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 61-85.

RELATION
De ce qui s’est passé à l’attaque de la Ville, Forts & Château d’Huy.

Le 14. Aoust l’Armée des Alliez vint établir son Quartier general au Val de Nôtre-Dame, & le 15. du même mois, elle acheva de former l’investiture de la Ville, Forts & Château d’Huy, le même jour à neuf heures du matin un Officier de ladite Armée, accompagné d’un Trompette, vint sommer Mr de Milon de rendre la Ville, n’étant pas un poste tenable devant une Armée de cent mille hommes, à quoy Mr de Milon répondit, qu’il connoissoit la valeur de son Poste, & qu’il falloit du Canon pour l’obliger à l’abandonner. Ledit sieur de Milon aprés cette réponse, monta au Château, & confia la Garde de la Ville à Mr le Comte de l’Isle avec trois cens hommes, lequel y établit si utilement tous ses Postes, & malgré les frequentes Sommations de la part du Milord Marlboroug de rendre la Ville, il fut necessaire d’un ordre de Mr le Maréchal de Villeroy, & de son Altesse Serenissime Monsieur l’Electeur de Cologne, lequel apprehendoit que sa ville d’Huy venant à estre forcée, ne fut exposée au pillage pour obliger Mr de l’Isle de rentrer avec ses Troupes dans le Château, ce qu’il fit le 18. du même mois à sept heures du matin, avec un ordre si bien disposé, qu’il ne resta aucun soldat dans la Ville ; ainsi l’on peut dire que l’on l’a occupée quatre jours en presence de l’ennemy. Ce qui suit n’est pas arrivé dans les precedens Siéges.

La nuit du 18. au 19. les Ennemis ouvrirent la tranchée devant les Forts Saint Joseph, & Picard, qui leur firent un tres-grand feu de mousqueterie, & les empêcherent de pousser les travaux aussi loin qu’ils se l’étoient proposé.

La nuit du 19 au 20. ils les continuerent, & pendant tout le jour ils firent monter vingt mortiers à bombes, qui commencerent à bombarder lesdits Forts à cinq heures du soir & pendant toute la nuit du vingt au vingt un.

La même nuit du vingt, ils placerent en batterie dix-huit pieces de canon, dont la moitié battoit le Fort Joseph, & l’autre le Fort Picard & le Fort Rouge, pour en raser les communications & les deffenses ; ils avoient encore posté la même nuit une batterie de 24. pieces de canon sur la hauteur du costé de la Sarte, dont six pieces battoient le Fort Joseph par son flanc, & les dix huit autres, le Chasteau du costé de la Ville, dans l’angle du grand Magasin aux poudres.

La nuit du 21. au 22. ils posterent une batterie sur les mêmes hauteurs du costé de la Sarte de la Porte Saint Denis, & du Convent des Croisiers, vingt huit pieces de canon ; ainsi la journée du 22. il se trouva que le Chasteau fut battu par quarante-six pieces de canon, en s’attachant au grand Magasin & à une partie de la courtine ; au premier, dans l’esperance d’endommager les poudres qui y estoient auparavant ; mais que l’on avoit eu la précaution de transporter dans un autre lieu ; à la seconde, pour y former la bréche.

Ils continuerent le 23. & le 24. à nous battre toute cette partie, avec un plus grand feu d’Artillerie, qui fut augmenté par la Capitulation du Fort Saint Joseph ; celuy qui y commandoit ayant esté obligé à la proposer, elle fut aux conditions qu’ils sortiroient armes & bagages, tambour battant, méche allumée, pour se rendre une heure aprés dans le Chasteau ; mais Mr de Milon ne jugea par à propos d’en augmenter la Garnison, se reservant à y recevoir celles des Forts Picard & Rouge, lorsqu’elles seroient obligées de se retirer par la communication de la Tour Tard-avisée. Le Milord Marlbouroug fit sommer Mr de Milon de recevoir la Garnison du Fort Saint Joseph, à faute dequoy il luy declaroit la retenir prisonniere de guerre. Mr de Milon luy répondit : que la Garnison du Fort Saint Joseph avoit dû faire sa capitulation separément, n’ayant aucune communication avec le Chasteau pour y pouvoir entrer ; & qu’il estoit un trop galant homme pour ne luy pas accorder une capitulation aprés la luy avoir promise.

Le 23. au soir les Garnisons des Forts Picard & Rouge rentrerent au Chasteau, leurs deffenses estant absolument ruinées, les bréches estant faites en beaucoup d’endroits & les ennemis estant disposez à les attaquer.

Le 24. au soir les ennemis voyant le progrés que leur batterie avoit fait sur le Château, firent venir trente Compagnies de Grenadiers dans la Ville, avec dix Regimens d’Infanterie de plusieurs nations, un amas de fascines dans les places & carrefours, & un nombre considerable d’échelles.

Le 25. au matin, ils redoublerent le feu de leurs canons, & de leurs mortiers à bombes, dont les premiers étoient au nombre de soixante dix, & les seconds de quarante-six, ils continuerent jusqu’à trois heures aprés midy, avec une vivacité surprenante ; ce qui fit juger qu’ils avoient dessein de donner un assaut à la bréche du Chasteau. Les Sentinelles ayant averti que les ennemis sortoient de la Ville, & qu’ils se mettoient en bataille au pied du Château, Mr de Milon se posta pour les reconnoistre, & s’appercevant qu’ils apposoient au pied de l’escarpement des échelles, dont la hauteur aboutissoit à une rampe douce & spatieuse, formée par les débris, à contenir six ou sept cens hommes en bataille, laquelle conduisoit à la bréche, le tout à la faveur de soixante dix canons, de quarante-six mortiers à bombes, & d’une infinité d’autres à grenades, sans compter celui de leur mousqueterie qui sortoit des clochers, des toits des maisons, & des fenestres ; tout cela ensemble obscurcissoit l’endroit de la bréche, en sorte qu’il estoit tres difficile de découvrir leur manœuvre, mais dés que l’on s’en fut apperçu, Mr le Comte de l’Isle à la teste de la Compagnie des Grenadiers du Regiment Barrois, d’un Piquet de cinquante hommes commandez par Mr son fils, & d’un autre Piquet de pareil nombre, marcha droit à la bréche, & les ennemis s’en estant apperçus, redoublerent le feu d’Artillerie & autre, d’une si prodigieuse maniere qu’ils les comparerent eux-mêmes au feu d’enfer, nonobstant cela, la troupe qui s’estoit postée à la bréche ne s’ébranla point ; mais comme il ne se pouvoit faire qu’elle ne fist des pertes considerables, Mr de Milon jugea à propos de la faire soûtenir par deux autres Piquets de mesme nombre que les precedens. Les ennemis qui s’efforçoient de monter à leurs échelles, & de se former sur la rampe, voyant la fermeté des troupes qui gardoient la bréche, dont ils recevoient beaucoup d’incommodité par le feu qu’ils faisoient, furent obligez de redescendre avec precipitation, & le reste de leurs troupes qui s’estoit mis en bataille au pied de l’escarpement du Chasteau, rentrerent dans les rues de la Ville avec confusion. Mr le Comte de l’Isle s’estant apperçeu de cette retraite, retira aussi sa troupe de la bréche, & la fit aussi rentrer dans les souterrains. Cette premiere action dura une grosse heure, pendant laquelle Mr de Milon ayant préveu aux insultes qu’on pouvoit luy faire du costé de la Porte de Namur, avoit détaché de la Compagnie des Grenadiers de Sanzé, pour aller s’opposer aux entreprises que les ennemis pourroient faire de ce costé là ; ce qui fut si necessaire, que Mr  Bachont qui commande cette Compagnie, repoussa une vingtaine d’hommes, qui avoient déja penetré le reduit, & boulleversa les autres qui avoient déja gagné le fascinage : en sorte que l’on rompit de tous costez dans cette premiere action le dessein de l’ennemi. Une demie heure aprés les ennemis se remirent dans le même mouvement que la premiere fois, & Mr de l’Isle se rempara aussi de la bréche, avec les mêmes Troupes qu’il avoit menées la premiere fois ; ce qu’elles firent avec la même valeur. Les ennemis de leur costé recommencerent leur feu d’une si grande violence que sans le bon exemple d’un nombre considerable d’Officiers, le Soldat auroit eu peine à se soûtenir ; cependant cette seconde action se termina aussi heureusement que la premiere ; mais Mr de Milon voyant la perte considerable qu’il avoit faite de ses meilleurs Soldats & plus de vingt Officiers tuez ou blessez, & jugeant ne pouvoir allonger sa deffense que de vingt quatre heures au plus, se détermina à faire battre la chamade pour obtenir une capitulation honorable, & dans le dessein de conserver au Roy un nombre d’Officiers de merite & de valeur, les Ostages furent envoyez de part & d’autre, mais les ennemis se figurant bien que les troupes du Château avoient fait de grandes pertes, s’obstinerent à ne vouloir accorder d’autre capitulation, sinon que la garnison mettroit bas les armes, leurs équipages & effets saufs, & qu’elle seroit échangée avec celle de Tongres, lors que Mr le Maréchal de Villeroy le jugeroit à propos. Mr de Milon, Mr le Comte de l’Isle, & les autres Officiers ne pouvant subir une si dure loy, renvoyerent les Ostages le 26. au matin, & se mirent en mouvement pour rassembler leurs troupes, ordonnerent qu’on distribuast de la poudre & des balles, déterminez à se deffendre jusqu’à la derniere extremité ; mais le Soldat refroidi de sa premiere ardeur & saisi de crainte, sur tout ceux de nouvelle levée, dirent tout haut qu’on les vouloit mener à la boucherie. Cela joint à la quantité d’armes crevées & rompuës, determina Mr de Milon à assembler un Conseil de guerre d’Officiers, où il fut resolu, veu le peu d’esperance d’une longue resistance, sans compter le risque d’estre abandonnez par une partie des Soldats, d’accepter la condition des ennemis, ainsi l’on recommença à battre la chamade. L’on évacua la place à midy, & les ennemis en prirent possession, les Officiers avec leurs armes, les Soldats seulement desarmez. On peut dire en general que les Officiers de cette garnison s’y sont comportez avec toute la valeur imaginable, entr’autres Mrs Doroux Lieutenant Colonel du Regiment de Blaisois, de la Robiniere Lieutenant Colonel du Regiment de Barrois, de Fugil Lieutenant Colonel du Regiment de Sanzé, Mr le Comte de l’Isle fils, Capitaine du Regiment de Barrois, Mr Darras, Capitaine des Grenadiers dudit Regiment, Mr Catelin Ingenieur, Mr Gremialde Capitaine au Regiment de Sanzé. Le Regiment de Barrois a perdu deux Capitaines & cinq Subalternes : le Major & Aide Major blessez, & dix autres, tant Capitaines que Lieutenans blessez, la pluspart legerement. Le Regiment de Sanzé a eu trois Officiers blessez & une vingtaine de Soldats tant tuez que blessez. Mr le Comte de l’Isle pere, a reçu trois blessures d’éclat de pierre ou de bombe, dont la plus considerable est à la main gauche, qui luy a démis deux doigts. Sa Majesté ayant esté informée de la vigoureuse deffense de cette Garnison, chargea Mrs les Maréchaux de Villeroy & de Bouflers de remercier Mrs de Milon & de l’Isle, de leur bonne & sage conduite, & leur témoigner sa satisfaction en consentant que leur Garnison fust échangée avec celle de Tongres, & promesse de reconnoistre les services qu’ils luy ont rendus dans cette occasion.

Il est vray de dire que le Chasteau d’Huy, qui avoit esté cy-devant pris & repris quatre fois, n’avoit point coûté de sang ny souffert d’assaut, on ne pouvoit pas tirer un meilleur parti d’un aussi vilain trou.

[Madrigal à Mr le Goux de la Berchere] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 146-147.

Vous sçavez que Mr le Goux de la Berchere a esté nommé à plusieurs Archevêchez avant que de remplir celui de Narbonne ; c’est ce qui a donné occasion à Mr Moreau de Mautour de faire les Vers suivans.

MADRIGAL.

La vertu par degrez éleve le merite,
Par elle l’on vous voit, sage, illustre Prelat,
De plusieurs dignitez de suite
Soutenir noblement la grandeur & l’éclat.
Que de joye & de biens vostre ame soit comblée ?
Et quand Rome équitable un jour soulagera,
Du poids de tant d’honneurs vôtre teste accablée,
Une Calotte suffira.

À la belle mademoiselle R… en luy envoyant un Bouquet, un Cœur, & un air noté §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 147-149.

Je vous envoye un air que vous trouverez dans l’article suivant, il est noté par Mr l’Abbé Castel.

A la belle Mademoiselle R… en luy envoyant un Bouquet, un Cœur, & un air noté.

 

Belle Iris, aussi tost qu’on a appris le jour de vostre feste, on a resolu de vous envoyer un Bouquet[.] On fait plus, on joint à l’offre du Bouquet, celle d’un cœur ? pourquoy cette jonction, m’allez vous dire ? il faut vous l’apprendre, c’est parceque,

C’est trop peu dans ce beau jour,L’Air C’est trop peu, page 148.
D’avoir des presens de Flore,
Belle Iris, il faut encore
En recevoir de l’amour.
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[Madrigal] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 163-164.

Les Vers qui suivent sont de Mr Bernard, Ordinaire de la Musique du Roy. Ils sont adressez à Mr le Chevalier de la Vrilliere, & ont esté faits sur la défaite du Comte de Stirum.

MADRIGAL.

Jeune & sage heros,
Animé du feu de la gloire,
Rejeton du beau sang des nobles Phelypeaux,
Qui dans tes jeunes ans occupes la victoire,
Le brave de Stirum te vit au champ de Mars,
Couvert de sang & de poussiere,
Arracher de ses mains d’une valeur guerriere,
Ses Timbales, ses Etendarts,
Ce chemin va bien-tost te mettre au rang sublime,
Poursuit tes glorieux explois ;
Il te suffit enfin de meriter l’estime
Du plus reconnoissant des Rois.

[Feste celebrée à Tours] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 167-172.

Mr le Marquis de Dangeau, Gouverneur de Touraine s’étant trouvé à Tours dans le temps de la Feste de l’Assomption, crut que representant la personne du Roy, qui est Abbé de l’Eglise de Saint Martin, il devoit se rendre dans cette grande Eglise, aux Vespres, & à la Procession solemnelle qui s’y fait ensuite tous les ans en execution du vœu & de la Declaration du Roy Loüis XIII. de triomphante memoire de 1638. par laquelle ce Prince met la personne de nos Rois, leur Etat, & leur Peuple sous la protection particuliere de la Sainte Vierge. Mr le Marquis de Dangeau precedé du grand Prevôt & de la Maréchaussée, qui dés la veille estoient allez au devant de lui, & de ses Gardes, se rendit au Cloître S. Martin. Il étoit accompagné de Madame la Duchesse de Montfort sa fille, de Mr le Baron de Breteüil, Introducteur des Ambassadeurs auprés de Sa Majesté, Baron de Preüilli, & en cette qualité Chanoine honoraire, & Porte Etendart de l’Eglise de Saint Martin, & d’une grande quantité de personnes de qualité. Lorsqu’il fut arrivé au Cloître, Mr le Doyen accompagné des Deputez du Chapitre, le salua de la part de ce Corps. Il entendit ensuite les Vespres, qui furent chantées par la Musique. Mr le Baron de Preüilli, en qualité de Chanoine y assista avec le Surplis, & l’Aumusse sur le bras gauche, dans un des stalles du côté droit du Chœur vers le grand Autel, au dessous du Sousdoyen. Ce Baron assista de même en rang de Chanoine à la Procession, marchant entre Messieurs les Dignitaires, & Messieurs les Prevosts de cette Eglise. Monsieur le Marquis de Dangeau precedé de ses Gardes marchoit aprés le Clergé, accompagné d’un grand nombre de personnes de qualité de tout rang et condition de la Ville & de la Province, qui étoient venus avec une grande affluence de peuple pour voir cette solemnité, afin de joindre leurs vœux à ceux de cette celebre Eglise, pour implorer la protection de la Vierge pour la Personne sacrée du Roy, & sur toute la Famille Royale.

Mr de Dangeau, aprés avoir séjourné quelque temps à Tours, & en son Château de la Bourdaisiere, entendit le 3. Septembre une grande Tragedie que les Peres Jesuites firent representer, & alla le lendemain à Fontevrault pour tenir sur les fonds, de Batême Mademoiselle de Bourbon au nom du Roy de la Grande Bretagne.

[Suite du Journal de Fontaineableau] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 182-231.

Le voyage que le Roy fait tous les ans à Fontainebleau, estant une partie de divertissement, à cause de la situation du lieu propre aux plaisirs de la chasse. Vous avez souhaité que je vous envoyasse tous les ans un Journal de ce qui s’y passe ; j’ay rempli vos desirs depuis plusieurs-années, ainsi je vous envoye la suite du Journal de cette année, dont vous avez le commencement dans ma derniere Lettre.

Le Lundy 1. Octobre, il y eut le matin Conseil d’Etat, Mr de Monasterol, & Mr le Chevalier de Trasmanes, saluerent le Roy, le premier ayant esté dépêché par Mr l’Electeur de Baviere, & l’autre par Mr le Maréchal de Villars, pour rendre compte à Sa Majesté du combat d’Hochstet. Il y eut chasse du Cerf l’apresdinée, où Madame la Duchesse de Bourgogne & Madame, accompagnerent le Roy. Me la Duchesse de Lauzun & Me la Duchesse de la Feüillade, y suivirent Madame la Duchesse de Bourgogne, vêtuës comme elle en habit de chasse. Le soir les Comediens representerent la Comedie de la Mere Coquette de Mr Quinaut. Monseigneur le Duc de Bourgogne donna sur les sept heures un retour de Chasse aux Dames ; ce qui empêcha Madame la Duchesse de Bourgogne d’assister à la comedie.

Le Mardy 2. Monseigneur accompagné de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Berry, courut le Loup dés le matin. Il y eut chez le Roy Conseil Royal de Finances, & grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, où la Cour fut grosse, & le cercle nombreux. Le Roy alla tirer l’apresdinée, Monseigneur fit un retour de Chasse sur les sept heures chez Madame la Princesse de Conty. Madame la Duchesse de Bourgogne ne sortit point.

Le Mercredi 3. il y eut le matin chez le Roy Conseil d’Etat, où assisterent Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne. Monseigneur donna à dîner dans son appartement à Monseigneur le Duc de Bourgogne, à Monseigneur le Duc de Berry, à Madame la Duchesse de Bourgogne, aux Princesses, & à plusieurs Dames. L’on joüa l’apresdinée dans le même appartement. Le Roy ne sortit point. Le Roy & la Reine d’Angleterre arriverent sur les sept heures du soir. Le Roy accompagné des Princes & Princesses, & generalement de toutes les Dames qui estoient pour lors à Fontainebleau, toutes en habits magnifiques, les reçut au haut du grand escalier de la Cour de l’Ovale, donna la main à la Reine, & la conduisit dans l’appartement qui luy avoit esté preparé dans la Galerie de Diane, où il la laissa peu de temps aprés avec le Roy son Fils. Le Roy les fit avertir à dix heures par un de ses Maîtres d’Hôtel, portant le Bâton, que le souper estoit servi, & il alla les recevoir à la porte du Cabinet de Clorinde, qui donne à l’entrée de la Gallerie de Diane. Il donna la main à la Reine, & traversant les appartemens de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Madame la Duchesse de Bourgogne, & le sien, conduisit leurs Majestez Britanniques dans son anti-chambre, où la viande estoit sur table. Le Roy les reconduisit aprés le souper jusqu’à la porte du Cabinet de Clorinde.

Le Jeudy 4. il y eut Conseil d’Etat. Les Princesses & les Dames allerent à la Toilette de la Reine. Le Roy d’Angleterre alla voir le Roy, Monseigneur, & Messeigneurs les Princes. Le Roy, accompagné de Madame la Duchesse de Bourgogne alla prendre à midy leurs Majestez Britanniques, donna la main à la Reine, & la conduisit à la Messe, qu’ils entendirent dans la Tribune de la Chapelle des Mathurins. La Reine d’Angleterre y avoit déja esté seule à dix heures. Ce qu’elle a pratiqué les jours suivans. La marche fut fort belle depuis l’appartement de la Reine jusqu’à la Chapelle, & les Princes, Princesses, Seigneurs & Dames de la Cour n’y ont point manqué pendant le sejour que leurs Majestez Britanniques ont fait à Fontainebleau. Le Roy ne les reconduisit aprés la Messe que jusqu’à la sortie de sa Chambre, parce la Reine d’Angleterre l’en pria instament. Il n’y eut point de grand couvert au dîner, & leurs Majestés dînerent chacune en particulier. Madame la Duchesse de Bourgogne donna à dîner à Monseigneur le Duc de Bourgogne, à Monseigneur le Duc de Berry, & à quelques Dames, dont estoient Me la Maréchale de Cœuvres, & Me la Marquise de la Valliere, vêtuës comme elle en habit de chasse. Le Roy alla prendre leurs Majestés Britanniques à deux heures, & les conduisit, donnant la main à la Reine, jusqu’à son carosse, où il les fit monter, aussi bien que Madame la Duchesse de Bourgogne & Madame, pour aller au rendés-vous de la chasse du Cerf, où ils se placérent dans une Caléche à deux bancs. Le Roy & Madame la Duchesse de Bourgogne sur le premier, & la Reine d’Angleterre & Madame sur celuy de derriere. Le Roy d’Angleterre monta à cheval. Les Comediens representerent le soir l’Andromaque de Mr de Racine, & la petite Comedie de l’Esprit de contradiction. Le Roy d’Angleterre y alla pour la premiere fois de sa vie, & y prêta une grande attention. Il y eut six fauteüils, Le souper se passa comme le soir precedent, & avec les mêmes ceremonies.

Le Vendredy 5. il n’y eut point de Conseil. Le Roy alla prendre la Reine d’Angleterre à midy & demi pour aller à la Messe, & y trouva une tres grosse Cour. Madame la Duchesse de Bourgogne & Madame y estant arrivées auparavant pour sa Toilette. Le Roy alla tirer l’aprésdinée, & mena avec luy dans sa Caléche le Roy d’Angleterre au rendés vous, où ils monterent l’un & l’autre à cheval. Tout le monde admira la bonne grace & les manieres polies de Sa Majesté Britannique. Le Roy au retour de la Chasse rendit une longue visite à la Reine d’Angleterre. Le soir il y eut grande Musique dans la Salle de la Comedie. L’on chanta le Prologue & les deux premiers Actes de l’Opera d’Athys, que le Roy d’Angleterre, Monseigneur, Messeigneurs les Princes, les Princesses, & la plus grande partie des Dames entendirent dans la Tribune. Le souper se passa comme les autres jours.

Le Samedy 6. il y eut Conseil Royal de Finances. La Reine d’Angleterre eut le matin une grosse Cour à sa Toilette. Les Princes & Princesses se trouverent chez elle lorsque le Roy la vint prendre pour la Messe. Il y eut l’aprés disnée chasse des Sangliers dans les toiles, où le Roy mena dans son carrosse leurs Majestez Britaniques. L’on monta dans l’enceinte dans des chariots qui avoient été meublez pour voir commodement cette chasse ; elle finit d’assez bonne heure, & la Reine d’Angleterre vint voir Madame la Duchesse de Bourgogne au retour, & luy rendit une assez longue visite. Le soir les Comédiens représenterent la Comedie de l’Important, où le Roy d’Angleterre n’assista point, ny Monseigneur le Duc de Bourgogne. Le souper se passa à l’ordinaire.

Le Dimanche 7. il y eut Conseil d’Etat. Le Roy & la Reine d’Angleterre firent leurs devotions à la Chapelle des Mathurins. Monseigneur le Duc de Bourgogne les fit aussi. Toute la Cour alla sur le midy à la Toilette de la Reine d’Angleterre, & le Roy la vint prendre à la demie, comme les autres jours, & la conduisit en bas dans la Chapelle. Il y eut au retour de la Messe, disner au grand couvert dans l’antichambre du Roy, aprés lequel le Roy reconduisit leurs Majestez Britaniques à la sortie de sa Chambre. Le Roy & la Reine d’Angleterre assisterent aux Vespres à la Chapelle, & Monseigneur le Duc de Bourgogne les entendit aussi, & le Salut ensuite. Le Roy alla tirer. Le soir il y eut appartement chez Monseigneur, & l’on y joüa jusqu’à dix heures. Le Roy d’Angleterre passa la soirée avec Messeigneurs les Princes. Madame la Duchesse de Bourgogne, & plusieurs Dames, qui firent de leur mieux pour le divertir, & qui le trouverent infiniment aimable, & plein d’esprit. L’on se mit à table à dix heures, comme les autres jours.

Le Lundy 8 il y eut Conseil d’Etat, & même Cour chez la Reine d’Angleterre. L’on entendit la Messe dans la Tribune à midy & demi, & tout se passa avec les cérémonies ordinaires. Il y eut l’aprés-disnée chasse du Cerf où leurs Majestez Britanniques allerent de la même maniére qu’à la précédente. Le soir les Comédiens représenterent Phédre & Hippolite, & les Plaideurs, l’une & l’autre de Mr Racine, & le Roy d’Angleterre y assista. Le sieur Balon dansa deux Entrées entre les deux Pieces.

Le Mardy 9 il y eut Conseil Royal de Finances. Monseigneur alla dés le matin à la chasse du Loup, & Monseigneur le Duc de Bourgogne & Monseigneur le Duc de Berry allerent tirer des Sangliers. Le Roy alla prendre la Reine d’Angleterre pour la Messe, & il trouva chez elle toutes les Dames. L’aprés-dînée Sa Majesté alla tirer, & mena avec Elle le Roy d’Angleterre. La Reine alla à Melun à une heure & demie, au Convent des Ursulines, & ne fut de retour qu’à huit heures. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena à trois heures en Caleche avec les Dames dans le Parc & dans la Forêt. Le Roy d’Angleterre passa la soirée avec Messeigneurs les Princes, Madame la Duchesse de Bourgogne & plusieurs Dames à plusieurs sortes de jeux, & il se fit admirer de la Compagnie, & pour sa grace, & pour la vivacité de son esprit.

Le Mercredy 10. il y eut Conseil d’Etat. Le Roy alla, comme les autres jours, prendre la Reine d’Angleterre à midy & demi. Le dîner fut au grand couvert dans le lieu ordinaire. L’aprés dînée il y eut promenade en carosse sur les bords du Canal, & dans les belles routes du Parc. Le Roy d’Angleterre, & Messeigneurs les Princes y allerent à Cheval. Le cortege des Carosses fut tres-nombreux. On vit la Pêche des Cormorans. Le soir les Comediens representerent le Jodelet, Maître Valet.

Le Jeudy 11. il y eut Conseil d’Etat, & grosse Cour chez la Reine d’Angleterre. L’aprés dînée il y eut chasse du Cerf, où n’alla point Madame la Duchesse de Bourgogne. Le Roy courut dans une Caleche à deux bancs. Madame à côté de luy, & la Reine d’Angleterre, & une de ses Dames, sur le banc de derriere. Le Roy d’Angleterre courut à Cheval comme aux chasses precedentes, toujours avec la même grace, & passa la soirée avec Messeigneurs les Princes, Madame la Duchesse de Bourgogne, & plusieurs Dames, & continua d’y charmer toute l’Assemblée.

Le Vendredy 12. il n’y eut point de Conseil. Le Roy alla prendre la Reine d’Angleterre à onze heures & demie pour la Messe, & dîna à midy. Il partit à une heure pour la chasse du Loup. Le Roy d’Angleterre & Madame y allerent avec luy, mais la Reine d’Angleterre & Madame la Duchesse de Bourgogne ne furent pas de la partie. Monseigneur, & nos Princes se trouverent au rendez-vous. Le soir les Comediens representerent Alexandre, de Mr de Racine, & le Concert ridicule. Le souper se passa à l’ordinaire.

Le Samedy 13. il y eut Conseil Royal de Finances. La Reine d’Angleterre eut un ressentiment de fievre. Le Roy alla chez elle à midy & demi comme les autres jours, & les Dames s’y trouverent à l’heure ordinaire ; mais elle n’alla pas à la Messe avec le Roy, parce qu’elle étoit en deshabiller. Elle le suivit de prés, & entendit la Messe dans une des loges de la Tribune. Il y eut l’aprés-dînée chasse du Sanglier dans les toiles, qui donna plus de plaisir que la precedente, & dura plus long-temps. Le Roy rendit visite au retour à la Reine d’Angleterre, qui n’y avoit point été, & étoit encore indisposée. Madame la Duchesse de Bourgogne l’alla voir ensuite, & Monseigneur s’y rendit à neuf heures & demie, & en revint à dix heures avec le Roy d’Angleterre pour se mettre à table.

Le Dimanche 14. il y eut Conseil d’Etat. La Reine d’Angleterre continua à se mal porter. Elle se fit porter en chaise à dix heures & demie à la Chapelle, où elle entendit la Messe. Toute la Cour se trouva chez elle à midy & demi, & le Roy s’y rendit à cette même heure. L’indisposition de la Reine fit changer l’ordre qui avoit été donné pour le dîner au grand couvert. Le Roy ne sortit point l’aprés dînée, & assista au Salut du saint Sacrement à la Tribune de la Chapelle des Mathurins, où se trouverent les Princes & Princesses. Le soir à huit heures l’on chanta sur le Theatre de la Comedie, le Prologue & les deux premiers Actes d’un Opera nouveau de Mr Destouches, sous le Mariage du Carnaval & de la Folie. Le Roy d’Angleterre, Monseigneur, la Maison Royale, & toute la Cour s’y trouverent dans la même disposition qu’aux Comedies, & applaudirent fort à cette nouveauté. La Reine d’Angleterre ne soupa point avec le Roy, & Monseigneur alla chez elle dans l’intervale de la Musique & du souper, & en ramena le Roy d’Angleterre.

Le Lundy 15. il y eut Conseil d’Etat. Le Roy d’Angleterre fit le matin ses visites à cause de son départ fixé au lendemain. La Reine se porta mieux, ayant fort bien passé la nuit. La Cour fut tres grosse à sa Toilette, & le Roy qui vint chez elle à midi & demi la conduisit à la Messe. Il n’y eut point de grand couvert au dîner. Le Roy alla à deux heures à la chasse du Cerf, & fit monter dans son Carosse, pour aller au rendez-vous, le Roy d’Angleterre, & Madame. Sa Majesté Britanique monta à Cheval avec Monseigneur & Messeigneurs les Princes, & le Roy courut avec Madame, chacun dans une petite Caleche. Les Comediens representerent le soir, la Comedie du Festin de Pierre, & ensuite les Allards donnerent un divertissement de saults perilleux qu’ils avoient concertez. Le soir pendant le souper, où estoit la Reine d’Angleterre, il y eut un Concert de Musique Italienne executé par deux illustres Musiciens de Rome, nommez Pasqualini, qui furent accompagnez par les sieurs Antonio & Baptiste excellens Violons attachez à Monseigneur le Duc d’Orleans, & par le sieur Marchand Ordinaire de la Musique du Roy, tres-singulier pour la Basse de Violon. Madame la Duchesse de Bourgogne qui n’avoit point esté ce jour-là à la Chasse du Cerf, s’estoit promenée en Carrosse dans la Forest, & avoit assisté au Salut aux Basses Loges, à cause de la Feste de Sainte Therese.

Le Mardy 16. Madame la Duchesse de Bourgogne, les Princesses & toutes les Dames en robes, se rendirent chez la Reine d’Angleterre dés neuf heures du matin. Le Roy accompagné de Monseigneur & de Messeigneurs les Princes vint prendre leurs Majestez Britanniques, à neuf heures & demie, & les conduisit en bas dans la Chapelle des Mathurins, où ils entendirent la Messe, aprés laquelle le Roy suivi de toute la Cour, les mena à leur Carrosse au bas de l’escalier du Fer à cheval dans la Cour du Cheval blanc, & prit congé de leurs Majestez, à dix heures sonnantes. Il y eut chez le Roy aprés leur départ Conseil Royal de Finances, où Mr Desmarests, Directeur general des Finances, prit séance pour la premiere fois. Monseigneur alla à la Chasse du Loup, où Monseigneur le Duc de Berry l’accompagna. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en Carrosse dans la Forest avant le dîner. Le Roy alla tirer l’apresdînée, & le soir il y eut appartement chez Monseigneur, où toute la Cour se trouva.

Le Mecredy 17. il y eut Conseil d’Etat. Monseigneur le Duc de Bourgogne alla à la Chasse du Cerf, avec Monsieur le Duc d’Orleans, dont la meute chassoit ce jour là. Le Roy alla tirer l’aprés dînée. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en Carrosse aux bords du Canal. Les Comediens representerent la Tragedie de Britannicus de Mr de Racine, & la Comedie de l’Ecole des Maris de Mr de Moliere. Monseigneur le Duc de Bourgogne n’y assista pas, & soupa dans le même temps chez Monsieur le Duc d’Orleans. Le Roy donna le soir à Mr le Maréchal de Tessé, qui prit congé de Sa Majesté pour aller en Dauphiné, le Regiment de Sault pour Mr le Marquis de Tessé son fils aîné, dont il donna en même temps le Regiment à Mr de Sanzay, & celuy de ce dernier au Chevalier de Sourches, l’un des fils de Mr le Grand Prevost.

Le Jeudy 18. il y eut Conseil d’Etat. Le Roy entendit à sa Messe un Motet de la composition de Mr Bernier Maistre de Musique de Saint Germain de l’Auxerois de Paris, dont Sa Majesté parut tres contente. Mademoiselle Couperin de la Musique du Roy, qui y chanta quelques recits, receut de grands applaudissemens. Mr le Maréchal de Tessé partit le matin en poste pour se rendre à Grenoble. Il y eut chasse du Cerf l’aprésdinée, où Madame accompagna Sa Majesté dans une petite Caleche. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en Carosse dans la Forest. Le soir il y eut appartement chez Monseigneur, qui dura jusqu’au souper.

Le Vendredy 19. le Roy travailla avec le Pere de la Chaize aprés la Messe. Il y eut l’aprésdinée grande chasse des Sangliers dans les Toiles, & l’on en tua quarante deux, les Dames y accompagnerent Sa Majesté. Le soir les Comediens joüerent la Comedie de Crispin Musicien. Il y eut grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne, l’on chanta encor à la Messe le Motet du Sieur Bernier.

Le Samedy 20. il y eut Conseil Royal de Finances & chasse du Cerf l’aprésdinée, où Madame accompagna Sa Majesté, il y eut Musique chez Mr le Duc d’Orleans. Madame la Duchesse de Bourgogne ne sortit point. Il n’y eut le soir aucun divertissement. Il arriva un Courrier de Mr le Maréchal de Tallard, par lequel on apprit que Mr de Courtebonne Lieutenant general, ayant avec lui Mrs de Vaillac & de Valsemé avoit ataqué un corps des ennemis dans les retranchemens de Spierbach qu’ils avoient d’abord abandonnez avec perte de deux cens hommes, & que s’étant retirez dans Neustat, ils y avoient esté investis par les nostres, & faits prisonniers de guerre au nombre de six cens hommes, Dragons, ou Cavaliers des Troupes de Mr l’Electeur Palatin.

Le Dimanche 21. il y eut Conseil d’Etat. Monseigneur donna à disner dans son appartement à Monseigneur le Duc de Bourgogne, à Madame la Duchesse de Bourgogne, à Monseigneur le Duc de Berry, aux Princesses, & à plusieurs Dames. Il y eut appartement ensuite jusqu’au souper du Roy. Madame la Duchesse de Bourgogne, & Madame assisterent au Salut dans la Chapelle des Mathurins. Le Roy alla tirer l’apresdinée.

Le Lundi 22. le Conseil d’Etat ne fut tenu que l’aprésdinée. Monseigneur accompagné de Messeigneurs les Princes, alla dés le matin à la Chasse du Loup. Le Roy ne sortit point, ny Madame la Duchesse de Bourgogne. Le soir les Comediens representerent la Tragedie de Rodogune de Mr de Corneille l’aîné, & la petite Comedie du Cocher supposé.

Le Mardi 23. il y eut Conseil Roïal de Finances, l’aprésdinée chasse du Cerf, où Messeigneurs les Princes, & Madame accompagnerent Sa Majesté. Le soir il y eut appartement chez Monseigneur, & Simphonie de Violons & de Hautbois au souper du Roi, de la composition d’un Hautbois des Mousquetaires. Monsieur le Duc d’Orleans partit pour Paris.

Le Mercredi 24. il y eut Conseil d’Etat. Monseigneur accompagné de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Berri courut le Loup. Le Roi ne sortit point à cause du mauvais temps.

Le Jeudi 25. le Roi entendit la Messe à dix heures, & dîna à onze, à son petit couvert. Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berri partirent de bonne heure de Fontainebleau pour aller coucher à Meudon. Madame la Duchesse de Bourgogne donna dans son appartement un grand dîner aux Dames de sa suite. Le Roy partit à midy, ayant dans son Carosse Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame, Madame la Duchesse d’Orleans, Me la Duchesse de Lude, & Me la Comtesse de Mailly. Il arriva à quatre heures à Villeroi. Il ne sortit point dans les Jardins à cause de la pluye qui duroit depuis le matin. Toutes les Dames souperent avec S.M.

Le Vendredi 26. le disner fut servi de la même maniere à onze heures, & le Roy partit de Villeroi à midi, & arriva à Sceaux sur les quatre heures. Il se promena dans les Jardins. Monseigneur & Madame la Princesse de Conti arriverent de Meudon. Le Roy soupa avec les Dames.

Le Samedi matin 27. il arriva un Courrier de Mr le Maréchal de Tallard parti du Camp devant Landau. La nuit du 23. au 24. par lequel Sa Majesté fut informée de l’état de l’attaque. Le Roy entendit la Messe à neuf heures & demie, & alla voir pescher le Canal. Madame la Duchesse de Bourgogne, y alla avec Sa Majesté. Le dîner fut servi ainsi que les repas precedens. L’aprésdinée le Roy alla voir la pêche du poisson de l’Octogone. Le soir Madame la Duchesse de Bourgogne, joüa chez Madame la Duchesse du Maine avant & aprés le souper. Le Dimanche 28. Monseigneur, & Madame la Princesse de Conti retournerent à Meudon aprés la Messe du Roy. Sa Majesté se promena avant le dîner, & partit de Sceaux à trois heures, & arriva à Versailles à quatre & demie.

La Cour d’Angleterre a donné pendant le sejour qu’elle a fait à Fontainebleau, de grands sujets d’admiration ; la modeste pieté de la Reine que ses vertus font plus briller que ne pouroit faire tout l’éclat d’un des premiers Trônes du monde, a fait regarder cette Princesse avec plus de veneration que si la fortune luy rendoit toute la justice qu’elle doit à son rang, & à ses grandes qualitez ; quand on sçait se mettre au dessus de son malheur, on est au dessus de tous les Trônes.

Je vous ay souvent parlé de Sa Majesté Britannique, & ce que je vous ay dit de ce Monarque, toutes les fois que j’ai eu occasion de vous en parler, doit vous persuader qu’il a paru à Fontainebleau tel que j’ay eu l’avantage de vous le depeindre. Mais vôtre imagination doit aller beaucoup plus loin, & je ne sçay si elle pourra se figurer la moindre partie des applaudissemens que ce jeune Monarque, dont l’esprit est infiniment au dessus de son âge, s’y est attiré. Je ne m’étendray pas d’avantage sur cet article, ayant fait un nouvel éloge de ce Prince, dans l’Epître qui est à la tête du Journal du Siege de Brisac, que j’ay pris la liberté de luy dedier. Vous devez bien juger que ce Monarque, & la Reine sa mere, ayant fait le charme de la Cour de France, leur Cour ne peut être composée que de Personnes d’un vray merite. Je ne vous dis rien de Mr le Duc de Perth, l’éducation du Roy son Maître fait son éloge. Quant à Madame la Duchesse de Perth, son épouse, elle a remply toutes les fonctions de premiere Dame d’honneur de la Reine, d’une maniere si noble, si spirituelle, si gracieuse & si engageante, que tous ceux qui ont été chez la Reine sa Maîtresse, ont été extrêmement satisfaits de la maniere dont ils ont été reçus par cette Duchesse.

[Epître à Mr le Chevalier Baber, gentilhomme Anglois] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 231-244.

Avant que la Cour d’Angleterre partit de Fontainebleau, il s’y répandit des Copies d’une Epître en Vers qui fut fort applaudie : elle étoit adressée à un Chevalier Anglois. On aprit peu de temps aprés que cette Epître étoit de Mr de Bellocq. Ceux qui en avoient dit du bien furent ravis d’avoit loüé l’Ouvrage à cause de son merite, & non à cause de la reputation de l’Auteur, dont les Ouvrages ont toujours été generalement estimez. Vous jugerez de la beauté de cette piece en la lisant.

EPITRE À MONSIEUR LE CHEVALIER BABER,
GENTILHOMME ANGLOIS.

Si du sombre avenir dissipant les tenebres,
Je puis de quelque éclat orner les noms celebres,
Le vostre, Chevalier, par mes vers anobli,
Ne sera point noyé dans les eaux de l’oubli.
Je veux de vos vertus faire un portrait fidele
Qui puisse, à nos Neveux proposé pour modelle,
Attirer les regards de leur posterité,
Exposé sur l’Autel de la Fidelité.
Le Ciel formant les Rois de sa plus noble essence,
Sur deux Poles divers fit rouler leur puissance.
Le premier est l’Honneste, & soûtient ce pouvoir
Planté sur un rocher, qu’on nomme le Devoir :
L’auguste Majesté, le sacré caractere,
Le respect, le serment sorty du Sanctuaire,
Et la Religion, dont le nom fait fremir,
Comme autant d’arcs-boutans servent à l’affermir.
L’autre nommé l’Utile, est fondé sur le sable,
Son assiette douteuse est toujours variable,
Le hasard en dispose, & par son mouvement
L’ébranle, l’affoiblit, l’entraîne au changement :
Les caduques grandeurs, les richesses fragiles,
Les fieres dignitez, & les honneurs steriles
Voltigeant à l’entour, par leur foible clarté
Déguisent le défaut de sa solidité.
C’est-là que les mortels d’une trempe commune
Viennent servilement adorer la Fortune,
C’est-là que d’un faux jour l’éclat les ébloüit,
Prests à tourner le dos, dés qu’il s’évanouit ;
Pendant que les grands cœurs que la sagesse guide,
À sa base colez, s’attachent au solide,
Et pour suivre leurs Rois du sort persecutez
Renoncent aux grandeurs, aux biens, aux dignitez.
Quel autre cœur plus ferme, & plus digne d’estime,
Baber, prit mieux que vous ce parti magnanime,
Lorsque le noir flambeau de la rebellion
Embrasa de ses feux la mouvante Albion2?
Qui pouvoit mieux que vous, sans trouble, sans envie,
S’assurer pour toûjours une tranquille vie ?
Né d’une race illustre, appuyé de parens
Que Londres respectoit, placez aux premiers rangs,
Appellé par les droits d’une heureuse naissance
À joüir des douceurs qu’entretient l’opulence,
Vostre zele y renonce, & desinteressé
Il s’attache au débris d’un Thrône renversé.
J’admire cet effort, & je luy rends justice ;
Je connois tout le prix d’un si grand sacrifice,
Dont un cœur lâche & bas se verroit effrayé,
Et dont vous vous trouvez si noblement payé,
Je le sçais, Chevalier, & que vostre constance
Dans ses propres travaux goûte sa récompense.
Poussé par le devoir à suivre avec ardeur
Un Prince dont la chûte a marqué la grandeur,
Vous avez vû de prés cet heroïque exemple,
Que la Posterité doit honorer d’un Temple,
Et qui vient d’enseigner aux Princes d’aujourd’huy
À rendre au Roy des Rois ce qu’ils tiennent de luy.
C’est du Sang des Stuards la pratique sublime,
Marie3, avoit du sien scellé cette maxime ;
Jacques suit son Ayeule, & marchant sur ses pas
Au zele des Autels immole ses Etats.
Le Ciel vous applaudit, & déja ses prodiges
Grand Roy, de vostre gloire ont tracé des vestiges !
Et vous, ô digne Epouse, & d’un Saint, & d’un Roy,
Victime de l’Amour, Martyre de la Foy,
Vous, dont à tous les bons la disgrace est commune,
Et dont le seul aspect condamne la Fortune,
Vous, chez qui des vertus le cercle respecté
Reconnoist pour son Chef l’auguste Pieté,
Qui nourrissez ce Fils l’espoir de la Tamise
Du suc de la Sagesse, & du lait de l’Eglise :
Malgré les duretez d’un exil rigoureux,
Qui vous voit tous les jours n’est-il pas trop heureux ?
Déja de vos climats écartant son tonnerre,
Le Ciel d’un œil plus doux regarde l’Angleterre,
Déja sur son Zénith deux Astres éclatans
À sa triple Couronne annoncent le beau temps.
Ainsi, lorsqu’un Vaisseau tourmenté de l’orage
Attend avec frayeur le moment du naufrage,
Si quelque Matelot voit en faisant son quart,
Briller les feux Gemeaux au travers du brouillard,
Un cry joyeux s’éleve ; & sur cette apparence
Chacun de son salut recouvre l’esperance.
Jeune Roy des Anglois, montez sur l’horison,
Et forcez l’injustice à vous faire raison :
Bientost nous vous verrons sur les Mers Britanniques
Dissiper d’un regard leurs vapeurs politiques :
Ces grandes qualitez nous en sont caution,
Qui courent au devant de l’éducation ;
Cet esprit avancé, dont la flame épurée
Admet une prudence aussi prématurée,
Ce noble exterieur, cet excés de bonté
Qui réünit l’amour avec la Majesté,
Enfin tant de vertus que Dieu vous a données,
À des destins privez ne sont pas condamnées ;
En vous elles feront reverer un grand Roy,
Et dans des cœurs seduits rappelleront la Foy.
Croissez, jeunes beautez de l’aimable Princesse,
Croissez, source d’attraits, & tresor de sagesse ;
Déja la renommée en traversant les mers
Prépare tous les cœurs à recevoir vos fers,
Et la rebellion qu’épouvantent vos charmes,
N’attend qu’à voir vos yeux pour leur rendre les armes.
Sans doute, Chevalier, qu’à ma prédiction
Vous vous opposerez par cette objection.
Avecque l’équité ce siecle est en divorce,
Le bon droit y languit quand il manque de force,
Le merite, impuissant s’il n’est pas fortuné,
N’y sçauroit triompher du crime couronné.
Mais, pour vous rassurer, songez sous quels auspices
Vostre Roy, de son rang a goûté les prémices :
Des hauts faits de LOUIS le cours impetueux
Ne luy laissera-t-il qu’un titre infructueux ?
Non, non : quand ce Heros que la gloire accompagne
Aura vengéPhilippe, & raffermi l’Espagne,
Certains de son appuy les Anglois genereux
Contraindront les ingrats à devenir heureux,
Et la fidelité revenant à paraistre
On verra plus d’un Monk 4 declaré pour son Maistre.
De splendeur cependant aux Cieux environné,
Jacques le bienheureux, humblement prosterné
Aux pieds majestueux du Thrône de sa gloire,
Briguera les faveurs du Dieu de la Victoire.
Ainsi, quand les Hebreux, contre leurs ennemis
Disputoient le terrain qui leur estoit promis,
Pendant que Josüé faisoit agir leurs armes,
Moyse soupiroit, & répandoit des larmes,
Et ce double secours qui redoubla leur cœur,
De ce Peuple choisi fit un Peuple vainqueur.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 339-342.

Le mot de la derniere Enigme étoit la Pierre qui se forme dans le corps de l’homme. Ceux qui l’ont trouvé sont, Mrs Jean François le Grand, valet de Chambre ordinaire du Roy, de la ruë de Grenelle, Paroisse Saint Eustache ; l’Abbé du Flot, de la ruë de Savoye, quartier de Saint André, Bardet & son amy Duplessis Chirurgien, au Mans, Marc-Antoine Charriere d’Auxerre, de Binanville, Seigneur dudit lieu, Binet dit Château-neuf de S. Germain. Desplaces & son fidelle compagnon de Saint Jean de Bonneval, le grand Sableur des assises, d’Icles, & Brajeux de Troyes. Le chef des Eleus de Caudebec, & le Depositaire de la santé son hoste, Le nouveau Bailly de la Parroisse Saint Severin, & son Lieutenant, Le jeune homme de Metrait du Diocese de Tours de la ruë de la Verrerie, Le grand Loüison de la ruë de la Verrerie, le gros Tirant de Boule de devant la ruë de Savoye, Le beau Portail de Saint Eloy, Le mary nouveau de la ruë Saint Jacques, l’Illustre Lejay de la rue de Biévre, Tamiriste & sa fille Angelique, & le depossedé de la Bastille. Le plus petit des trois freres de la rue des grands Augustins, & le petit Jannot. Madame la Presidente de l’Election de Chaumont & Magny, Mesdemoiselles du Moûtier de Larsenal la fille, l’aymable & charmante Demoiselle Judith de la rue Sainte Anne, La jeune Muse regrettée du Parnasse, La belle Picarde de la rue de Verneüil ; la Sauvage privée du quartier Saint André, & le petit Moulin à paroles.

L’Enigme qui suit a moins de corps que la derniere : elle est de la grande Doris.

ENIGME.

Je suis vieille & pleine d’appas,
Quoy que noire je suis belle,
Tel qui me pourroit voir où son plaisir l’appelle,
Pour cela, ne me connoist pas.
***
Je suis quinteuse, & m’en fais un honneur,
On me voit dans la regle, observer le silence,
Je l’impose aux humains, & fais du bruit en France
Je fais voir en mes traits, des signes de valeur.
***
Je suis peu sans amour, l’amour est peu sans moy ;
Mais pour le declarer il faut bien des mesures ;
Mes souspirs sont discrets, mes paroles sont pures,
Enfin, de point en point, je suis du goust du Roy.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 343.

L’air suivant est de Mr de Montailly, vous en avez souvent admiré de sa façon.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Pourquoy me fuyez-vous, page 343.
Pourquoy me fuyez-vous cruelle ?
Mes regards auroient-ils causé vôtre courroux,
Permettez seulement que je vous trouve belle,
C’est tout ce que je veux de vous.
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[Traité du Mérite] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 364-368.

Il paroist depuis peu un Livre intitulé, Traité du merite fait par Mr l’Abbé Vassetz, Curé de Saint Lambert. Rien n’est si commun que le mot de merite, & il n’y a rien dont on soit si liberal, chacun en donne à ses amis avec profusion, les gens qui sont en place, & qui peuvent rendre des services importans, en sont remplis, au sentiment de ceux qui en attendent des graces ; les Amans ne parlent que du merite de leurs Maîtresses, & de quelque profession qu’on soit, il s’en trouve pour tout le monde, & même du merite distingué, car ces deux mots sont presque inseparables. Enfin tout le monde en a, & cependant il s’en trouve peu de solide, & de veritablement distingué ; il s’en rencontre neantmoins ; mais le veritable est souvent confondu avec le faux.

L’Auteur du Livre dont je viens de vous parler traite d’abord du merite en general. Il s’arreste peu à chaque question qu’il fait, il n’a point voulu entrer dans un grand détail qui l’auroit jetté hors de son dessein, qui n’est que de rapporter les principes de son sujet, & d’en laisser tirer toutes les consequences qui en dépendent. Du merite en general il passe à ses especes, il commence par le merite solide, qui regarde les Sciences, les Arts, le Gouvernement politique, &c. & parle du merite appellé enjoüé, parce qu’il est pour l’agrément, pour la politesse, & pour tout ce qui peut plaire, il descend ensuite aux especes de ces deux merites qui font le merite du Sçavant, & celui de bel esprit ; & comme l’enjoüement convient à la Jeunesse, & la solidité à la Vieillesse, il traite du merite de ces deux principaux âges de l’homme, & parcoure les differens Etats où l’on peut se trouver, & leur merite en particulier ; mais comme tout le monde pourroit ne pas convenir qu’on puisse acquerir un merite qu’on n’a pas, il le prouve en peu de mots. Il donne ensuite les regles qu’il faut pratiquer pour faire valoir les belles qualitez qu’on peut avoir, & finit son Traité par un discours sur le droit de preference entre le merite & les richesses, où il fait un abregé de tout le vray & le faux merite. Ce que j’ay lû de ce Livre m’a paru tres-bien écrit. Ce livre se vend chez le Sr Vandive, ruë S. Jacques, au Dauphin.

[Journal de ce qui s’est passé en Piémont] §

Mercure galant, octobre et novembre 1703 [première partie] [tome 10], p. 432-440.

Depuis que Mr de Vendosme a marché du costé de Piémont, il s’est passé quatre ou cinq actions dont je vous ay fait part de la premiere qui est la défaite d’Hannibal Visconty. Voici les autres. La premiere est contenue dans la Lettre suivante.

D’Ast ce 8. Novembre 1703.

Sur l’avis qui fut donné à Mr de Vendosme qu’il y avoit dans Ast deux Bataillons, & quelque Cavalerie, il envoya ordre à Mr de Vaubecour, qui commandoit l’Armée sur la Sesia, & qui avoit déja passé le Pô à Breme, de se rendre le 6. à Quatorzedi, qui est à huit mille d’Ast. Son Altesse partit avec cent Dragons d’escorte pour s’y rendre. Nous decampâmes le lendemain au point du jour avec six pieces de canon, pour venir à Ast ; toutes les nouvelles confirmerent pendant nostre marche, qu’il y avoit une forte Garnison, & en entrant sur le Territoire d’Ast, quelques Paysans s’avancerent sur une hauteur, d’où ils nous tirerent cinq ou six coups de Carabines, qui tuerent un cheval. Ils tirerent deux Boëtes en même temps pour donner le signal de nostre approche à la garnison de la Ville, puis ils se sauverent. Nous commençâmes nôtre marche, jusqu’à la petite portée du canon où l’on se mit en bataille, aprés quoy Son Altesse envoya un Trompette sommer le Gouverneur, & les Magistrats de luy apporter les clefs. Les nouvelles qu’il y avoit garnison étoient vrayes, mais au signal des deux Boëtes elle se retira du costé de Villeneuve d’Ast, le Trompette n’eût pas plutost fait son appel que Mr l’Evêque vint avec la Croix & à la teste de son Clergé implorer au nom de toute la Ville la misericorde de Son Altesse, qui la receut tres-favorablement.

La Villeneuve d’Ast suivit aussi-tost aprés l’exemple de la Ville d’Ast. Mr le Duc de Vendosme y marcha avec six pieces de canon, & fit observer aux Troupes une exacte discipline. Quelques Païsans ne laisserent pas de prendre les Armes, nonobstant les deffenses que ce Duc avoit fait publier, & blesserent quelques Soldats. Il fit, pour l’exemple, brûler cinq ou six maisons. Il apprit, en entrant dans Villeneuve d’Ast, que Monsieur le Duc de Savoye y estoit venu le même jour, & qu’il y avoit même dîné. Ce Prince ne se sauva que luy dixiéme. Il avoit eu la précaution de faire tenir des Païsans sur des hauteurs pour l’avertir par des fusées qu’ils devoient tirer, sçavoir, deux quand ils verroient un Escadron, & une lorsqu’ils appercevroient un Bataillon. Il avoit fait jetter un pont sur le Pô, entre Turin & Train, & avoit déja fait passer deux cens Dragons. On les joignit, on les battit, & on en tua cent soixante, le reste répandit la terreur jusqu’à Turin. Mr de Savoye fit rompre le pont, & se retira.

La Lettre qui suit vous éclaircira de la suite des expeditions de Mr de Vendosme.

Au Camp de Castelnovo, le 20. Novembre 1703.

Lorsque l’Armée partit le 14. du Camp de Villanova pour venir icy, il faisoit un broüillard si épais, que nos Houssars tomberent, sans qu’on s’en aperçût, sur la Sentinelle d’un Parti de Milices de Mr le Duc de Savoye qui s’étoit embusqué sur la marche de la colonne, lequel fut attaqué si brusquement, qu’avant de pouvoir gagner un Bois qui étoit proche, nos Houssars tuerent plus de soixante hommes sans faire de prisonniers. Il parut sur une montagne voisine six cens Paysans qui se retirerent à nôtre aproche. Ils vinrent cependant hier attaquer un poste de dix hommes qui ayant été soûtenus par cent Dragons aux ordres de Mr d’Aubeterre, les repousserent & chasserent d’une Cassine qu’ils occupoient par de là ce poste, & les reconduisirent à coups de fusils pendant une heure. On a remarqué que les Troupes reglées de Mr de Savoye qui étoient sur la gauche, s’enfuirent les premieres. Un corps de deux mille hommes à la tête desquels étoit ce Prince, ayant abandonné une Cassine, Mr d’Aubeterre la fit brûler pour tenir parole aux Paysans ausquels Monsieur le Duc de Vendôme avoit fait dire qu’il feroit brûler les Villages & Cassines dont ils tireroient. Pendant ce temps-là ce Prince étoit allé visiter les postes du Montferrat, où Mr Dillon s’établissoit avec deux Bataillons pour le quartier d’hyver. Mr de Marignant en fait de même à celuy de Passerau, avec les Regimens de Bresse & de la Sarre, ces deux quartiers feront la tête de ceux que l’on étendra depuis Gabian & Monteil, pour couvrir le Montferrat jusqu’à Alba, & quand ces deux postes seront en seureté, l’Armée se separera dans leurs derrieres. Le quartier general sera à Asti.

La Lettre suivante merite quelqu’attention.

À Castelnovo, le 22. Novembre 1703.

Les Piémontois étant venus en bon ordre avec Drapeaux déployez & Etendars, pour se saisir d’un Village, on marcha d’abord à eux. Mr de Vendôme les fit attaquer par Mr le Comte de Chamillart avec les Brigades de Medoc, & de Bresse. Il les renversa, en tua cent cinquante, & mit le reste en fuite. Il n’y eût en cette occasion, que deux Majors & sept soldats tuez.