Mercure galant, octobre 1701 [tome 12].
Mercure galant, octobre 1701 [tome 12]. §
[Poëme à la gloire du Roy] §
Je ne doute point que vous ne lisiez avec plaisir le petit Poëme qui sert de commencement à cette lettre. Les rares qualitez de nôtre Auguste Monarque y sont dépeintes d’une maniere aussi vive que naturelle ; & quand on n’y parleroit que d’un Souverain en general, on reconnoistroit le Portrait de Louis le Grand.
Il n’est rien de si beau que la grandeur suprême,Et le pompeux éclat dont brille un diadême.Les Rois ont la fortune & la foudre en leurs mains,Et font comme il leur plaist, le destin des humains,Le Ciel qui les a faits ses plus vives Images,Ne borne pas leurs droits, ny nos justes hommages,Et quand même ils seroient ses plus grands ennemis,Il commande aux Mortels de leur estre soûmis.Heureux sont les Sujets d’un Roy dont la clemence,Modere sa justice, & son pouvoir immense.Qui se soûmet luy-même aux loix de l’équité,Et borne son pouvoir qui n’est pas limité,Qui dans les châtimens, plus benin que severe,A pour ses bons Sujets, des tendresses de Pere,Et qui par ses bienfaits, redoublant leurs liens,Regne plus sur leurs cœurs, qu’il ne fait sur leurs biens.Tel est Louis le Grand, ce Monarque invincible,Debonnaire à son Peuple, au vice inaccessible.Il apprend à regner à tous les Potentats,Et fait servir sa gloire au bien de ses Etats.Il a pour le bonheur d’un Peuple qui l’adore,Etendu son commerce aux Climats de l’Aurore,Assuré son repos au milieu des hasards,Fait regner la Justice, & fleurir les beaux Arts,Jamais Prince n’acquit une gloire si belle ;Ses triomphes divers l’ont renduë immortelle.Vaillamment attaqué sur les Champs de Rocroy,Il commença de vaincre aussi-tost qu’il fut Roy.Vainqueur perpetuel sur la terre & sur l’onde,Le bruit de sa valeur a rempli tout le monde,Qui surpris de sa gloire, & de tant de hauts faits,N’a rien vû d’approchant, & n’en verra jamais.Le Rhin vit ce Heros signaler son courage,Contre cent Bataillons postez sur son rivage,Conduire dans les flots, ses Soldats animez,Et chasser l’Ennemy dans ses Forts allarmez.Mais est-il des remparts qu’il ne force à se rendre ?La terreur de son nom suffisoit pour les prendre.Le Ciel qui secondoit la force de son bras,Excitoit sa valeur à punir des ingrats.Battus de toutes parts, & tout prests à se rendre,Ils firent inonder ce qu’ils n’osoient défendre,Et ne voyant plus rien qui les pust secourir,Prirent pour se sauver, des moyens de perir.Divers Princes liguez redoublérent sa gloire,Ils ont par leur défaite, embelli son histoire,Et fourni dans le cours de trois lustres entiers,Dans leurs Etats conquis des moissons de Lauriers.Ainsi l’Astre du jour dissipe les orages,Lors qu’estant combatu par de sombres nuages,Armé de tous ses traits, & d’un éclat nouveau,Aux lieux qui les font naistre, il creuse leur tombeau.Mais dans leur mauvais sort leur bonheur fut extrême,Ils ne pouvoient le vaincre, il se vainquit luy-même,Et fit ceder sa gloire aux plus ardens souhaits,Des Peuples épuisez qui demandoient la Paix.Il luy sacrifia mille Places conquises,Plus glorieux encor, que de les avoir prises.Sa bonté surprenante auroit dû les charmer,S’ils n’avoient eu des cœurs incapables d’aimer,Mais si par sa valeur il paroist redoutable,En sa Personne auguste, il n’a rien que d’aimable ;Par ses honnestetez, sa douceur & sa foy.Il se fait plus aimer que craindre comme Roy.Les plus rares vertus qui forment l’honneste-homme,Qui faisoient le bonheur & la gloire de Rome,Ne l’élévent pas moins au dessus des humainsQue celles de Heros sur tous les Souverains.Protecteur du merite, & de tous ceux qu’il aime,Il prend leurs interests aux dépens des siens même,Et leur fait tant de bien dans leur sort rigoureux,Que leurs propres malheurs les rendent plus heureux.Bien éloigné des mœurs, & des airs de Tibere.Qui ne faisoit du bien qu’avec un œil severe,Et comblant de faveurs ceux qu’il vouloit punir,Leur presageoit par là tous leurs maux à venir.De tant de biens qu’il fait, dont la grandeur étonne,Il rehausse le prix de l’air dont il les donne.Qui reçoit ses faveurs, n’a rien à desirer.Il en fait toûjours plus qu’on n’en doit esperer.Par les loix de l’honneur sa belle ame reglée,Des noires passions ne fut jamais troublée ;Et sa raison tranquille imite sagementUn Pilote vainqueur du perfide élement.Il est toûjours fidele, & sa parole stable,Malgré ses interests, demeure inviolableTout fléchit sous ses loix, mais l’honneur le soûmet.Jamais il n’entreprend que ce qu’il luy permet.Mais cet honneur est grand, veritable & solide,Qui sans choquer le Ciel, prend la raison pour guide.Il a severement proscrit le faux honneur,Qu’inspirent la vangeance, & la fausse valeur,Ennemi de l’Erreur, autant qu’il l’est du Crime,Il a fait rendre au Ciel son culte legitime,Et mis par son exemple autant que par ses loix,La Vertu sur le Trône, & l’Erreur aux abois.L’Ibere qui l’admire, a pris comme une grace,L’honneur d’avoir pour Maistre un Heros de sa race.La valeur de Louis, avec sa probité,Répond de l’Univers à sa Posterité.
Ce petit Poëme est de Mr l’Abbé de Cantenac, Chanoine de l’Eglise de Cathedrale de Bordeaux. Vous vous souvenez de ce qu’il a écrit avec un si grand succés contre les mœurs perverties du siecle.
[Ceremonies qui s’observent au Convent de Nazareth dans la Terre-sainte] §
Il me restoit la derniere fois à vous faire part de ce qui a esté écrit touchant les ceremonies qui s’observent au Convent de Nazareth dans la Terre-Sainte, & les moyens d’en faire facilement le Voyage, & sur ce qui regarde l’Ordre des Chevaliers du S. Sepulcre. Je vous ay promis de vous l’envoyer, & je m’en acquitte.
DU CONVENT
& des Ceremonies de Nazareth.Comme Nazareth est un des plus beaux Sanctuaires la Terre-Sainte, où s’est operé le premier, & le plus grand de nos Misteres, sçavoir l’Incarnation du Verbe, les Religieux souhaiteroient avec passion pouvoir officier dans ces saints Lieux, en la maniere qu’ils le font en Jerusalem & en Bethléem. Pour cela il y en a environ vingt ans qu’ils y firent bastir un Convent assez spacieux & commode ; mais ce Convent estant situé dans un pauvre Village abandonné, & continuellement exposé aux Arabes, qui tres-souvent en ont chassé, blessé & tué les Religieux, on n’y en tient pas un fort grand nombre. Lors qu’on ne voit pas apparence de grand trouble de la part des Arabes, on y en met douze ou quinze, sinon on se contente d’y en mettre six ou sept, qui ne laissent pas de chanter les Messes, & les Offices tous les jours, & faire tous les soirs les Processions. Sur tout ils celebrent la Feste de l’Annonciation avec toute la solemnité possible, excepté qu’ils n’ont point de beaux Ornemens, comme ailleurs, parce que ce Convent estant sujet à estre pillé par les Arabes, on n’y laisse que le pur necessaire, soit pour l’Eglise, soit pour le service des Religieux.
Voyage de Tiberiade.
Les Religieux, & Pelerins qui arrivent à Nazareth pour la premiere fois font le voyage de la mer Tiberiade, à moins que les chemins ne se trouvent occupez d’Arabes. Pour faire ce voyage l’on prepare quelques provisions, & des couvertures pour coucher une nuit dehors. L’on porte un peu de pain, du poisson, des olives, des raisins secs, & des figues. L’on part de Nazareth sur les six heures du matin, si c’est en hiver, & à quatre, si c’est en Esté. L’on tire au Nort de Nazareth. La premiere chose qu’on trouve à demi lieuë ou environ de Nazareth, est un petit Dôme basti sur des roches, sur lesquelles on voit des vestiges des pieds d’un Geant imprimez. Ce Geant devoit estre d’une prodigieuse grandeur. Les Turcs, & les Chrétiens du pays disent que ce sont les vestiges de Jonas le Prophete. Je crois qu’ils auroient de la peine à le prouver. Ensuite l’on descend dans une vallée où l’on trouve une petite Montagne qui à l’Orient est fort grosse, & qui venant à l’Occident diminuë, & se termine en un Costeau ou en une pente assez étroite, sur laquelle estoit bâti le Village de Cana, dont il reste quelques maisons. C’est dans ce Village où le Sauveur convertit l’eau en vin aux Noces de Cana. Là il y a encore une Fontaine tres-agreable, qui a esté bien bâtie & est encore ornée de marbre. L’on boit par devotion de l’eau de cette Fontaine, & l’on va dans une Eglise voisine, changée en étable par les Turcs, où l’on chante le Saint Evangile des Noces de Cana, avec le Surplis & l’Etole. Le Turc & les Truchemens conducteurs, faisant sentinelle, lorsqu’il y a quelques Habitans dans ce Village, qui pour l’ordinaire est tout desert, quoy que ce soit le plus beau pays, & le meilleur terrein du monde, où l’herbe croist bien plus haute qu’un homme.
De Cana l’on va au Champ où les Apôtres arrachoient les épics un jour de Sabath, dequoy ils furent repris par les Pharisiens, & défendus par le Sauveur. Il y a là une auge sous un arbre pour tenir l’eau pour les Passans. Là on chante le Saint Evangile qui raconte cette action des Apostres, & s’il y a plusieurs Religieux Prestres, chacun chante son Evangile à son tour.
Du Champ où les Apostres cueilloient des épics un jour de Samedy, l’on va à la Montagne des Beatitudes, laissant à main droite à un quart de lieuë un Village qui s’appelle en Arabe Loubié, qui signifie Aricot. C’est sur cette Montagne que le Sauveur prescha les huit Beatitudes ; elle n’est pas fort élevée. Il y a eu une ancienne Eglise, dont on voit encore aujourd’huy quelques ruines. L’on y chante aussi l’Evangile des huit Beatitudes, & l’on va à une lieuë de là dans une grande Campagne ou Prairie, qui est le lieu où le Sauveur rassasia de cinq pains cinq mille hommes. L’on y chante aussi le Saint Evangile qui exprime ce grand miracle. Il y a un puits duquel le Conducteur ou Truchement de Nazareth tire de l’eau, & ayant fait asseoir sur l’herbe qui est là en abondance, toute la Compagnie, l’on distribuë du pain à chacun & du poisson, qu’on mange en memoire du miracle que le Sauveur opera en cet endroit. Aprés avoir rendu graces à Dieu, l’on descend à la Mer & Ville de Tiberiade. Aprés avoir fait environ demi lieuë l’on trouve le reste d’une Forteresse à la pente d’une Montagne, qui sans doute est du temps des Chrétiens. L’on va ensuite à Tiberiade où il y a aujourd’huy des murailles fort simples, posées en forme de Delta grec, elle est presque toute deserte & ruinée. Au bout Septentrional de la Ville au bord de l’eau, ou de la mer de Tiberiade, il y a une Eglise changée en étable. Cette Eglise a esté bastie en memoire de ce que le Sauveur établit en cet endroit S. Pierre le Chef des Apostres, luy disant. Tu es Petrus, & super hanc petram, ædificabo Ecclesiam meam. On chante dans cette Eglise le Saint Evangile qui contient les paroles du Sauveur à cet Apostre. On y a ensuite à une lieuë de là au midy à Betsaïde, qui est la patrie de Saint Pierre, de Saint André, de Saint Jacques, & de Saint Jean. Elle est au bord de la mer, & toute ruinée, & il n’y a pas même de reste considerable d’Eglise. C’est pourquoy l’on chante au bord de la mer le S. Evangile qui exprime les miracles que le Sauveur y a faits, chassant les Diables des corps des possedez, & guerissant divers malades. On voit prés de cette Ville, & au bord de la mer, une fontaine d’eau salée extremement chaude, & une autre d’eau douce, qui est fort froide. Elles sont fort voisines l’une de l’autre, & se déchargent dans un même bassin. Aprés qu’on a chanté les saints Evangiles propres aux lieux, on choisit une ruine pour y passer le reste du jour, & y réciter les Offices. La nuit estant venuë, on étend sur terre quelque couverture qu’on a apportée de Nazareth, l’on se repose jusqu’à la pointe du jour. On part alors pour le mont Tabor, où l’on arrive sur le midy, y ayant bien cinq lieuës de chemin assez de difficile, de la Ville de Bethléem au Tabor, il est sur tout difficile au commencement, parce qu’il faut beaucoup monter. Cette mer qui peut avoir trois lieues de large sur douze de long, est douce, & traversée par le fleuve Jourdain. Quoy qu’elle soit remplie d’une infinité de bons Poissons, il n’y a néanmoins aucuns Pescheurs, à cause de la grande tirannie des Turcs. Quelques-uns d’entre-eux ayant entrepris d’y faire des barques & d’y pescher, à peine avoient-ils travaillé pendant six mois, que le Bacha de Sephet leur faisoit de grosses avanies, disant qu’ils avoient gagné de grosses sommes d’argent à vendre du Poisson, & leurs demandoit deux fois plus qu’ils n’avoient gagné, ce qui les a obligez de rompre leurs barques, & d’aller travailler ailleurs. Aprés avoir monté environ une demi lieuë partant de la mer de Tiberiade, on trouve les grandes Plaines & Prairies de Dorain, où tous les ans il croist du foin en grande abondance, mais il n’est point recüeilli faute d’Habitans. Aprés avoir marché environ cinq lieuës, on arrive à un grand Caravansera, bâti presque au pied du Mont de Thabor, qui est bien habité & rempli de familles Turques, qui y travaillent de differentes Professions. Là on paye un petit Tribut. On monte ensuite le Mont de Thabor, qui est en forme de pain de sucre. La montée en est rapide, mais il est tres-agreable estant tout couvert d’arbres & de plantes. Il peut avoir au bas deux lieuës de tour. On y trouve quantité de Sangliers, de Tigres, de Loups, & de Chiens sauvages. Les Anemones, les Tulipes, les Renoncules simples, y sont abondantes. Les Asperges, l’Absinte, la Ruë, la Marjolaine & le Thin, y croissent naturellement. Il y a à la cime de la Montagne un reste de muraille de Ville haute de trois ou quatre pieds. On voit dans l’enceinte de ces murailles un grand nombre de citernes, sur tout, proche & aux environs du lieu appellé les trois Tabernacles, où les Religieux disent la Messe, pendant qu’un Turc fait la sentinelle, à cause des Arabes dont on reçoit souvent des insultes, lorsque l’on va visiter cette sainte Montagne. Quand la Messe, & les Offices sont finis les Religieux descendent de la Montagne pour se retirer à Nazareth, éloigné de deux grandes lieuës du Mont de Tabor. Quelque fois l’on ne peut pas faire le voyage de Tiberiade, parce que les Arabes ou les Villageois tiennent les chemins occupez, principalement lorsqu’il y a guerre de Village contre Village, ce qui arrive tres-souvent dans la Turquie. Le Voyage du Mont de Tabor n’est pas non plus toûjours libre, ce que l’on sçait toûjours à Nazareth, ou même à Ptolemaïde, appellée Saint Jean d’Acre. C’est un Port de mer à sept lieuës de Nazareth, & à son Occident. Lorsqu’on apprend que les chemins ne sont pas libres en arrivant à Acre, pour aller en Jerusalem, on attend à faire le voyage, au retour de Jerusalem.
Moyens de faire facilement le
Voyage de la Terre Sainte.Plusieurs personnes regardent ce voyage comme tres-difficile, & d’une grande dépense, & ceux qui l’ayant fait plusieurs fois sçavent ce que c’est, l’estiment une promenade, comme il y a des Consuls François dans tous les Ports de la Turquie, & des Religieux de Terre Sainte de l’Ordre de S. François, les Pelerins qui entreprennent ce Voyage, n’ont rien à craindre, trouvant par tout des Protecteurs dans les Consuls, & des aides pour les besoins corporels, & spirituels dans les Religieux qui habitent les Saints Lieux, l’on peut s’embarquer pour ce voyage à Marseille, à Ligourne, ou à Venise, mais Marseille est de tous les Ports de la Mediterranée celuy où l’on trouve le plus de commoditez & avec plus de seureté qu’ailleurs, parce que les Provençaux sçavent parfaitement la Mediterranée, l’experience a souvent montré que de simples Matelots de Marseille, connoissent bien mieux les Ports Havres, Rades, Ecüeils ou autres lieux de cette Mer, que les Pilotes Anglois, ou Hollandois. Quand on est à Marseille on s’informe s’il y a quelque Vaisseau qui aille à Chypre, ou à Tripoli, à Saïde, Saint Jean d’Acre, ou à Sour, appellé Tir, il n’y a aucun mois de l’année pendant lequel on ne trouve quelque Vaisseau pour un de ces Ports, qui sont tous bons pour le voyage de Terre Sainte. Si l’on veut voir l’Egipte, l’on se met sur un Vaisseau qui aille en Alexandrie. Il en part un tous les mois pour cette Ville. Lorsqu’on arrive à un de ces Ports on va d’abord saluer le Consul de France ou le Vice-consul & il donne au Pelerin les avis necessaires pour faire le voyage qu’il entreprend, ou bien il prend conseil des Peres de Terre Sainte. Si l’on a de l’argent & qu’on apprehende d’estre dépoüillé par les Corsaires, ou par les Arabes, ce qui arrive quelque-fois, on laisse son argent au premier Port de Mer entre les mains du Procureur de Terre Sainte, ou de quelque autre Marchand. Le Procureur du Marchand donne un billet par le moyen duquel le Pelerin peut recevoir son argent en Jerusalem ou bien en quelque autre part. On peut sans crainte se fier à eux.
Les Religieux de Saint François, & autres qui prennent l’habit de Terre Sainte à Rama, comme font les Capucins & les Carmes Déchaussez, ne payent rien des tributs aux Turcs, il donnent quatorze écus moyennant quoy on luy fournit un cheval pour aller & retourner de Jerusalem à Japha, & par consequent ils peuvent faire le voyage & s’en retourner en France pour cinquante écus, pourveu qu’ils n’aillent pas au temps de Pasque en Jerusalem, parce que pour lors il faudroit necessairement donner dix écus que le Bacha retire de chaque Pelerin. Il n’en est pas de mesme des Religieux qui ne prennent pas l’habit de Terre Sainte, ou des Seculiers. Ils ont plusieurs tributs à payer aux Turcs, & ces tributs montent du moins à soixante écus. Le voyage de Marseille à Chypre, Acre, Saïde, ou Tripoli, est ordinairement de vingt jours, quelque fois de dix-huit ou quinze, selon que les vents sont plus ou moins favorables. On peut se promettre de ne demeurer jamais davantage sur Mer, dans les mois de Mars, Avril, May, Juin, Juillet, & Aoust, parce que les vents sont toûjours favorables dans ces mois pour aller en Orient. En d’autres temps de l’année le voyage pourroit estre un peu plus long : mais il est rare qu’il arrive à trente jours. Il n’en est pas de mesme du retour, qui est ordinairement de plus de cinquante jours, la raison est que les vents & les courants sont presque toûjours contraires au retour, allant d’Orient en Occident, & qu’outre cela les Vaisseaux sont chargez de marchandise, allant du Levant en Chrestienté, au lieu qu’ils vont vuides de Chrétienté au levant, n’ayant d’argent que pour acheter les marchandises, & presque rien davantage. De Marseille en Levant les Capitaines ne doivent prendre que six écus pour le simple passage d’un Religieux, sans nourriture, & dix pour le passage & la nourriture, comme il s’est toujours pratiqué, même sur les Vaisseaux Anglois & Hollandois. Comme les Seculiers veulent pour l’ordinaire plus de commoditez que les Religieux, leur passage est un peu plus cher, mais ordinairement un Capitaine se contente de quinze ou seize écus pour le passage & la nourriture d’un Seculier. Tous frais faits, une personne qui veut ménager un peu son argent, peut aller de Paris en Terre Sainte pour deux cens écus, & retourner à Paris, & pour trois cens y aller avec toutes sortes de commoditez, & peut voir Constantinople, Smirne, Alep, Damas, Tripoli, Nazareth, Saïde, la Tiberiade, Tir, Ptolemaïde, le Mont Carmel, Japha, tout ce qu’il y a à voir dans la Terre Sainte, Damiete, le Grand Caire, & tout ce que l’on peut peut voir dans l’Egypte, & retourner par Alexandrie à Marseille, & de là à Paris pour cinq cens écus, & à moins, selon la prudence du Voyageur. On est obligé de prendre son Baptistaire, & la permission de son Evêque.
On sera sans doute bien-aise de sçavoir ce que l’on paye aux Turcs, pour visiter les Saints Lieux. Je rapporteray ce que l’on paya en l’année 1689. Comme les Coutumes des Turcs sont assez stables, il est probable que l’on payera encore aujourd’huy la même chose. S’il y a quelque changement, il doit estre peu considerable.
Tributs ou Peages que les Turcs
tirent des Pelerins de la Terre
Sainte.Chaque Pelerin arrivant à Japha, dernier Port de Mer, à quatorze lieuës de Jerusalem, paye quatorze piastres aboukelb, ou d’Angleterre. Cette Piastre vaut dix sols moins que nostre écu, & pour cette somme on donne un cheval pour aller en Jerusalem.
Entrant en Jerusalem par la porte de Damas, on paye quinze medins ; chaque medin vaut dix-huit deniers.
Pour le Gouverneur ou Bacha de Jerusalem, piastres ab. 1. & demi.
Pour entrer la premiere fois dans le Sepulcre, piastres 15.
Pour le Valet du Gouverneur, Medins 25.
Pour le Portier du Saint Sepulcre, Medins 10.
Pour le premier Truchement, piastres ab. 2. & demy.
Pour le second Truchement, piastre 1.
Pour faire ouvrir le S. Sepulcre à la sortie, piast 3. med. 18.
Pour les Officiers de la porte du Saint Sepulcre, un pain de sucre d’environ trois livres.
Pour aller au Fleuve Jourdain.
Chaque Pelerin Religieux, ou Seculier, donne au Bacha piastres 10.
Pour le cheval à aller & à venir, piastres 2.
Pour aller à la Quarantaine, piastres 2.
Pour un Serviteur du Pays, qui accompagne un Pelerin, piastres 5. & demi.
Pour un Serviteur qui est de Constantinople, piastres 7.
Quant aux Serviteurs qui viennent de Chrestienté en Terre Sainte, ils payent comme les Maistres.
Pour la visite de Bethléem.
À la porte de l’Eglise, medins 1.
Aux Truchemens du Convent, medins 8.
À Fons signatus, medins 1.
Pour le Capharre ou Peage, medins 3.
Au Pasteur, qui est le lieu où les Bergers faisoient paistre leurs Troupeaux, à la Naissance du Sauveur, medins 1.
Pour le Capharre ou Peage, medins 3.
Capharres, ou Peages, qu’on donne
sur le chemin de Bethléem
à Saint Jean.Pour les Capharriers, ou Peageurs, qui accompagnent, med. 5.
À la Fontaine de S. Philippe, med. 1.
Aux Paisans de Saint Jean, med. 3.
Aux Truchemens du Convent, quelque gratification.
Payement des Chevaux.
Pour aller à Cheval de Bethléem à S. Jean, med. 19.
De Bethléem à Fons signatus, med. 8.
De Bethléem à Saint Jean, & de là en Jerusalem, med. 15.
Pour le voyage de Jerusalem
à Nazareth.De Jerusalem à Napouloza qui est la ville prés de laquelle est le Puits de la Samaritaine, piastres, ab. 2. & demy. medins 11.
Pour un Serviteur Arabe, piastres aboukelb, piastres 2. & demie.
À Genin, piast. 5. & demi.
Au Conducteur, piastres. 6.
Pour les Chevaux des Pelerins, piastres du Pays, qui ne sont que de trente medins, piastres. 3.
Pour visiter la Mer de Tiberiade, le Tabor, Cana de Galilée, Betsaïde & le reste qui se voit sur le chemin, il faut de Péages aux Turcs, piastres aboukelb. 7.
De l’Ordre des Chevaliers du S.
Sepulchre, que donne le Gardien
de Jerusalem.L’Ordre des Chevaliers du Saint Sepulchre, au sentiment de tres-bons, & anciens Auteurs a esté institué par Saint Jacques, premier Evêque de Jerusalem qui y fut martirisé l’année trente sixiéme aprés la mort de Nostre Seigneur. On en a neammoins attribué l’Institution au Grand Constantin, parce que le Christianisme ayant commencé à fleurir sous luy, cet Ordre s’amplifia en mesme temps que le Christianisme, & fit pour lors un grand éclat dans le monde. Cet Ordre reprit encore un nouveau lustre, lorsque les Chrestiens prirent la Ville de Jerusalem, & la Terre Sainte. Baudoüin II. Roy de Jerusalem, ordonna que les Chanoines Reguliers de Saint Augustin, qui estoit pour lors en Jerusalem, & qu’il créa Chevaliers du S. Sepulchre, retenant l’habit blanc, porteroit une Croix carrée de tous les costez, qui dans les coins seroit cantonnée de petites Croix pendante au cou par un petit cordon de soye noire, jusque vers la poitrine. C’est ce qu’ordonna ce pieux Roy, qui en 1103. donna pouvoir au Patriarche de Jerusalem de recevoir des Sujets dignes de cet Ordre. L’an 1496. le Pape Alexandre VI. accorda ce pouvoir au Gardien de Jerusalem, & il a esté confirmé depuis par plusieurs Souverains Pontifes. Philippe II. Roy d’Espagne, a esté fait Grand Maistre de cet Ordre avec des Patentes tres autentiques, & ses Successeurs ont eu la même qualité de Grands Maistres de cet Ordre. Les privileges de ces Chevaliers du Saint Sepulcre, sont de préceder tous les autres Chevaliers, de quelque Ordre que ce soit, excepté ceux de la Toison d’or en Espagne & en Terre Sainte. Ils peuvent legitimer tout enfant qui n’est pas né d’un legitime mariage, changer le nom de Baptême, & accorder des Armes, créer des Notaires, & avoir, quoy que mariez, des biens Ecclesiastiques pour la défense de la Foy. Ils sont exempts de gens de guerre, & de toutes gabelles & tributs, & portent des habits de soye, comme ceux des autres Ordres ont accoutumé d’en porter. S’ils trouvent un corps attaché à un gibet, ils en peuvent couper la corde, & commander qu’on l’ensevelisse.
Maniere ou Ceremonies à la
reception des Chevaliers
du Saint Sepulcre.Le Gentilhomme, ou homme noble qui veut estre reçu Chevalier du Saint Sepulcre, doit s’y disposer par une Confession & Communion, afin de recevoir la grace attachée à cette sainte Chevalerie, & ensuite on le conduit au saint Sepulcre de Nostre Seigneur. Aprés diverses Prieres, que chantent les Religieux assemblez dans cette Eglise, il jure qu’il gardera les Reglemens Militaires. Ces Reglemens sont, d’entendre tous les jours la Messe, quand il y a commodité de le faire, d’exposer ses biens & sa vie, quand il y a guerre generale contre les Infidelles, de défendre & proteger les Saints Lieux, & les Religieux qui les gardent ; d’éviter les guerres injustes, les profits honteux, les duels & les combats illicites ; ce qui n’empêche point que les Chevaliers ne s’exercent aux armes, & n’aillent à la guerre ; de procurer la concorde entre les Fidelles, & de tâcher de se rendre irreprochable devant Dieu & devant les hommes.
Quand le Gentilhomme a juré toutes ces choses, le Pere Gardien benit l’épée, & appellant le Pretendant, qui se met à genoux devant le Saint Sepulcre, il luy met la main sur la teste, & luy dit, Et vous soyez un fidelle, vaillant & robuste Soldat de Nostre Seigneur & de son Saint Sepulcre, qui veüille vous mettre dans sa Gloire avec les Saints. Cela estant dit, on luy donne les éperons d’or, qu’il met à ses pieds, & ensuite l’épée, en disant, Servez-vous de ce glaive pour vostre défense, & pour celle de la sainte Eglise de Dieu, à la confusion des Ennemis de la Croix, & autant que la fragilité humaine le pourra permettre, ne frapez qui que ce soit injustement.
On met ensuite l’épée dans le fourreau, & le Gardien ceint l’épée au Chevalier, qui se leve, & qui baissant la teste sur le Saint Sepulcre, est ordonné Chevalier. Le Gardien le frape en forme de croix trois fois legerement sur les épaules, & dit chaque fois, Je vous constituë & vous ordonne Chevalier du Saint Sepulcre de Nostre Seigneur, au nom du Pere, du Fils & du Saint Esprit. Ensuite il l’embrasse, mettant à son cou, à la maniere des Anciens, un Collier d’or avec une Croix qui pend devant la poitrine. Ensuite le Chevalier se retire, & rend tout ce qui luy a esté donné.
[Sonnets] §
Voicy les Sonnets sur les Bouts rimez de Mrs les Lanternistes de Toulouse, que j’avois reservez pour ce mois-cy.
I.
Qui ne s’étonneroit du plus beau des spectacles ?Le Monarque François luy-même en est surpris ;Vingt Peuples Espagnols de ses vertus épris,Luy demandent un Roy formé par ses Oracles***Mais pourquoy s’étonner quand on voit ses miracles,De Philippe, l’Espagne estoit le juste prix,Ainsi pour l’obtenir, il n’a rien entrepris,Et pour monter au Trône, il n’a point eu d’ obstacles.***Eh qui s’opposeroit à ce Soleil nouveau,Qui d’une vieille guerre, éclipsant le flambeau,Rend nos dissensions & vos peurs terminées.***Iberes, venez donc, joignons nos actions,Unissons de concerts toutes nos destinées ;Et ne craignons plus rien des autres Nations.
PRIERE POUR LE ROY.
Grand Roy, voicy les vœux que fait pour vous la France.Puissiez-vous longuement luy partager vos loix ?Et puissiez-vous enfin, selon son esperance,Aux Peuples étrangers donner encor deux Rois.
II.
LOUIS on voit en toy le plus beau des spectacles,De ton regne éclatant qui ne seroit surpris ?De tes hautes vertus tout l’Univers éprisRevere la candeur de tes sages Oracles.***Tes jours sont un tissu de gloire & de miracles ;L’Espagne dont le cœur en ta faveur est pris,Sans ton auguste aveu n’eust jamais entrepris,D’un Traité ruineux de vaincre les obstacles.***Le don que tu luy fais d’un Monarque nouveau,De la fiere Discorde éteindra le flambeau,Les haines des deux Cours sont enfin terminées.***Philippe secondant tes grandes actions,Remplira sous tes yeux tes grandes destinées,À ton exemple il va charmer les Nations.
PRIERE POUR LE ROY.
Seigneur, regarde le haut rang,Où Louis sçait placer les Heros de son Sang ;De ton amour pour luy soûtiens longtemps les marques,Que tout ce siecle il fasse à son gré des Monarques.
III.
Que vois-je ! quelle pompe ! & quels brillans spectacles,Viennent se presenter à l’Univers surpris ?Nos yeux en sont charmez, nos cœurs en sont épris ;Ce siecle effacera le siecle des Oracles.***En faveur de Louis ; ô Ciel ! que de miracles !L’Espagne offre à son sang vingt Couronnes sans prix ;Il protege des Rois ; il n’a rien entrepris,Dont il n’ait sçu d’abord vaincre tous les obstacles.***Aux Rivaux de la France il donne un Roy nouveau,Et malgré la Discorde, éteignant son flambeau,Il voit entre-eux & luy les guerres terminées.***Quel Heros fit jamais de telles actions ?De l’Europe étonnée il fait les destinées,Unissant pour toûjours deux fieres Nations.
PRIERE POUR LE ROY.
Seigneur, qui protegez, & qui donnez les Rois,Benissez vostre vive Image,C’est ce grand Roy puissant & sage,Qui vient d’en donner un, & d’en proteger trois. 2
IV.
Quel siecle fut jamais plus fecond en spectacles !Du sort de nostre Roy, peut-on estre surpris ;En voyant ses Sujets pour luy d’amour épris,Ses ordres, ses desseins, sont pour eux des Oracles.***Le Ciel en sa faveur fait toûjours des miracles,Sur tous les Potentats il luy donne le prix,Ce Heros magnanime a-t-il rien entrepris,Qu’il n’ait fait réüssir malgré tous les obstacles.***En vain ses envieux pour un sujet nouveau,De la guerre en ce jour rallument le flambeau,Tes conquestes, Louis, ne sont point terminées.***Tes Princes imitant tes grandes actions,Rempliront hautement leurs belles destinées,Ils regneront sous toy sur mille Nations.
PRIERE POUR LE ROY.
À prier pour Louis, passons la nuit le jour,Faisons des vœux au Ciel pour ce puissant Monarque ;Luy pouvons-nous donner une plus grande marque,De la plus haute estime & d’un sincere amour ?
[Ceremonie tres-curieuse qui s’observe tous les ans à Valenciennes] §
On a fait cette année à Valenciennes la Ceremonie qui s’y observe tous les ans le 8. de Septembre, jour de la Nativité de la Vierge. Mr l’Archevêque de Cambray alla à sept heures du matin à Nostre Dame la Grande, où il dit la Messe Pontificalement, c’est à dire ayant pour Officiers Diacre, Sousdiacre, & deux Archidiacres portant un Gremial. Il a ordinairement quatre Abbez crossez & mitrez, mais ils sont actuellement malades, cela diminua un peu la beauté de la Ceremonie. Pendant cette Messe, qu’on chante en Musique, s’assemble tout le Clergé de la Ville, Prestres Seculiers & Religieux, Moines & Mandians, & tous les Corps des Mestiers. La Messe finie, Mr l’Archevêque avec tout l’Etat Major, & les Echevins allérent dans une Maison de Benedictins non-reformez, qui tient à l’Eglise, on s’y arresta quelque temps, parce que la Ceremonie est longue, & qu’il falloit attendre que le tour fust venu pour aller à la Procession, qui commence à se faire ainsi. Tous les Corps des Métiers marchent chacun suivant l’ordre qu’ils se sont prescrit, & qu’ils sont plus ou moins distinguez. Ils font porter chacun l’Image de leur Patron par leurs Bedeaux ; ils sont du moins cent. Ensuite sont les Chasses, au nombre de soixante dix ou quatre-vingt. L’Abbaye de Crespin en a fait faire deux cette année, qui luy coûtent six mille florins. Aprés les Chasses suivoient deux magnifiques Chars, dont l’un estoit dédié à la Sainte Vierge, avec ces paroles, Hic te decet currus, ô Maria. Il y avoit dessus une jeune Fille coëffée en Vierge. Elle estoit à la premiere place, & devant elle estoient soixante jeunes enfans, Garçons & Filles, vestus en Anges. Ce Char estoit traîné par six beaux chevaux noirs, montez chacun par un petit Ange, & ces chevaux estoient retenus par six Palfreniers, qui avoient des barbes postiches longues d’un demi-pied, les unes de crin, & les autres de peaux de Lapin. Ils estoient habillez bizarrement. L’autre Char estoit consacré à Saint Jacques le Majeur, avec ces paroles, À l’Apostre d’Espagne. Il estoit pareil à celuy de la Vierge, si ce n’est qu’il n’y avoit que des garçons sur celuy-cy en pareil nombre. Un jeune Garçon qui estoit à la premiere place representoit Saint Jacques. Dans le milieu il y avoit un pilier élevé, au haut duquel estoit assis un jeune enfant. Les Palfreniers qui conduisoient les chevaux, estoient noircis comme des Mores, & habillez grotesquement. Ensuite tout le Clergé marchoit suivant son ordre. Aprés le Clergé suivoient cinq Compagnies de Bourgeois armez & vêtus uniformement, avec chacun leur Tambour & Fifre, une Compagnie de rouge, l’autre de bleuë, &c. Ils avoient à leur teste un Major à cheval, & une soixantaine de Cavaliers armez sans uniformité pour les habits. Ils avoient trois Trompettes & des Timbales. Ensuite marchoit Mr l’Archevesque avec ses Officiers, & deux Abbez en Mitre, qui arrivérent pour la Procession. Les Valets de pied suivoient, avec deux Valets de Chambre. Aprés Mr l’Archevesque marchoit l’Etat Major, & les Echevins suivis de trois hommes portant des Massuës d’Hercule & des habits en pantalon, couverts de feüilles de lierre, des Masques épouvantables avec de grands bonnets de carton verts. On alla ainsi à la porte de la Ville, où le Clergé s’arresta, pendant que six hommes nuds pieds, portoient la Chasse de la Vierge autour de la Ville par dehors. Ce tems est emploié à prêche ; & quand le Sermon est fini, on presente à Mr l’Archevêque & aux Echevins, du vin & quelques biscuits. Aprés cela on attend avec patience jusqu’à ce que cette Chasse soit rentrée. Elle fait du moins trois lieuës ; elle est tres pesante, & la Cavalerie & l’Infanterie dont on a parlé, luy servent d’escorte. L’Etat Major ne sort point hors la premiere porte de la Ville. Il demeure à se divertir jusqu’à ce que l’on revienne. Les Chars ne peuvent sortir, à cause de leur trop grande hauteur. Quand la Chasse est arrivée, on s’en retourne comme on est venu dans le même ordre. Mr l’Archevêque estant de retour à l’Eglise donne la benediction, & l’on va dîner chez Mr le Gouverneur, qui a quatre tables de vingt à vingt cinq couverts. La Procession ne finit qu’à trois heures, & l’on sortit de table à cinq & demie. Toute la Garnison estoit sous les armes & en haye par où la Procession devoit passer, & la Cavalerie de la Garnison estoit sur la Place, ayant l’épée nuë, les Soldats Bourgeois vinrent au Gouvernement, où ils firent deux salves. Ils ont des mousquets à l’Espagnole. Il y avoit quantité de jeunes Filles habillées en Bergeres & tres-propres. On accourt de toutes parts pour voir cette Procession. Elle se fait en reconnoissance de ce que la peste estant depuis long-temps à Valenciennes, la Vierge la fit cesser à la priere d’un saint Hermite, à qui elle apparut. On prétend qu’elle luy dit que ses Prieres estoient exaucées ; que pour une marque qu’il avoit plû à Dieu de les écouter, il n’avoit qu’à faire le tour de la Ville, & qu’il la trouveroit entourée d’un cordon. Ce cordon, dit-on, est enfermé dans la Chasse qu’on porte hors la Ville pendant le Sermon. C’est pour consacrer le souvenir de ce bienfait, qu’on donne un cordon bleu à Mr l’Archevêque de Cambray, & à tous ceux qui sont de la Confrairie.
[Vers à la gloire de S. A. R. Monsieur le Duc d’Orleans] §
Les Vers que vous allez lire ont esté faits à la gloire d’un Prince qu’on ne sçauroit trop loüer. Vous en conviendrez quand je vous auray nommé Monsieur le Duc d’Orleans.
Grand Prince, ne crois pas qu’un motif ordinaire,Puisse engager ma Muse à chercher à te plaire,Ta dignité, ton rang, ton pouvoir, ta faveur,Sont un foible interest, pour animer mon cœur,À ton merite seul je prétens rendre hommage,Sans de la flaterie emprunter le langage.Il n’est déja que trop à la Cour de Flateurs,Qu’un art ingenieux transforme en vrais Acteurs.Ma Muse en te loüant exempte d’artifice,Ne suit qu’un doux penchant qu’inspire la Justice,Et pleine du plaisir de te voir si parfait,La Verité la guide en faisant ton Portrait.***Une noble fierté brille sur ton visageTon cœur eut de tout temps la bonté pour partage,Ton ame est grande & belle, & sensible à l’honneur,Qui dans le champ de Mars couronne la valeurDes Heros de ton Sang l’image en toy tracée,Renouvelle leur gloire & leur grandeur passée.Ton courage intrepide, au milieu des hazards,Nous fait par les Bourbons oublier les Césars.Si quelque chose peut, malgré toute l’Histoire,Les faire vivre encor, réveiller leur memoire,C’est ton sublime esprit qu’admire l’Univers,Ces dons si precieux, ces talens si divers,Cet amour pour les Arts, ce discernement juste,Dont le Ciel ta formé pour la gloire d’Auguste.Mais c’est assez pour moy, Prince, de t’ébaucher,Phaëton me fait craindre ; enfin, de trébucher.
[Regrets des Divinitez Champestres de S. Cloud] §
Vous serez sans doute sensible aux regrets qu’ont fait entendre les Divinitez champestres de Saint Cloud, sur la Mort de Son Altesse Royale Monsieur.
Nous ne le verrons plus ce Prince trop aimableCe Prince genereux, si bon, si charitable,Il vient de succomber sous la rigueur du sort,Enfin, Philippe est mort.***Jardins délicieux, & vous Bois agréables,Heureux témoins de sa grandeur,Devenez languissans, soyez inséparablesD’un calme plein d’horreur.***Oiseaux, qui sous ces verds feüillagesEgayez l’air de vos douces chansons,Taisez-vous, ou plaignez par de tristes ramages,La perte dont nous gemissons.***Et vous superbes Eaux dont la chute pompeuseFut si souvent l’objet de ses plaisirs,Ne versez que des pleurs, que vostre onde orgueilleuseChange son fier murmure en d’éternels soupirs.
[Ceremonies observées au Baptême du Fils de Mr le Marquis de Sampieri, tenu sur les Fonts à Bologne au nom du Roy] §
Le Fils aîné de Mr le Marquis Philippe Sampieri, Chevalier de l’Ordre de Saint Estienne de Florence, & de Madame la Marquise Constance Scappi, a esté tenu sur les Fonts au nom du Roy, par Mr le Marquis François-Jean Sampieri, Senateur de Bologne, Pere de celuy qui a l’honneur d’estre Filleul du Roy. Le nom de Sa Majesté fut donné à l’Enfant, & la ceremonie se fit en la maniere suivante.
Le jour destiné pour cette fonction, Mr le Senateur reçut dans son Palais, somptueusement meublé, les complimens de toute la Noblesse de la Ville, laquelle fut receuë dans le premier appartement par des Gentilshommes, Parens de la Maison Sampieri, & introduite à mesure qu’elle arrivoit dans une Salle, où l’on avoit dressé un Trône avec le Portrait du Roy sous un Dais magnifique, & où Mr le Senateur fit distribuer à chacun un livre de Poësie Italienne, intitulé, Les Fastes de Louis le Grand. Pendant que la Compagnie s’assembloit, le peuple accouru en foule autour du Palais, profitoit agréablement des tables qu’il trouva couvertes de viandes, & des Fontaines de vin, qu’on fit couler jusqu’à la nuit, outre quantité d’argent qu’on jetta des fenestres. On se rendit ensuite à l’Eglise Cathedrale dans l’ordre qui suit.
Les Valets & les Pages en grand nombre, & avec de tres-riches livrées, précedoient tous ceux de la Nation Françoise, qui se trouverent ou passans, ou habitans à Boulogne, ausquels se joignirent, non seulement ceux qui sont attachez la même Nation, mais encore par une espece de prodige, aussi agréable que surprenant, les Espagnols, & autres affectionez à la Nation Espagnole, tous animez d’un même zele pour la gloire du Roy de France. Toute la Noblesse marchoit aprés avec les Mrs du College d’Espagne, qui sont tous des premieres Maisons de ce Royaume. Mr le Senateur venoit ensuite, avec un Cortege de ce qu’il y a dans la Ville de plus considerable Bourgeoisie affectionnée à sa Maison, richement vestuë. Il estoit suivi d’une foule d’Habitans, pressez d’une respectueuse ardeur d’honorer en sa personne le Grand Roy dont il avoit la gloire de tenir la place dans cette auguste fonction. La marche estoit terminée par les Carosses de Mr le Senateur, le premier estant tiré par six chevaux, & le plus magnifique qu’on ait encore vû en ce Pays ? ils estoient suivis d’un tres grand nombre d’autres Carosses de la Noblesse. Les ruës estoient bordées d’une infinité de peuple, & les fenestres remplies de Dames. On fut surpris de la longueur de cette marche, & on admira le bon ordre & la magnificence de ceux qui la composoient.
Mr le Senateur estant arrivé à la porte de l’Eglise, fut harangué par Mr le Recteur du College d’Espagne au nom de tous ses Collegues ? & s’estant rendu au Maistre Autel, la ceremonie du Baptême fut faite par Mr l’Abbé Buoi, Archiprestre & Chanoine de la même Eglise, laquelle retentit pendant toute la fonction de tres-beaux concerts de Musique, & Simphonie, qui firent place, quand on donna à l’Enfant le nom du Roy, à un bruit aussi agréable que confus, d’un grand nombre de Tambours, de Trompettes, de Timbales, & de Hautbois,
Madame la Marquise Constance, Mere de l’Enfant, assista à la fonction, accompagnée d’autres Dames, & parée du Portrait du Roy, enrichi de Diamans, que Sa Majesté luy avoit envoyé. Le soir toute la Noblesse se rendit au Palais Sampieri, où elle avoit esté invitée. Il y eut Bal, Jeu & Musique, & l’on servit à toute l’assemblée une tres-splendide collation. Mr le Recteur du College d’Espagne s’y rendit aussi pour complimenter, comme il fit selon la coutume de son pays, les Dames de la Maison.
Ainsi finit cette ceremonie, faite par Mr le Marquis Senateur Sampieri, moins glorieux pour s’estre attiré par sa magnificence, l’applaudissement general de toute la Ville, que pour avoir donné à sa Patrie des marques éclatantes de son tres profond respect, & de son attachement inviolable pour la Personne de Sa Majesté Tres-Chrestienne, dont il a depuis plusieurs années fait mettre les Armes sur la porte de son Palais, comme un témoignage public qu’il se fait, avec toute sa Famille, une gloire singuliere des grandes obligations qu’elle a à la Couronne de France.
Air nouveau §
L'Air que je vous envoye a esté noté sur des paroles qui sont dans une de mes Lettres.
images/1701-10_182.JPGAIR NOUVEAU.
L’Air, Vous estes belle, page 182.Vous estes belle, jeune & sage,Tout plaist en vous, Iris, tout charme, tout engage.Il n'est rien qui cede à vos divins appas,Et vous me demandez d'où me vient ma tristesse.C'est que mon cœur, Iris, brûle pour vous sans cesse,D'un feu qu'encor vous ne connoissez pas.
[Sonnet sur la mort du feu Roy d’Angleterre] §
Le Sonnet qui suit a esté fait sur la mort du feu Roy d’Angleterre. L’Auteur ne se fait connoistre que sous le nom de Mr B…
Que ton sort est heureux, Prince, à Dieu, si fidelle.Tu sors d’un double exil pour regner dans les Cieux ;L’impitoyable Mort en te fermant les yeux,T’ouvre le clair séjour de la gloire immortelle :***Tu reprens une vie & divine & nouvelle,Tu bois du pur amour le vin delicieux ;Au comble de tous biens placé dans les hauts lieux,Tu te souviens encore de ton Peuple *******La **** Angleterre est toûjours dans ton cœur,Tu ne peut voir le Schisme y regner en vainqueur.Elle qui fut des Saints la terre & le partage ;***Mais tes vœux y feront rentrer la verité,Ouy, ton Sceptre & ta Foy dans ton triple heritage,Passeront pour jamais à ta Posterité.
Stances sur la mort du Roy d’Angleterre §
Les Vers suivans ont esté faits par Mademoiselle de Sinelet.
STANCES
Sur la mort du Roy d’Angleterre.O Toy ! dont les Vertus par tout ont fait éclat !Prince, élu de ce Dieu qui fit toute ta gloire !On t’honore icy-bas, dans cet heureux climat,Tandis que tu joüis des fruits de ta victoire.***Sensible à ton amour, content de ton ardeur,Il reçut ton encens, tes vœux, tes sacrifices,Touché de t’avoir vû mépriser ta grandeur,Il veut estre à jamais l’objet de tes delices.***Délivré des ennuis qui troublent les humains ;Dans le sein du repos tu n’auras plus de crainte ;Et ton ame aujourd’huy dans ses divines mains,Ne pourra ressentir de mortelles atteintes.***Quel plaisir de t’unir à cet Estre Eternel !Et d’oser sans trembler, envisager sa face,Heureux dans cet estat d’un triomphe immortel,Tu vas goûter en paix les effets de sa grace.***Cette Epouse qui suit la trace de tes pas ;Victime des malheurs de l’aveugle Fortune ;À ce Dieu Tout-puissant immolant ses appas ;Soutient avec grandeur sa vertu non commune.***Elevée à son tour dans ce rang glorieux,Qui ravit ton esprit, & transporte ton ame ;D’un pompeux appareil, éclatant à tes yeux,Tu la verras brûler du beau feu qui t’enflâme.***Mortels, pourquoy gemir en perdant ce grand Roy ?S’il meurt, ne vit-il pas au Temple de Memoire ?Dégagé pour toujours des rigueurs de la Loy,Doit-on le regreter dans les bras de la Gloire ?
Ode sur l’accident arrivé à Madame le Camus, qui a perdu la vûë depuis quelque temps §
L’Ouvrage qui suit est de Mr Dader.
ODE
Sur l’accident arrivé à Madame le Camus, qui a perdu la vûë depuis quelque temps.O Toy, qui du haut du ParnasseNous attache à tes Autels ;Ignore-tu ce qui se passeDans les cœurs des tristes mortels.***La douleur a saisi nostre ame ;Et nous déplorons tour à tourL’accident d’une illustre DameQui sans mourir perdit le jour.***Sa maison, commode & tranquille,Estoit ouverte aux beaux esprits ;Et le travail du plus habileY rencontroit son juste prix.***De tes Eleves protectrice,Elle eut pour eux mille douceurs ;Et tu ne peux sans injusticeL’abandonner à ses douleurs.***Exauce donc nostre priere,Incomparable & blond Phœbus ;Source éternelle de lumiereDaigne la rendre à Lecamus.***Puissant Dieu de la Medecine,Si tu veux calmer nos regrets,En faveur de cette HeroïneEpuise tes meilleurs secrets.***Mais, qu’entens-je ? c’est elle-même,Qui peu sensible à mes accens,Se mocque de l’erreur extrêmeDont la Fable séduit nos sens.***Une priere de la sorteNe peut rien pour sa guerison ;Et le zele qui la transporteMe fait une utile leçon.***Il faut donc changer de langage ;Et de mon esprit enchantéEloigner pour jamais l’imageDe ce que la Fable a chanté.***Ouy, c’est en vain que je t’implore,Vil Appollon, Dieu fabuleux ;Ce n’est qu’au vray Dieu qu’elle adoreQue je dois adresser mes vœux.***Rien n’est égal à la puissanceDe ce Medecin SouverainEt sa justice, & sa clemenceReglent le sort du genre humain.***Quelque mal qui nous environneFiévre, douleur, aveuglement,Tout disparoist quand il l’ordonne,Et se dissipe en un moment.***À sa parole ; la lumiereSort de l’abîme du neant ;Et commence sa carriereÀ la gloire du Tout-puissant.***De cette Aveugle qui te prie,Seigneur, récompense la foy ;À tout moment elle s’écrieFils de David, guerissez-moy.***Par ces paroles si touchantes,Les Aveugles des temps passezDans leurs douleurs les plus pressantesOnt merité d’estre exaucez.***Elle a comme eux même créance,Avec la même infirmité ;Autant d’amour & d’esperanceAvec autant d’humilité.***Touchez, de ta main adorableLeurs yeux revirent le Soleil ;Lecamus, dans un mal semblableOse esperer un sort pareil.***Tous ses jours sont de nuits obscures,Mais, constante dans son malheur,Ses yeux fermez aux creatures,Sont ouverts sur le Createur.***Aprés le Christ elle soupire,Et toûjours fidelle à ses loix,L’aveuglement est un martireQui l’attache au pied de la Croix.***C’est-là qu’elle implore son aide ;Et c’est là qu’immolant son cœur,Elle croit trouver le remedeQu’elle n’attend que du Sauveur.***Ta volonté regle la sienne,Seigneur, prens pitié de ses maux ;Et d’une vertu si ChrestienneRecompense tous les travaux.***Son espoir naist de sa foy viveEt par ta grace il est borné ;Couvre ses yeux de la saliveDont tu gueris l’Aveugle né.
Epistre à son Excellence Mr l’Ambassadeur de Venise §
Je ne vous dis point le sujet de l’Epistre qui suit, vous le connoistrez en la lisant. Elle est de Mr de Vertron, dont les Ouvrages brillent presque dans toutes mes Lettres. Cet Illustre Auteur sçachant que la Republique de Venise protege, & considere l’Academie des Ricovrati de Padouë, dont il a l’honneur d’estre, s’est encore senti plus obligé d’écrite l’Epistre suivante. Ce n’est pas que le digne Ambassadeur, à qui elle est adressée, ne merite pas luy-même toutes sortes de loüanges. L’estime que le Roy fait de sa personne, ce que ce Monarque a marqué en plusieurs occasions, luy est si glorieuse, & parle si hautement à son avantage, que je me tais, n’osant pas mesler mes loüanges à celles qui sont souvent sorties de la bouche d’un si grand Monarque, à la gloire de cet Ambassadeur.
EPITRE
À SON EXCELLENCE
Mr L’AMBASSADEUR
DE VENISE.IllustrePisani, que ta gloire est parfaite !L’éclat en est venu jusques dans ma retraite,Du desert où je suis je parcourois les bois,Quand j’ay vû dans les airs la Couriere à cent voix ;Et prêtant sur le champ l’oreille pour l’entendre,Cette Déesse aîlée a pris soin de m’apprendreQue l’AugusteLouis, le plus grand des Mortels,A nommé ton Enfant au pied de nos Autels.Que le Ciel favorise & le Fils & le Pere !Par quelque endroit icy que je te considere,D’un spectacle si grand mes yeux sont ébloüis,Je voy briller sur toy la gloire deLouis.Tels furent autrefois & Jean & Zacharie :Enchanté que j’en suis, permets que que je m’écrie ;Quel sera cet Enfant que j’admire aujourd’huy ?La main du grand Louis luy veut servir d’appuy :Heritier de son nom dans le sein de ce TempleQue fera-t-il un jour, s’il l’est de son exemple ?Que son sort est heureux ! quel Pere ! quel Parain !Fils d’un Ambassadeur, Filleul d’un Souverain !Pour réünir ensemble & valeur & prudence,Il n’a qu’à soûtenir cette double naissance,Et dans le Ministere, & parmi les Combats,La gloire & le devoir, regleront tous ses pas.C’est à toy,Pisani, d’achever cet ouvrage,Retrace-luy toûjours cette brillante image ;Et lorsque son pays à jamais florissantOpposera son bras à l’orgueil du Croissant,Montre-luy d’un Soleil la splendeur immortelleMontre-luy de Louis la valeur & le zele,Dy-luy tout ce qu’il doit à ce nom glorieuxQu’il reçut d’un Heros toûjours victorieux ;Il remplira les soins que ce grand nom exige,J’en répons, il suffit, que ta main le dirige ;Par un vivant exemple à toute heure animéPeut-il degenerer du sang qui l’a formé ?Le choix de ton Sénat le plus sage du mondeJustifie à nos yeux ta sagesse profonde ;Et quand tu n’aurois pas cette puissante voix,Nous voyons tes vertus justifier son choix.Mais si ce n’est assez de ce double suffrage,Louis y joint le sien, en faut-il davantage ?Son Portrait qu’il te donne est un gage assuréDe l’honneur immortel à ton nom préparé.À tout autre que toy je porterois envie,Moy, qui de ce Heros traçant l’illustre vie,L’admire tous les jours de cent peuples vainqueur,Et le porte gravé dans le fond de mon cœur.
[Journal de Fontainebleau] §
Voicy un Journal de Fontainebleau pareil à ceux que je vous ay envoyez depuis plusieurs années.
Le Roy partit de Versailles le Mercredy 21. du mois passé, & vint coucher à Seaux. Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame, Madame la Duchesse d’Orleans, Madame la Duchesse du Lude & Madame de Chateauthiers y vinrent dans le Carosse de Sa Majesté. Le mesme jour, Monseigneur, accompagné de Monsieur le Duc de Bourgogne, de Monseigneur le Duc de Berry, & de Madame la Princesse de Conty se rendirent à Fontainebleau.
Le Jeudi 22. le Roy sejourna à Seaux, & y joüit tout le reste du jour du plaisir de la promenade, qui fut charmante. On ne permit à personne d’entrer dans la Maison, ny dans les Jardins hors à ceux qui estoient de sa suite, & absolument necessaires pour le service. Le même jour Monseigneur, & Messeigneurs les Princes coururent à Fontainebleau deux jeunes Loups & les prirent.
Le Vendredi 23. le Roy partit de Seaux à onze heures du matin, & arriva à Fontainebleau à quatre, accompagné dans son Carosse des mesmes Princesses & Dames nommées cy-dessus. Si tost qu’il fut arrivé, il alla voir le Bastiment neuf, qui a esté commencé & achevé depuis l’année passé, dans la cour de la Conciergerie, & adossé contre les Galeries de Diane, & des Cerfs, en contenant toute la longueur qui compose 22. beaux Appartemens & deux Escaliers qui ont leur issuës dans la cour de la Conciergerie, l’un desquels est tres-beau & tres-hardi, & conduit ainsi que l’autre dans la Galerie de Diane du costé de l’Appartement de Madame la Duchesse de Bourgogne. Les seconds Appartemens ont leur entrée dans la mesme Galerie. Ceux qui sont au rez-de-chaussée sont dans la Cour, sans aucune communication dans la Galerie des Cerfs ; & les troisiémes dans un Corridor qui est au dessus des seconds du costé de la Galerie de Diane. Les deux Escaliers y conduisent. Le Roy fut tres-satisfait de ce Bâtiment, qui semble avoir toûjours esté, tant il est bien disposé. Ce même jour Monseigneur & Messeigneurs les Princes coururent un gros Loup, qui ne fut point pris.
Le Samedy 24. le Roy courut le Cerf, & Monseigneur & Messeigneurs les Princes l’y accompagnérent.
Le Dimanche 25. il y eut le matin Conseil de Ministres. Le Roy alla tirer l’aprésdînée.
Le Lundy 26. il y eut le matin Conseil de Ministres, & l’apresdînée Chasse du Cerf pour le Roy, pour Monseigneur, & Messeigneurs les Princes. Le soir les Comediens representérent la Tragedie de Phedre & la Comedie du Grondeur, que Madame la Duchesse de Bourgogne vit de la Tribune.
Le Mardi 27. il y eut Conseil de Finances. Le Roy tira l’apresdînée, & Monseigneur, accompagné de Messeigneurs les Princes courut un Loup.
Le Mecredi 28. il y eut le matin Conseil de Ministres, & le Roi alla tirer l’apresdînée. Monseigneur courut un Loup. Messeigneurs les Princes furent de cette Chasse.
Le Jeudi 29. il y eut grande Chasse du Cerf, ou Madame la Duchesse de Bourgogne vêtuë en Amazone, accompagna Sa Majesté dans sa petite Caléche découverte. Monseigneur & Messeigneurs les Princes furent de cette partie.
Le Vendredi 30. le Roi courut le Cerf avec la meute de Mr le Duc du Maine. Madame y accompagna Sa Majesté dans sa Caléche. Le soir les Comediens representérent l’Avare, que Madame la Duchesse de Bourgogne vit auprés de Monseigneur, qui avoit aussi esté de la Chasse avec Messeigneurs les Princes.
Le Samedi 1. Octobre. il y eut le matin Conseil de Finances. Le Roy alla tirer l’aprésdînée, & Monseigneur, & Messeigneurs les Princes coururent un Loup.
Le Dimanche 2. il y eut le matin Conseil de Ministres. Le Roy tira l’aprésdînée. Monseigneur & Messeigneurs les Princes ne sortirent point.
Le Lundi 3. il y eut le matin Conseil de Ministres. Madame la Duchesse de Bourgogne dîna chez Madame la Duchesse du Lude. Il y eut Chasse du Cerf pour le Roy. Madame l’y accompagna, & Monseigneur & Messeigneurs les Princes s’y trouverent. Le Soir les Comediens representerent la Tragedie de Mitridate, & la Comedie des Plaideurs, que Madame la Duchesse de Bourgogne vit auprés de Monseigneur.
Le Mardi 4. il y eut le matin Conseil de Finances, & l’apresdînée Chasse du Loup, où Madame la Duchesse de Bourgogne en habit d’Amazone, accompagna Sa Majesté. Monseigneur & Messeigneurs les Princes furent de cette Chasse. L’Envoyé de Portugal eut audience le matin de Monseigneur, de Messeigneurs les Princes, & de Monsieur le Duc d’Orleans ; & l’Envoyé de Mantouë, de Monseigneur & de Monsieur le Duc d’Orleans.
Le Mercredy 5. le Roy prit medecine. Il y eut chez luy conseil de Ministres l’aprésdînée, & Monseigneur y assista, aprés avoir couru un cerf avec la meute de Monsieur le Duc d’Orleans. Messeigneurs les Princes avoient esté de cette Chasse. L’Envoié du Landgrave de Hesse Cassel eut audience de Madame.
Le Jeudi 6. il y eut le matin conseil de Ministres ; le Roy courut un cerf l’aprésdînée, & Madame l’accompagna, aussi-bien que Monseigneur & Messeigneurs les Princes. Le soir, les Comediens joüerent le Crispin Musicien.
Le Vendredi 7. il n’y eut point de conseil, & l’aprésdînée, il eut Chasse de Sangliers dans les toiles ; il y en eut un fort gros qui blessa plusieurs chiens, & sauta par dessus les toiles. Il fut tué ensuite à coups de fusil.
Le Samedi 8. l’Envoyé Extraordinaire d’Espagne eut audience du Roi & de Monseigneur. S.M. le reçut dans son Cabinet, & Monseigneur dans son Alcove. Il y eut le matin conseil de Finances, & l’aprésdînée Chasse du cerf avec la meute de Monsieur le Duc d’Orleans, Monseigneur & Messieurs les Princes furent de cette Chasse, & Madame y accompagna Sa Majesté.
Le Dimanche 9. il y eut le matin Conseil de Ministres ; le Roy alla tirer l’apresdisnée, & Madame la Duchesse de Bourgogne à la sortie de table alla à Melun voir les Religieuses de la Visitation. Monseigneur & Messeigneurs les Princes ne sortirent point.
Le Lundi 10. Mr le Nonce eut une audience particuliere. Il y eut le matin conseil de Ministres, & l’aprésdînée Chasse du cerf, où Madame la Duchesse de Bourgogne, vêtuë en Amazone, accompagna Sa Majesté dans sa petite Caléche. Monseigneur & Messeigneurs les Princes furent de cette Chasse. Les Comediens representérent le soir l’Andromaque & Crispin Medecin.
Le Mardi 11. l’Ambassadeur d’Espagne presenta au Roy, dans son Cabinet, aprés son lever, les Ducs d’Arcos & de Baños, Freres, tous deux Grands d’Espagne, qui vont en Flandre. Ils furent aussi conduits à l’audience de Madame la Duchesse de Bourgogne, à l’issuë de la grande Toilette, & ils la saluérent l’un & l’autre, ainsi que nos Ducs. Cette Princesse donna ensuite audience à l’Envoié Extraordinaire d’Espagne, & à celui de Genes. Monseigneur & Messeigneurs les Princes coururent le Loup dés le matin. Le Roi tira l’aprésdînée.
Le Mercredi 12. il y eut le matin conseil de Ministres. Monseigneur courut un chevreüil avec la meute de Monsieur le Comte de Toulouse. Madame la Duchesse du Lude donna à dîner à Monseigneur le Duc & à Madame la Duchesse de Bourgogne. Le Roi ne sortit point.
Le Jeudi 13. il n’y eut point de Conseil. Monseigneur & Messeigneurs les Princes coururent le cerf. Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en Caléche dans la forest. Le Roy ne sortit point. Les Comediens representerent le soir le Geolier de soy-même.
Le Vendredi 14. le Roi entendit la Messe dans sa Chambre, à cause d’une legere incommodité. Monseigneur & Messeigneurs les Princes coururent le loup. Madame la Duchesse de Bourgogne alla se promener à Franchard. Le Roi qui avoit gardé le lit depuis cinq heures du soir du jour precedent, se leva & soupa à neuf heures.
Le Samedi 15. le Roy qui estoit entiérement quitte de son incommodité entendit la Messe à la Chapelle à l’heure ordinaire, & tint Conseil de Finances ensuite. Madame la Duchesse de Bourgogne alla faire ses devotions aux Basses-Loges. Monseigneur le Duc de Bourgogne courut un Loup, & Monseigneur le Duc de Berry tua des Sangliers dans les toiles. Le Roy & Monseigneur ne sortirent point. L’Envoyé Extraordinaire d’Espagne eut ce jour-là son Audience de congé.
Le Dimanche 16. il y eut Conseil de Ministres. Les Envoyez d’Espagne & de Gennes eurent leurs Audiences de congé de Madame la Duchesse de Bourgogne. Le Roi alla tirer, & Madame la Duchesse de Bourgogne entendit le Salut aux Basses Loges.
Le Lundi 17, il y eut le matin Conseil de Ministres. Les Ducs d’Arcos & de Baños prirent congé du Roi, de Monseigneur, de Messeigneurs les Princes, de Madame, de Monsieur le Duc d’Orleans, & de Madame la Duchesse d’Orleans. Il y eut chasse du Cerf l’apresdînée, qui dura depuis deux heures jusqu’à six Madame la Duchesse de Bourgogne y accompagna Sa Majesté dans sa petite caléche. Monseigneur & tous les Princes furent de cette chasse. Le soir les Comediens representérent la Mere coquette.
Le Mardi 18, il y eut le matin Conseil de Finances chez le Roi. Il y eut grande Toilette chez Madame la Duchesse de Bourgogne. Elle donna Audience à l’Envoyé de Parme. Monseigneur & Monseigneur le Duc de Bourgogne allérent du matin chasser un Loup à cinq lieuës de Fontainebleau. Le Roi tira l’apresdînée, & Monseigneur le Duc de Berry alla tirer d’un autre costé.
Le Mercredi 19. il n’y eut point de chasse pour le Roi, pour Monseigneur, ny pour Messeigneurs les Princes. Sa Majesté alla voir l’aprésdînée dans la Galerie des Reformez, des chiens pour courre le cerf, destinez à grossir sa meute.
Le Jeudi 20. il y eut le matin Conseil de Ministres, & chasse du Cerf l’apresdînée pour Monseigneur, & Messeigneurs les Princes. Le Roi ne sortit point. Les Comediens representérent la Vinceslas de Mr de Rotrou.
Air nouveau §
Je ne vous dis rien de la bonté de l'Air que je vous envoye, vous en jugerez.
images/1701-10_422.JPGAIR NOUVEAU.
L’Air, Belle Iris, c'est toy, page 422.Belle Iris c'est toy que j'adore,Tes attraits ont sçu m'enflamer,Et si je vis, si je respire encore,Ce n'est que pour avoir le plaisir de t'aimer.