1700

Mercure galant, février 1700 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1700 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1700 [tome 2]. §

[Portrait du Roy] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 5-7.

Vous avez bien vû des Portraits du Roy dont vous m’avez paru fort contente. Je ne sçay cependant, Madame, si on a pû en faire un qui dise autant de choses en aussi peu de paroles, que vous en allez trouver dans celuy qui fait le commencement de cette Lettre. Il sort des mains de Mr l’Abbé de Poissy, dont on peut dire que le Pinceau delicat ne produit que des chef-d’œuvres.

PORTRAIT DU ROY.

Louis n’a point d’égal, ses Ennemis le disent,
De ses faits éclatans ils sont tous ébloüis ;
Mais sans nombrer icy ses Exploits inoüis,
Pour faire son Portrait ces quatre mots suffisent,
On estime, on revere, on aime, on craint LOUIS.

[Ceremonies observées à la prise de possession de M. l'Archevesque de Besançon] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 7-18.

Je vous ay parlé plus d'une fois de Mr l'Archevêque de Besançon, au sujet de sa nomination à l'Archevêché, & de la joye que toute la Ville marqua lors que le Roy le choisit pour succeder à Mr de Grammont, son Oncle. Cet Archevêché estoit électif, & le Chapitre, l'un des plus anciens & des plus illustres de l'Eglise, honoré d'une infinité de beaux privilèges par les Papes & les Empereurs, avoit droit d'élire son Archevêque, dont le rang est considérable dans le College des Princes d'Allemagne. Je vous ay entretenuë des habits de Choeur & de Ville des Chanoines, & je ne vous repeteray rien autre chose, sinon qu'ils sont vêtus comme les Cardinaux le sont dans le temps de Carême, & qu'ils officient avec tous les ornemens Pontificaux. Après la mort de Mr de Grammont, le Chapitre ceda au Roy son droit d'élection, & le fit d'une maniere qui fit bien connoistre combien il se sentoit honoré d'estre sous la domination d'un Prince qui met son application à remplir les premieres places de l'Eglise, de sujets dignes de les occuper, & capables d'édifier ses peuples, Sa Majesté y nomma Messire François-Joseph de Grammont, Evêque de Philadelphie, Haut-Doyen de Besançon, Maistre des Requestes du Parlement de cette Ville, Neveu du défunt Archevêque, & qui depuis un tres long temps faisoit les fonctions Episcopales, à cause de l'infirmité de Mr son Oncle qui avoit perdu la veuë, & se trouvoit dans un âge extrêmement avancé. Il estoit d'ailleurs d'une Maison qui avoit rendu plusieurs services considerables au Roy & à l'Etat, alliée à celles de Poitiers, de Rys, de Beauffremont, de la Baume, & à quantité d'autres des plus illustres de France & d'Allemagne, Frere de Mrs les Comte & Marquis de Grammont, tous deux Maréchaux de Camp. Le Chapitre & la Ville de Besançon marquerent par des illuminations & par des feux combien ils respectoient le choix de Sa Majesté, & combien il leur estoit agréable. Au mois de Decembre dernier, le nouvel Archevêque, qui avoit receu le Pallium des mains de Mr l'Archevêque de Paris, préta le serment de fidelité, & partit aussitost pour se rendre à son Eglise. Le 7, du mois de Decembre, quatre Deputez du Chapitre allerent le recevoir à la sortie de sa Salle, & le conduisirent à celle du Chapitre, où il se plaça dans un fauteüil. Il pria ensuite la Compagnie de le mettre en possession, & de commencer par la lecture des Bulles & du certificat de Mr de Paris, comme il luy avoit donné le Pallium. Toute l'Assemblée opina du bonnet, & l'on se mit en marche en chantant le Veni Creator, suivant l'ordre ordinaire de la Procession. Mr l'Archevêque estoit précédé de Mr l'Abbé de Santau, Grand Archidiacre, qui estoit en Chape, & portoit le Chef de Saint Agapit, & il estoit suivi par les Grands Officiers de l'Archevêché, qui sont le Grand Maréchal, entre autres, suivant l'usage des Princes de l'Empire. Ces Grands Officiers sont tous de maisons distinguées. Mr le Comte de Saint-Amour, de celle de la Baume, est Grand Maréchal; Mr le Comte de la Tour, Mr le Baron de Saone, & Mr de Villars-Vaudey possedent les autres Charges. Les Juges de l'Officialité paroissoient ensuite, & la marche estoit fermée par Mrs les Comte & Marquis de Grammont, accompagnez d'un grand nombre de Noblesse & de Personnes considérables. A la porte de l'Eglise, Mr l'Archevêque s'agenoüilla sur le premier degré, & fit le premier serment entre les mains de Mr le Grand Archidiacre, & sur le Chef de Saint Agapit, suivant l'ancien usage. On entra ensuite dans la Chapelle du Saint Suaire, Relique précieuse qui s'est conservée jusqu'icy par un miracle que l'on ne peut révoquer en doute, & qui attire deux fois l'année une foule incroyable de peuple des pays les plus éloignez. Pendant que l'on y adoroit le Saint Sacrement, les Timbales, les Trompettes & les Tambours se meslerent au bruit des Cloches, & la Procession se rendit dans le Chœur. Mr l'Archevêque y prit sa place de Haut Doyen, dont le Pape, par une grace singuliere, luy a permis de conserver la dignité pendant trois ans. Mr le Grand Archidiacre celebra la Messe, assisté de Mr Jobelot, Frere de Mr le premier President du Parlement, & de Mr de Grammont, Parent de Mr l'Archevêque, en qualité de Personats de Favernay & de Sallins. La Messe finie, Mr l'Archevêque revêtu de ses habits Pontificaux se rendit à l'Autel, & y presta le second serment ; ensuite de quoy ayant esté installé dans son Trône, il y entonna le Te Deum, qui fut chanté par la musique, pendant que tous les chanoines vinrent en capes détroussées embrasser Mr l'Archevêque. Cette ceremonie faite, on le conduisit au Palais Archiepiscopal, dont on luy presenta les clefs, & peu de temps après Mr de Blisterwick de Monteloy, Abbé de Charlieu, vint le complimenter à la teste de six Chanoines députez. Il receut ensuite les complimens de tous les Corps de la Ville, & le lendemain, Feste de la Conception de la Vierge, fondée par feu Mr l'Archevêque, Mr son Neveu officia pontificalement, & ne crut pas pouvoir mieux commencer ses fonctions, qu'en répondant à la pieté & à la dévotion de feu Mr son Oncle, & qu'en solemnisant une Feste, sous la protection de laquelle est particulierement la Province du Comté de Bourgogne. Le même jour au soir, il y eut des illuminations, & des feux par toutes les ruës, & la Ville en fit tirer un artifice avec tout le succés que l'on pouvoit esperer d'un spectacle, où elle faisoit éclater sa magnificence.

[Relation de tout ce qui s'est passé à la mort & funerailles du Pere Marc d'Aviano, Capucin] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.19-40.

RELATION EXACTE
de ce qui s'est passé à la
mort & aux Funerailles du
R. P. Marc d'Aviano, Ca
pucin Prédicateur.

Traduite du Latin, & envoyée de Vienne.

Le R. P. Marc d'Aviano revint en cette Ville de Vienne au mois de May dernier 1699. avec le P. Laurent d'Utino, qu'il avoit esté obligé de prendre à la place du P. Cosme de Castro Franco, son Compagnon ordinaire, demeuré malade en Italie. La maigreur qui paroissoit plus qu'à l'ordinaire sur son visage, faisoit voir si peu de santé, qu'il estoit souvent obligé d'avoüer luy-mesme qu'il ne se portoit pas bien. La diminutaion de ses forces & de sa santé ne diminua cependant rien de son assiduité, soit pour prescher, soit pour celebrer les saint misteres, ce qui luy attira d'autant plus de loüanges & de benedictions de la part de Leurs Majestez Imperiales, de toute la Cour & de tout le Peuple, qu'on avoit sujet de croire, que si dans l'estat où il estoit il ne se dispensoit jamais ny de l'un ny de l'autre, ce n'estoit que pour ne les pas priver de la consolation qu'ils en avoient dans leurs ames. Il ne laissoit pas d'avoir de temps en temps des audiences de l'Empereur ; mais en y gardant toujours la bienseance & la modestie que demandoit la sainteté de l'habit qu'il portoit ; & s'il a eu l'avantage d'avoir auprés de luy tout l'accés & tout le credit qu'il pouvoit souhaiter, il a eu celuy de ne s'en estre jamais servi que pour procurer la gloire de Dieu, le bien public, & le soulagement des affligez. Sa maladie cependant augmentoit si fort de jour en jour par les continuelles coliques , qu'il se vit obligé de ne pas refuser plus longtemps le secours qu'il pouvoit esperer des hommes. [...]

Toutes choses estant donc disposées pour faire les Funerailles au jour que l'Empereur avoit marqué, il partit de son Palais la Favorite, avec l'Imperatrice, le Roy des Romains, l'Archiduc & l'Archiduchesse, pour se rendre à l'Eglise des Capucins. Le corps du défunt estoit exposé devant le grand Autel, non seulement renfermé dans une balustrade qu'on avoit faite exprés, mais encore par des Soldats de la Garde de l'Empereur & de la Ville, postez de telle maniere, qu'on pouvoit en defendre l'entrée à tout le peuple, & la permettre seulement aux Dames & aux Personnes de qualite, & à tous les Officiers de la Cour.

Il n'y eut pour lors que le Roy des Romains qui alla luy baiser les mains, aussitost qu'il fut entré dans l'Eglise. Ils monterent ensuite dans la Tribune pour entendre la Messe solemnelle des Morts, qui fut chantée par Mr l'Evesque de Vienne, Prince du Saint Empire, & par un choeur des principaux Musiciens de l'Empereur. Après que l'on eut fini en noir toutes les lugubres ceremonies du Sacrifice, par les prieres, les aspersions & les encensemens que l'Eglise veut qu'on fasse aux funerailles des défunts, Mr l'Evesque de Nitrie en celebra une seconde avec la mesme solemnité, mais avec cette difference neanmoins, qu'il la dit revestu de blanc, à l'honneur de la sainte & immaculée Vierge Mere de Dieu. [...]

[Lettre de Monsieur de Poissy à Mademoiselle de Scudéry intégrant un Impromptu à Mr Perrault]* §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 48-65.

Voicy une Lettre que vous trouverez fort curieuse. Elle est de Mr l’Abbé de Poissy.

A MADEMOISELLE
DE SCUDERY.

Si quelque chose, Mademoiselle, est digne de nostre admiration, c’est la Pendule que Mr Perrault vient d’inventer. Cet illustre Académicien a trouvé un secret inconnu à la sçavante Antiquité. Nous luy devons de la reconnoissance, puis qu’il a travaillé pour l’utilité publique : mais sans nous amuser à loüer l’Auteur, passons à l’Ouvrage.

La description que vous allez voir, Mademoiselle, vous fera connoistre que si la Pendule en question, est rare & curieuse, elle est encore plus utile.

Cette Pendule a cela de particulier, qu’une même aiguille marque en même temps sur deux differens Cadrans qui l’environnent, les heures ordinaires, & les heures inégales. On appelle heures inégales, les douze heures du jour artificiel, que l’on compte depuis le lever du Soleil jusqu’à son coucher ; & les douze heures de la nuit, que l’on compte depuis le coucher du Soleil jusqu’à son lever. Comme les jours & les nuits vont toujours en croissant & en diminuant, les heures qui les composent, & qui sont toujours au nombre de douze, croissent ou diminuent ; ainsi toujours à proportion. Il est encore à remarquer que cet accroissement & ces diminutions sont inégales entr’elles, & sont beaucoup plus grandes vers les Equinoxes, que vers les Solstices ; de sorte que ce n’a pas esté une petite difficulté de faire que la même aiguille qui marque toujours également les heures égales, marquast inégalement les heures inégales.

Ce qui a empêché jusqu’icy, Mademoiselle, qu’on n’ait trouvé ce secret, c’est que ceux qui l’ont cherché, tâchoient de faire en sorte que l’aiguille augmentast ou diminuast de vîtesse chaque jour, pour se rendre plûtost ou plus tard sur les heures qu’elles avoient à marquer, selon que les jours estoient ou plus longs, ou plus courts ; mais tous les efforts qu’on a faits de ce costé là, ont esté inutiles ; il auroit falu autant de differens mouvemens, qu’il y a de jours dans une année. On s’est enfin avisé de faire faire aux heures ce que l’on vouloit que fist l’aiguille. On a rendu les heures mobiles, & on les a renduës mobiles d’une telle façon, qu’elles s’approchent ou s’éloignent les unes des autres, selon que les jours ou les nuits croissent ou diminuent. Ainsi l’aiguille allant toujours son chemin, elle marque sur un Cadran nos heures ordinaires, & sur un autre Cadran les heures inégales, qui viennent chaque jour en douze parties égales, & la nuit en douze autres parties égales.

Vers le bout de l’aiguille il y a un petit Soleil d’or, sortant de derriere une plaque brune, qui represente la nuit, au moment que le Soleil se leve, & qui se cache sous cette même plaque au moment que le Soleil se couche. Le fond du Cadran represente le jour dans sa partie d’en haut, qui est d’argent ; & la nuit dans la partie d’en bas, qui est d’acier couleur d’eau, damasquinée d’étoiles d’or. Ces deux parties croissent ou diminuent chaque jour, selon que le demande la saison où l’on est.

On dira peut-estre que cette Pendule est curieuse, mais qu’elle n’est d’aucune utilité, puis qu’il n’importe guere de sçavoir à quelle heure précisément le Soleil se leve & se couche, & que d’ailleurs on n’a pas besoin d’une Pendule pour en estre averti.

On répond que lors qu’il pleut, ou que le temps est couvert, on ne peut sçavoir précisément le moment du lever ny du coucher du Soleil, & qu’il est quelquefois important de le sçavoir. On est bien-aise lors qu’on voyage, de n’ignorer pas quand le Soleil se leve, & combien de jour il reste jusqu’au coucher du Soleil. Elle peut estre aussi d’un tres-grand usage à l’Armée pour les marches, les campemens, & plusieurs autres expeditions, où il est important de n’estre pas surpris par la nuit.

La Regle de Saint Benoist porte, que les Religieux de son Ordre doivent commencer tous les jours les Matines au moment que le Soleil se leve, & les Complies au moment qu’il se couche, & de disposer les autres parties du Service divin, en sorte qu’elles soient également distantes les unes des autres dans l’espace du jour artificiel. Saint Benoist & ses Religieux, qui se conduisoient sur le cours du Soleil, n’avoient pas de peine à distribuer ainsi leur Service ; mais dans la suite des temps, ces Religieux estant venus habiter les Villes, où ils ont trouvé des horloges qui ne sonnent que les heures égales, sans marquer ny le lever, ny le coucher du Soleil, ils ont abandonné leur Regle sur ce point, si ce n’est qu’ils disent encore les Matines plutost, & les Complies plus tard en Esté qu’en Hiver. S’il leur prenoit envie de se reformer sur cet Article, ils le pourroient facilement avec le secours d’une horloge construite sur le modele de cette Pendule.

En Turquie & par tout où s’observe la Religion de Mahomet, le Service se fait par rapport aux heures inégales. Il commence au lever du Soleil, & la derniere de leurs prieres se fait quand le Soleil se couche. Cette Pendule leur seroit tres utile, non-seulement à l’égard de leurs Prestres qui montent aux Minarets, pour les avertir : mais aussi pour le Peuple qui seroit bien aise d’avoir des horloges qui les avertissent de toutes les heures où se font les Prieres. Les heures Italiques & Babiloniques sont aussi marquées sur cette Pendule.

Au dessous du Cadran est une Lune qui fait son cours, & qui marque tous les âges de cet Astre.

Au dessous de tous ces Cadrans est un bas relief des quatre Saisons de l’Année. Mr Coypel, Fils, en a donné le dessein, & Mr Caffiere, Fils, l’a modelé & ciselé. La boëte est ornée de sculpture de bronze dorée, dont Mr Girardon a fait tous les modeles. A un des costez est une teste d’Apollon avec une pente de festons de tous ses attributs ; à l’autre costé il y a une teste de Diane avec un feston pareil de ses attributs. Apollon represente le jour, & Diane la nuit. Sur le milieu du fronton, il y a une teste de Saturne, avec deux aîles aux deux côtez. L’aîle qui est à droit est une aîle d’Aigle, qui represente le jour, & l’autre qui est à gauche est une aîle de chauvesouris, qui figure la nuit, pour marquer que le Jour & la Nuit sont comme les aîles du Temps, sur lesquelles il vole sans jamais s’arrester.

La Pendule est couverte d’un Dôme, aussi orné de bronze doré, où sont deux Timbres d’un ton different, dont l’un sonne les heures égales, & l’autre les heures inégales.

Je me crois obligé de vous dire, Mademoiselle, que le dessein qu’on avoit de faire executer cette Pendule, ayant esté communiqué au Directeur general des machines des Mines de Suede, homme d’une capacité prodigieuse dans les Mathematiques, & particulierement dans les machines, non-seulement il devina les moyens que l’on s’étoit imaginez pour en venir à bout, mais il en fit un modele en carton de sa main, le mieux travaillé du monde, & faisant tout l’effet que l’on en pouvoit attendre. Ce modele a fourni un tres-grand nombre d’expediens pour faciliter l’execution de la Pendule. L’Horlogeur qui l’a commencée, & qui l’a presque achevée, est le sieur Fardoual, dont le genie & l’adresse ont peu de semblables pour l’invention, & pour l’execution des machines. Ses affaires l’ayant obligé de passer en Angleterre, il n’a pû y mettre la derniere main. Le sieur le Noir, Horlogeur tres-habile & tres-ingenieux, l’a entierement achevée, & y a mis son nom, suivant l’usage observé parmy les Horlogeurs.

Le sieur Cucci, des Gobelins, qui s’est rendu si celebre par les beaux ouvrages qu’il a faits pour le Roy, a construit la boëte qui est d’écaille de Tortuë noire & de Lapis, avec tous les ornemens de bronze doré, dont elle est embellie.

Tout ce qui est dans cette Pendule qui regarde les mouvemens, & tout ce qu’elle marque se peut renfermer dans une Montre de poche. Fardoual en a fait une de cette qualité, avant que de passer en Angleterre. Il l’a emportée, & l’a fait voir icy à plusieurs personnes.

Je finirois ma Lettre, Mademoiselle, mais je m’interesse trop à la gloire de nostre Ami, pour ne pas vous faire part d’un Impromptu, qui m’est échapé au sujet de cette Pendule.

A Mr PERRAULT.

 Illustre Ami, tu sçais bien autre chose
Que de faire des Vers, & que d’écrire en Prose,
 Tu possedes les plus beaux Arts.
 Si là-dessus quelqu’un est incredule,
 Perrault, qu’il jette ses regards
 Sur ton admirable Pendule !

Je suis avec une estime respectueuse. Vostre, &c.

[Idille] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 65-73.

L’Ouvrage qui suit vous plairoit sans doute, en apprenant qu’il est de Mademoiselle Lheritier, mais il vous plaira beaucoup davantage, quand vous sçaurez qu’il est fait sur le retour de la santé de Son Altesse Royale, Madame la Duchesse de Lorraine.

IDILLE.

Venus au desespoir que la Princesse Elise
Gracieuse, touchante, & dans ses plus beaux jours,
Regnast sur tous les cœurs, tinst la raison soûmise,
Sans emprunter jamais son séduisant secours ;
 Se résolut dans sa colére
 De ravir à cette Beauté
Les attraits qui sans art la rendoient propre à plaire.
Venus avoit le cœur dés longtemps irrité
De ce qu’avec éclat la Princesse charmante
Avoit rendu l’Amour si docile à sa voix,
Qu’oubliant son humeur inquiette, inconstante,
  Il estoit fixé sous ses loix.
D’accord avec l’Himen par un glorieux choix,
 Ce Dieu vainqueur avoit formé pour elle
 Une chaîne, dont les beaux nœuds
  Luy donnérent l’ardeur fidelle
  D’un jeune Prince genereux
Qui rend par ses bontez tous ses Sujets heureux,
Et consacre aux vertus un pur & noble zele.
Venus qui regardoit avec un œil jaloux
  La flame ardente & mutuelle
  De ces deux Augustes Epoux.
  Voulut faire éclater sa haine
  Contre l’aimable Souveraine,
Et rendit le Destin complice de ses coups.
 De tous les maux qu’on vit éclore
De ce funeste amas qu’enfermérent les Dieux
 Dans la Boëte de Pandore,
 Il n’en est point de plus pernicieux
Qu’un feu qui mêle au sang un venin odieux,
Et qui, l’écueil du teint par ses cruelles traces,
 Semble fait pour estre toûjours
 L’ennemy déclaré des Graces,
 Et l’épouvante des Amours.
 Pour servir l’injuste colére
 De la Déesse de Cithere,
Un Astre dominant, plein d’un poison fatal,
Lance sur la Princesse un si funeste mal.
Les Plaisirs innocens dés le même instant meurent,
Les Graces sont en deüil, les tendres Amours pleurent,
Et par leur zele ardent vivement soûtenus
Songent à s’opposer au couroux de Venus.
Minerve les prévient. Cette sage Déesse
 Avoit marqué dans tous les temps
Sa tendre affection pour la belle Princesse,
 Et luy fut prodigue sans cesse
De toutes ses vertus & de tous ses talens.
Dés qu’elle voit souffrir sa digne Favorite,
Par un essor divin sa science medite
Des moyens assurez de chasser promptement
 Le mal de cet objet charmant.
Elle verse aussi-tost sa sublime lumiere
Dans l’esprit penetrant de l’admirable Mere
 Dont Elise reçut le jour.
Princesse, qui toûjours genereuse, agissante
Sçait par une vertu solide & bien faisante,
Engager la raison & le cœur tour à tour,
 Et du plus grand des Rois enchante
 La polie & nombreuse Cour.
Cherissant noblement son auguste Famille
Loin qu’un vulgaire effroy la porte en d’autres lieux,
Sans craindre les horreurs d’un air contagieux
Elle s’attache auprés de sa charmante Fille,
Et luy donne des soins tendres & gracieux,
 Autant qu’ils sont judicieux.
Minerve qui toujours & la guide & l’inspire,
Et sur l’aimable Elise a sans cesse les yeux,
Veut que sans Esculape un sang si beau transpire.
D’un venin menaçant elle éteint la fureur.
 Puis le Ciel touché de la peine
Et des vœux que formoient avecque tant d’ardeur
Philippe, tendre Pere, autant qu’heureux Vainqueur,
Et Leopold, espoir des Peuples de Lorraine,
Délivre Elise enfin de sa triste langueur ;
 Et par le pouvoir de Minerve
De ses brillans attraits tout l’éclat se conserve.
Alors les Ris, les Jeux, les Graces, les Vertus,
Sentent un doux transport dans leurs cœurs abatus.
 L’aîné des Amours & ses Freres,
Ravis d’un tel succés, sans plus long examen,
Abandonnent Venus à ses douleurs ameres,
Et plus fort que jamais s’unissent à l’Himen,
Pour donner de beaux jours à l’auguste Heroïne,
Qui par la grandeur d’ame & la grace divine
 Qu’elle fait éclater en soy,
Fait tant d’honneur au Sang du fameux Godefroy,
Dont son charmant Epoux tire son origine.
Les Graces, les Vertus, les Amours enchantez
De voir qu’une Princesse, & si jeune & si belle,
  A mille grande qualitez,
  Et mille solides clartez,
 Qu’on n’a guere quand on est telle,
 D’un beau mouvement transportez,
 Occupent leur Troupe immortelle
 A former à jamais pour elle
 De brillantes felicitez.

[Avis aux hommes mariez, par M. de Cantenac] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 97-108.

Vous avez esté fort contente de la Satire de Mr Cantenac, Chanoine de l’Eglise Metropolitaine de Bordeaux, contre l’Opera, où tous ceux de cette Ville courent tous les jours avec fureur. Vous n’aprouverez pas moins sans doute le nouvel Ouvrage de sa façon, que vous allez lire.

AUX HOMMES MARIEZ.

Favoris malheureux des amours legitimes
Qui par divers chagrins en estes les victimes,
Et qui par un esprit inconstant & jaloux,
Méprisez de l’Himen les charmes les plus doux.
Insensibles Maris, qui passez vôtre vie
Sans craindre le mépris, ny les traits de l’envie,
Cherchez dans vos devoirs un solide bonheur,
Pour établir chez vous le repos & l’honneur,
Ménagez doucement l’Epouse qui vous aime ;
Elle vous est fidelle, agissez-en de même.
Jamais par des froideurs n’irritez ses appas ;
On n’a guere d’amour quand on n’en marque pas.
Faites qu’à vostre exemple elle soit toujours sage.
Si vous estes coquet, elle sera volage.
Si vous aimez le Jeu, les Festins, l’Opera,
Dans les mesmes plaisirs elle s’égarera.
Mais s’il faut qu’en amour vous serviez de modele,
Ou pourra-t-on trouver une Epouse fidelle '
Ne voit on pas souvent qu’une injuste froideur
Eteint dans le dégoust vostre premiere ardeur.
L’Epouse trop sensible à cette indifference,
Paroist fiere à son tour, se rebute & s’offense ;
De reproches sanglans accompagne ses cris,
Et couve dans son cœur la haine & le mépris.
Rien n’est si dangereux qu’un amour qu’on outrage,
Et la vengeance est douce à l’esprit le plus sage.
Soupçonnant cet ingrat d’un autre attachement,
Elle le rend jaloux, & se fait un Amant.
Leur dépit réciproque augmente leurs querelles.
On ne peut les finir, elles sont immortelles.
En vain pour les calmer s’assemblent des Parens,
Eux mêmes divisez en partis differens,
Font naistre imprudemment une guerre civile,
Qui ne sert qu’à grossir les contes d’une Ville,
Il faut qu’une injustice établisse la paix,
En détachant les nœuds que le Ciel avoit faits
La chicane autorise une mode barbare,
Ne pouvant les unir, il faut qu’on les separe.
Chez un Juge abusé des témoins achetez
Attaquent sa droiture avec cent faussetez,
Et font le mal si grand, qu’en fin à toute force,
On extorque de luy le decret du divorce.
Cet abus est cruel, & le Ciel le défend.
Pour éviter un mal on en fait un plus grand.
Chaque Epoux dispensé des loix du mariage,
Redouble son erreur & son libertinage,
Et les pauvres Enfans confiez à l’un d’eux,
Deviennent orphelins, & vivent malheureux.
Quoy, faut-il aujourd’huy sur de legeres plaintes
Violer des Contrats, & les loix les plus saintes,
Et dégageant les cœurs des plus sacrez liens,
Joindre la loy des Turcs à l’erreur des Chrestiens '
On ne laisse à l’Himen que des nœuds en peinture,
Que le dépit immole au caprice, au parjure.
C’est le corps & l’esprit qui le font subsister,
Et s’ils sont separez, que peut-il luy rester '
On croit faire durer le nœud qui les engage,
Mais à quoy sert un bien dont on n’a pas l’usage '
Quel moyen d’éviter ce malheur de nos jours '
C’est de regler d’abord sa Femme & ses amours.
Evitez les transports des flâmes indiscretes,
Et ne la traitez pas comme on fait les Coquetes.
Songez qu’à quelque jeu qu’on prodigue son bien,
On se met au hazard de ne se laisser rien.
D’un siecle corrompu ne suivez pas la mode,
Sans devenir jaloux, ny vous rendre incommode
Portez la sans contrainte à garder sa maison,
A n’en sortir pas seule, & sans bonne raison.
Evitez du Jaloux la cruelle maxime,
Qui serre sous des clefs sa Femme qu’il opprime.
Une vertu forcée est un vice caché,
Si le corps en est pur, l’esprit en est taché.
L’exemple en est frequent aux rivages du Tybre,
Où l’Epouse s’égare au moment qu’elle est libre.
Les plus severes loix des plus fiers Conquerans
Ne forcent pas les cœurs à cherir des Tyrans.
Tout excés est nuisible, il est toujours blâmable,
Mais au joug de l’Himen il devient redoutable.
Il faut que sans soupçon, & sans estre emporté,
La devoir & l’honneur reglent sa liberté.
Mais pour luy faire suivre une regle si belle,
Bannissez les Amans qu’elle reçoit chez elle.
Eloignez promptement cet homme officieux,
Qui ménage en secret des momens précieux,
Qui flate vostre Femme, & qui la préoccupe.
Il se dit vôtre Ami, mais vous estes sa dupe.
C’est une étrange erreur des Maris indolens,
De souffrir qu’une Femme écoute des galans,
Et de les laisser seuls avec trop de licence
Par des discours suspects troubler son innocence.
Quoy, peut-on exposer sans choquer le bon sens,
Un beau vase fragile à la fureur des des vents '
A garder un tresor qui doit jamais prétendre,
S’il le laisse aux voleurs qui cherchent à le prendre '
Cependant c’est la mode, & le benin Epoux
N’oseroit l’empêcher sans passer pour jaloux.
Sottement possedé d’une aveugle manie,
Il se fait un honneur de son ignominie.
Doit-il encor souffrir qu’elle aille à l’Opera,
Où dans son cœur touché l’amour se glissera,
Ny même à Pharaon, Jeu charmant & funeste,
Qu’elle perde son temps, & l’argent qui luy reste '
Si l’on suivoit l’esprit de la loy des Chrestiens,
On fuiroit ces plaisirs que prenoient les Payens.
Mais on veut s’aveugler, on se fait d’autres guides,
Et ce n’est plus le temps des maximes rigides.
Si vous les inspiriez, ah, que vous feriez bien !
Mais preschez, murmurez, vous ne gagnerez rien.

[Nouveau Prix proposez par la Compagnie des Lanternistes de Toulouse] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 127-131.

Mrs les Lanternistes de Toulouse donneront un Prix cette année, à leur ordinaire. Voicy ce qu’ils ont fait imprimer sur ce sujet.

BOUTS RIMEZ
Proposez par les Lanternistes,
Pour l’année 1700.

On a lieu d’esperer que nos Bouts-rimez plairont beaucoup cette année. On a pris soin qu’ils eussent quelque rapport à la situation des choses presentes ; & comme il n’y a rien de plus agréable que la Paix, il estoit malaisé de ne pas l’avoir en veuë dans le choix qu’on a fait de ces Rimes. Elles sont toutes propres à inspirer de beaux sentimens pour la gloire du Roy, de ce grand Monarque qui nous a procuré cette Paix d’une maniere tout à fait heroïque. Le retour de l’innocence & des solides plaisirs, le rétablissement des beaux Arts & du Commerce, fournissent une matiere remplie de nouveaux agrémens. Que de merveilles à décrire ! Que de vertus à representer ! Est il de plus doux attrait, de plus charmante invitation pour les Muses ' C’est en travaillant sur un si noble sujet, qu’elles peuvent s’acquerir une réputation immortelle

Olive.
Eclatans.
Temps.
Active.
Attentive.
Contens.
Titans.
Captive.
Saison.
Orizon.
Barriere.
Soutenir.
Carriere.
Avenir.

Les Sonnets doivent estre accompagnez d’une Priere en quatre Vers pour le Roy, & d’une Sentence. Les Auteurs mettront leur seing couvert & cacheté au bas de leurs Sonnets, ou dans une Lettre separée, le tout sous la même envelope, & rendu franc de port chez Mr Seré, prés la Place de Roaïx à Toulouse, huit jours avant la Saint Jean. On avertit que les Sonnets qui seront en petits Vers, ou à rimes composées, ne pourront prétendre au Prix.

[Divertissements de Carnaval à la Cour]* §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.151-153.

Jamais on ne s'est mieux diverty à la Cour qu'on a fait pendant le dernier Carnaval. Les divertissemens y ont esté frequens, agréables, ingenieux, & ont tellement succedé les uns aux autres, qu'à peine a-t-on eu le temps de se délasser des agréables fatigues que causent des plaisirs continuels. Les grands spectacles tenoient autrefois la place de cette foule de petits divertissemens, c'est à dire, les Balets historiez, divisez en plusieurs parties, & meslez de recits, dont le Roy donnoit chaque Carnaval un ou deux à sa Cour, avant que la mode des Opera, eust commencé. Cette mode n'eut pas si tost commencé à estre goûtée, que le Roy en fit faire tous les ans pour le divertissement de la Cour, d'une magnificence digne de luy. C'est tout dire, jamais Souverain n'ayant esté si magnifique. Quoy que ces divertissemens ne détournassent pas ce Monarque de l'application qu'il donnoit aux affaires de son Etat, il a cru depuis quelques années se devoir priver de la pluspart de ceux que prend sa Cour. S'ils sont moins grands parce qu'il ne les ordonne pas ils diversifient davantage les plaisirs d'un long Carnaval, & sont necessaires pour occuper une Cour aussi galante & aussi nombreuse que celle de France. C'est pour cela que le Roy les honore quelquefois de sa presence, afin de faire connoistre qu'il ne les desaprouve pas. Voicy ceux qui ont diverty la Cour pendant le Carnaval.

[Mascarade des Chinois] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.154-155.

Le 7, janvier il y eut un bal à Marly qui commença par un divertissement meslé de Musique & de Danses, dont le titre estoit Le Roy de la Chine. Ce Roy y estoit porté dans un Palanquin, & precedé d'une trentaine de Chinois, tant Musiciens chantans, que de Joüeurs d'instrumens. Le Sr des Moulins de l'Opera, y divertit beaucoup dans une Danse grotesque, representant une Pagode.

Le lendemain il y eut encore à Marly le même divertissement, & Bal ensuite. Les Seigneurs & les Dames du Bal n'estoient point en habits de Masque.

[Mascarade des Amazones] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 155-158.

Le Jeudy 21, du même mois il y eut bal à Marly, & tous les Danseurs & Danseuses parurent en riches habits de Masques. Madame la Duchesse de Bourgogne representoit la Deesse Flore, & Mesdames les Duchesses de Villeroy & de Sully, & les Comtesses d'Ayen & d'Estrées, & Mesdemoiselles de Melun & de Bournonville, estoient les Nymphes de sa suite. L'habit de madame la Duchesse de Bourgogne estoit riche & galant, & ceux des Nymphes de sa suite estoient du même goust. Madame la Princesse de Conty Doüairiere, Mesdames les Marquises de Villequier & de Chastillon estoient en Amazones. Madame la Duchesse de Chartres, Madame la Duchesse, Mademoiselle d'Armagnac & Mademoiselle de Tourbes, estoient en Sultanes tres magnifiquement vétuës. Mesdames les Duchesses d'Humieres, de St Simon, & de Lauzun, & Madame la Marquise de Souvray, estoient habillées à l'Espagnole de velours noir, avec beaucoup de Diamans. Tous ces habits avoient este faits exprés pour ce jour là. Lors que toute l'Assemblée fut placé on vit paroistre la Mascarade qui avoit pour titre les Amazones. Un Timbalier More marchoit à la teste monté sur un Chameau, puis des Amazones chantantes, auxquelles des Sarmates & des Scithes de leurs Sujets donnoient plusieurs divertissemens, un combat de Gladiateurs & des Voltigeurs sur un cheval de bois. Il y eut aussi quelques Danses. Le bal commença ensuite & dura jusqu'à une heure.

[Les Savoyards, Mascarade] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.158-160.

Le Vendredy le Bal commença à la même heure. Madame la Duchesse de Bourgogne ne mit point d'autre habit que celuy qu'elle avoit porté tout le jour. Si tost que toute la Cour fut placée, la pluspart des Danseurs & Danseuses entrérent en dansant, tous vêtus à la Villageoise, mais fort galamment. Après qu'ils eurent dansé quelque temps, ils s'assirent, & la Mascarade préparée pour ce soir-là parut. Elle avoit pour titre, les Savoyards. Quatre d'eux portoient des Malles, desquelles, lorsqu'elles furent posées à terre, sortirent des Enfans qui firent une Entrée de ballet. Un Arlequin & un Polichinelle, & Marinette & Zerbinette leurs Femmes, danserent à merveilles, c'estoit le sieur Balon & des Moulins. Le premier estoit Arlequin & l'autre Polichinelle. Les Femmes estoient Mesdemoiselles Varango & Chappe. Une petite Arlequine qui sortit d'une des Malles, divertit fort l'Assemblée par ses petites postures. Monseigneur vint ensuite en Masque avec Madame la Princesse de Conty & plusieurs autres Dames, & quelques Seigneurs de la Cour. Le Bal finit à une heure

[Bal donné dans les grands Appartemens de Versailles, & tout ce qui s'y passa] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.160-163.

Le Mercredy 27. Janvier le Roy donna un grand Bal dans ses grands Appartemens de Versailles. Il commença à onze heures après le souper du Roy. La Salle où sont les Tribunes pour la Musique, fut choisie pour le lieu du bal. L'on y ajoûta plusieurs lustres, & l'on disposa tout autour de grands gueridons sur lesquels on mit des girandoles, l'on éleva des gradins aux deux bouts & dans les croisées, & l'on rangea des formes & des sieges autant qu'il fut possible, en laissant un espace pour la Danse. Tous les Princes & Seigneurs & les Dames qui devoient danser, y vinrent en habit de Masque. L'entrée y fut libre pour tous les Masques, pourvû qu'aux premieres portes il s'en démasquast un qui répondist de sa Compagnie. L'on établit aussi des Violons & des Hauts-bois dans les deux chambres voisines de la principale Salle du Bal. Les Masques remplissoient déja tout l'Appartement, lors que le Roy arriva la foule y estoit tres grande, & l'on eut peine à conserver du terrain pour la danse. Madame la Duchesse de Bourgogne changea trois fois d'habits. Elle y parut d'abord sous celuy de Flore, puis sous celuy d'une Laitiere, & enfin sous celuy d'une Vieille. Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Messeigneurs les Princes ses Freres, changerent aussi plusieurs fois d'habits, ainsi que Madame la Princesse de Conty, & plusieurs Dames tant de la suite de Madame la Duchesse de Bourgogne, que de la Compagnie de Madame la Princesse de Conty. Il y vint beaucoup de Masques, tant de la Cour que de Paris. L'on dansa toujours dans trois lieux differens. L'on apporta une magnifique Colation à une heure, dans la grande Salle. Le Roy se retira à deux heures, & Madame la Duchesse de Bourgogne à quatre, & le Bal finit.

[Mascarade des Espagnols & Espagnoles [suivi de] Mascarade du vieux Maistre d'Ecole & de sa femme [et suivi de] Mascarade de la Noce de Village] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.164-166.

Le 4. il y eut Bal à Marly. Le Roy & la Reine d'Angleterre y vinrent, & souperent après le Bal avec le Roy. Ce Bal commença à huit heures, & s'ouvrit par une entrée de trois Espagnols & de trois Espagnoles. Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame la Comtesse d'Ayen & Mademoiselle de Bournonville estoient les Espagnoles, & Mr le Comte de Brionne, Mr le Duc de Guiche, & M le Chevalier Sully, les Espagnols. L'entrée fut très galante & bien executée. A cette entrée succeda celle de Monseigneur, de Monsieur le Duc de Chartres, & de Madame la Princesse de Conty. Elle representoit un vieux Maistre d'Ecole & sa Femme, quatre Enfans & quatre Nourrices qui les conduisoient par les Lizieres. Le Maistre d'Ecole estoit Mr le Marquis de la Valliere ; sa Femme, Monsieur le Duc de Chartres ; les quatre Enfans, Monseigneur, Mr le Marquis de Villequier, Mr le Comte de Brionne, & Mr le Marquis d'Antin. Les Nourrices estoient Madame la Princesse de Conty, Mmes d'Epinoy, de Villequier & de Chastillon. Après cette entrée l'on vit paroistre la Mascarade des Musiciens & des Danseurs. Le sujet estoit une Noce de Village, & les Acteurs, le Seigneur & la Dame du Village, les Parens de la mariée, les Garçons & les Filles de la Noce. Il y eut quatre Scenes en Musique, & quelques entrées de Ballet, où les Sieurs Ballon & des Moulins, & Mademoiselle du Fort firent merveilles. Le Bal continua après la mascarade jusqu'à dix heures & un quart.

[Mascarade du lendemain de la mesme Noce [suivi de] Mascarade de Dom Quichote] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.166-169.

Le lendemain, il y eut encore Bal à la même heure. Les Danseurs & les Danseuses n'estoient point en habits de Masque. Toutes les Dames Dansantes furent toujours en habits de Masque. Un quart d'heure après que le Bal fut commencé, Madame la Duchesse de Bourgogne entra en habit de Magicienne, tres magnifique. Elle estoit suivie de Mesdames les Duchesses de Sully & de Villeroy, des Comtesses d'Ayen & d'Estrées, & de Mesdemoiselles de Melun & de Bournonville, vestües du même goust. Peu de temps après, parut la Mascarade des Musiciens & Danseurs. Le lendemain de la Noce estoit le sujet de ce divertissement. Les mêmes Danseurs firent merveilles, & ce qui divertit beaucoup, ce fut un faux Bapaume, ce Bapaume passe à la Cour pour un plaisant, il estoit si ressemblant à l'original, que toute l'Assemblée y fut longtemps trompée. Il y eut encore une Mascarade fort galante qui representoit plusieurs faits de Dom Quichote de la Manche, le Combat du Chevalier des Miroirs, la Princesse Doloride, les Dames barbuës, & les frayeurs de Sancho au sujet de l'Ecuyer au grand nez. Le bal continua ensuite jusqu'à dix heures & un quart.

[Bal donné à Madame la Duchesse de Bourgogne par Madame la Chanceliere] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.169-194.

Madame la Duchesse de Bourgogne ayant souhaité que Madame la Chanceliere luy donnast un Bal, elle receut cette proposition avec beaucoup de joye ; & quoy qu'elle n'eust que huit jours pour s'y préparer, elle résolut de donner à cette Princesse dans une même soirée, tous les divertissemens que l'on prend ordinairement pendant tout le cours du Carnaval ; sçavoir ceux de la Comedie, de la Foire, & du Bal, ce dernier renfermant les plaisirs que donne dans cette Saison la varieté bizarre des Masques galans, grotesques, & magnifiques qui y abondent. Tout se trouva prest pour le jour marqué. Cependant la Feste fut differée de neuf jours, à cause d'un mal de dents survenu à cette Princesse. Le jour destiné à la donner estant venu, on posta des détachemens de Suisses dans la ruë & dans la Cour, avec plusieurs Domestiques de Madame la Chanceliere, en sorte qu'il n'y eut aucun embarras, ny à la porte, ny même aux avenuës de la Chancellerie. Il y eut outre cela de si bons ordres donnez, que malgré la confusion qui se trouve ordinairement aux portes des lieux où se font de semblables Festes, toutes les personnes de distinction, pour qui il y avoit des places marquées, entrérent avec facilité & furent placées de même. La cour estoit éclairée, ainsi que le Vestibule, & l'Escalier, où il y avoit des lustres & des girandoles sur des torcheres ; on remarquoit d'abord dans la Salle preparée pour le Bal, un grand Portrait de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui estoit sur la cheminée. Il y avoit tout autour de cette Salle des gradins de trois à quatre pieds de long, & entre chaque gradin étoient des torcheres magnifiques, sur lesquelles il y avoit des girandoles, outre dix lustres suspendus. On avoit dressé un grand Amphitheatre dans la face du bas de la Salle, pour cinquante tant Hautbois que Violons du Roy, tous en habits de Masque uniformes, avec des bonnets garnis de plumes, ce qui formoit un spectacle aussi magnifique que nouveau dans ces sortes de Festes. Il y avoit des formes tout autour de la Salle, au dessous des gradins, & au devant de ces formes, un rang de tabourets, audevant desquels estoient trois fauteuïls, l'un pour Madame la Duchesse de Bourgogne, & les deux autres pour Monsieur & pour Madame. Monsieur n'y vint point à cause d'une legère indisposition, & Madame y vint sans estre masquée. On avoit laissé un grand quarré reservé pour la danse. A costé de la Salle du Bal, sur le même palier de l'escalier estoit une autre Salle fort éclairée, dans laquelle il y avoit des Violons & des Hautbois, & cette Salle estoit pour recevoir les Masques, qui, à cause de leur grand nombre ne pouvoient entrer dans la Salle du Bal.

Madame la Duchesse de Bourgogne fut reçuë à la descente de son Carosse par Mr le Chancelier, Madame la Chanceliere, & Mr le Comte de Pontchartrain. Plusieurs de leurs Parens & Amis s'étoient joints à eux. [l'auteur établit ensuite une liste des invités].

Madame la Duchesse de Bourgogne ainsi reçuë, fut conduite dans la grande Salle du Bal. Monseigneur, & Messeigneurs les Ducs de Bourgogne, d'Anjou, & de Berry, & toutes les Princesses & Dames bien masquées vinrent presque en même temps, & après leur arrivée, Mr le Chancelier laissa faire le reste des honneurs à Madame la Chanceliere. Il n'y avoit qu'une heure que le grand bal estoit commencé, quand Madame la Chanceliere & Mr le Comte de Pontchartrain conduisirent Madame la Duchesse de Bourgogne dans un lieu disposé pour luy donner le divertissement d'une petite Comedie & avant que d'y entrer, on passa dans une Salle ornée de Miroirs & de quantité de lumieres. Il n'entra dans la Salle de la Comedie qu'environ cent cinquante personnes, les Princes & Princesses du Sang n'y prirent aucun rang, estans tous masquez. Cependant Madame la Duchesse de Bourgogne & Madame se trouvérent placées au milieu de la Salle, chacune dans un fauteüil. Madame la Duchesse de Bourgogne fut surprise d'y voir un Theatre avec ses armes & ses chiffres. Il representoit le Laboratoire d'un fameux Operateur, & ensemble le lieu où il enferme ses drogues. Il estoit orné de Pilastres, & l'espace qu'il y avoit d'un Pilastre à l'autre estoit remply de tablettes sur lesquelles estoient des vases de Porcelaines à l'usage des Chimistes, avec des ustanciles propres à leur travail. Toutes ces Tablettes n'estoient pas entierement découvertes. Il y en avoit quelques-unes à demy cachées par des Rivaux qui n'estoient pas tout à fait tirez. Des squeletes & des Poissons, avec d'autres Animaux paroissoient attachez au Plafonds. On entroit sur ce Theatre par trois portes, dont l'une estoit dans le fonds, & les deux autres aux deux costez ; elles estoient ornées d'une Architecture convenable au lieu. Il y avoit sur tous les Pilastres des demy-girandoles à cinq branches d'argent. Ces girandoles s'attachent, & ont esté nouvellement inventées par Mr Berrin qui avoit imaginé ce Theatre & donné tous ces soins à l'embellissement de cette Feste, à laquelle Mr le Févre Intendant & Controlleur general des menus plaisirs & affaires de la Chambre du Roy, entendu en ces sortes de divertissemens, n'a pas peu contribué par ses avis. Comme le lieu où le Theatre estoit dressé ne permettoit pas que l'on y plaçast des lustres, on avoit trouvé l'art de l'éclairer par deux ou trois cens lumieres cachées, & dont la reflexion y répandoit un éclat qui surprenoit tous les Spectateurs. Aussi-tost que Madame la Duchesse de Bourgogne fut assise, un Operateur, sous le nom du fameux Bari, vint luy demander sa protection contre les Medecins, & après avoir vanté l'excellence de ses remedes & la bonté de ses Secrets, il luy offrit le divertissement d'une petite Piece telle qu'autrefois on en faisoit representer à Paris, & ensuite d'une tres-belle Simphonie, qui se fit entendre d'une Chambre voisine. On representa une petite Comedie que Madame la Chanceliere avoit fait faire par Mr Dancourt exprés pour cette Feste. Il y avoit meslé quelques Scenes Italiennes, que l'on trouva fort ingenieuses, & qui furent agreablement representées par ses deux Filles. Tous les Acteurs qu'on avoit choisis pour ce divertissement dans la Troupe des Comediens du Roy, excellerent dans les caracteres qu'on leur avoit donnez, & reçurent beaucoup de loüanges.

La Comedie finie, Madame la Chanceliere mena Madame la Duchesse de Bourgogne dans une autre Salle, où il y avoit une superbe Colation disposée d'une maniere ingenieuse. On avoit construit dans l'un des bouts de cette Salle, cinq boutiques qui formoient un demy cercle. Dans ces cinq boutiques estoient cinq marchands chantans, representez ; sçavoir un Patissier François par le Srr de Puvigné. Un Provençal, Marchand d'Oranges & de Citrons, par le Sr Jonquet ; une Limonadiere Italienne, par le Sr Favally ; un Confiturier, par le Sr Courcier ; & un Arménien, Vendeur de Caffé, de Thé & de Chocolat, chantant en Langue Franque, par le Sr Bastaron, tous de la Musique du Roy. Ils avoient des habits qui convenoient aux Nations qu'ils representoient, & des Garçons pour servir, vestus aussi selon la Nation dont ils tenoient le langage. Les boutiques se communiquoient au dedans les unes aux autres, & n'estoient separées qu'exterieurement. La menuiserie en estoit peinte & dorée, & l'on voyoit alternativement dans les panneaux du bas des boutiques, les Armes & les Chiffres Madame la Duchesse de Bourgogne. Ces boutiques estoient ceintrées, & des Lustres pendoient du milieu de chaque ceintre. Au dessus de ces boutiques estoient écrits en grosses lettres d'or, les noms de Procope, de le Coq, de Benachi, & quelques autres ; & sur tout le haut, on avoit peint toutes les choses convenables à ce que chaque boutique devoit representer. La Simphonie estoit placée dans les angles des boutiques, & vestuë avec des habits assortissans à ceux des Marchands que je viens de vous nommer. Le fond des boutiques estoit couvert de tabletes dorées, & le tout estoit remply de toutes les choses qu'on y devoit vendre. On y voyoit quantité de corbeilles magnifiques, des vases de cristal, d'argent, & de vermeil doré, des jattes, des bande-deges, avec des Porcelaines, le tout remply de liqueurs, de confitures seches, de dragées, de patisserie, d'oranges, de citrons de limes douces, & de tout ce qu'on peut imaginer pour une galante Colation. Toutes ces choses estoient entremeslées de fleurs & de girandoles, & le rang le plus élevé estoit tout orné de vases magnifiques remplis de fleurs, dont il y avoit plusieurs guirlandes sur les tabletes. Quoy que ces choses fussent brillantes d'elles mêmes, elles ne laissoient pas de tirer un nouvel éclat des Lustres qui éclairoient les boutiques, & comme ces boutiques étoient séparées par des pilastres, que le derriere de ces pilastres estoit tout couvert de lumieres, & que ces lumieres reflechissoient encore sur tout ce qui estoit sur les tabletes des boutiques, on ne sçauroit rien s'imaginer de plus brillant que paroissoit toute cette petite foire ; mais ce qui est fort à remarquer, il y avoit un grand miroir dans le fond de chaque boutique, qui rappellant tous les objets qui composoient l'assemblée, les faisoit encore paroistre dans toutes les boutiques, outre les choses que j'ay déjà marqué ; de maniere que cet assemblage estoit tout à fait brillant, & que les yeux en pouvoient à peine supporter l'éclatante varieté. Si ce spectacle estoit nouveau, la musique qui estoit de Mr Colace, l'un des maistres de musique du Roy, n'avoit pas moins les charmes de la nouveauté, puisqu'on entendit un Chœur composé de personnes qui parloient diverses langues & qui ne laissoient pas de s'accorder admirablement bien. Ce Chœur fut suivy de Trio & de Duo ; & chacun chanta aussi seul en sa langue. Tout ce qu'on chanta fut à l'honneur de Madame la Duchesse de Bourgogne, & pour inviter cette Princesse à venir goûter de tout ce qui estoit dans les boutiques. A costé il y avoit un grand Cabinet entouré de gradins remplis de fruits, de confitures sèches, & d'une infinité de paquets de confitures nouez avec des rubans pour distribuer à l'Assemblée, dont le sieur Philbert s'acquitta avec des manieres divertissantes. Les liqueurs y estoient en abondance. Madame la Duchesse de Bourgogne sortit tres satisfaite de la Salle de la colation, & donna force loüanges à tout ce qu'elle y avoit vû & entendu. Alors tous les Masques entrérent dans cette même Salle, où l'on distribua toutes sortes de rafraichissemens à ceux qui se presentérent, avec une profusion sans pareille, tandis que des Domestiques de Madame la Chanceliere en portérent à toutes les Dames qui estoient sur les gradins, & en offrirent même à ceux qui n'en demandoient point. Madame la Duchesse de Bourgogne en sortant de la Salle de la Collation ne retourna point dans celle du Bal, parce qu'il y avoit un nombre infini de masques, & que le Bal se trouva un peu dérangé. Après que cette Princesse en fut sortie, elle retourna dans celle de la Comedie, où il se fit un Bal particulier à toute la Cour. Il dura jusqu'à deux heures après minuit, ensuite de quoy, elle revint dans le grand Bal pour voir le nombre infini de divers Masques qui s'y rencontrèrent. Elles les vit danser & dansa jusqu'à quatre heures du matin, après quoy Madame la Chanceliere & Mr le Comte de Pontchartrain l'ayant reconduite jusqu'au bas de l'escalier, cette Princesse leur marqua en termes fort obligeans qu'elle avoit pris beaucoup de plaisir au divertissement qu'on venoit de luy donner, & qu'elle en estoit extrémement satisfaite. Ainsi finit cette Feste qui attira beaucoup de loüanges à Madame la Chanceliere.

[Bal donné à Madame la Duchesse de Bourgogne par S. A. S. Monsieur le Prince] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.194-213.

Le Samedy 13. Son Altesse Serenissime Monsieur le Prince donna dans son Appartement de Versailles, un grand Bal à Madame la Duchesse de Bourgogne. Cette Princesse s'y rendit sur les onze heures du soir en habit de Sultane. Une partie des Dames qui l'accompagnoient estoit masquée, & l'autre ne l'estoit pas. S. A. S. reçut cette Princesse à la porte de son Appartement dans la Gallerie Basse, où il y avoit deux Corps de garde pour empescher la foule ; aussi n'y laissa-t-on entrer que les personnes les plus qualifiées de la Cour, ce qui garantit du desordre & de la confusion.

La principale Salle du Bal estoit éclairée par un grand nombre de lustres & de girandoles. On avoit construit une tribune au dessus de la porte, & l'on y avoit placé les Violons & les Hautbois. Plusieurs Termes soûtenoient cette tribune, sous laquelle commençoient à regner des Amphitheatres qui tournoient tout autour de la Salle, à la reserve de l'endroit où estoit Madame la Duchesse de Bourgogne. Ces Amphitheatres estoient interrompus, & dans les espaces qu'on avoit laissez de l'un à l'autre, il y avoit des Torcheres de huit à neuf pieds de haut, qui portoient des girandoles de cristal. Dans la seconde piece où danserent ceux qui ne purent avoir cet honneur dans celle où estoit Madame la Duchesse de Bourgogne, il y avoit aussi quantité de Lustres & de Torcheres. La troisiéme piece, qui estoit celle de la Collation, estoit ornée à la Chinoise. [...] Douze Officiers de Monsieur le Prince dispersez pour servir, & vêtus en Pagodes, estoient assis entre chacune de ces tables. Il y avoit au pied de la grande table du Bufet, trois Pagodes jouant des instrumens, & dans les deux bouts deux autres Pagodes chantantes. Dans le fonds de la Salle vis à vis du Bufet estoient trois grands miroirs, qui rappelant ce Bufet le faisoient paroistre dans les deux bouts. Outre la quantité de girandoles du Bufet, il y en avoit autour de la Salle qui étoient posées sur des consoles d'Architecture. Quand Madame la Duchesse de Bourgogne entra dans cette Salle, les Pagodes vivantes & les Postiches remuerent toutes la teste également, comme pour saluer cette Princesse, & dans le même instant les douze Officiers vestus en Chinois se leverent, & tirerent de dessous le Buffet plusieurs tables avec des couverts & des sieges, où la Princesse & les principales Dames de sa suite, firent colation. [...] Il estoit deux heures quand le Bal recommença, & il dura jusqu'à quatre. Quelque temps après qu'il fut recommencé, on y apporta du Café & du Chocolat sur de grands Cabarets appellez Bandéges en Chinois. Il falloit deux hommes pour en porter un, & ils les portoient sur leurs épaules. Les uns estoient vétus en Turcs, & d'autres représentoient d'autres Nations. Il y avoit outre cela une grande Salle de reserve, remplie de toutes sortes de boissons, & l'on n'en refusoit à personne. Comme un bal trop continu peut ennuyer, & que l'étenduë de l'Appartement ne permettoit pas à Monsieur le Prince de donner un autre spectacle que celuy de la Collation, il avoit imaginé differentes petites Mascarades qui interrompirent le Bal de demi-heure en demi-heure. Tous ces divertissemens estoient si bien concertez, & se mesloient si naturellement au Bal, que les Violons changeoit d'air dés qu'ils voyoient entrer les Mascarades concertées, & joüoient les airs sur lesquels devoient danser ceux qui composoient ces Mascarades. Après la description que je viens de faire, il n'est pas necessaire de louër la nouveauté, la magnificence, & le bon goust de cette Feste, puisqu'il suffit de la décrire pour faire voir qu'on ne luy sçauroit donner trop d'éloges. Elle n'en a pas besoin, & il suffit de nommer le grand Prince qui l'a donnée pour persuader ceux qui l'apprendront, après les grandes choses qu'il a déjà faites de cette nature, que ce qu'il vient de faire est nouveau, ingenieusement imaginé, & de bon goust. Mr Berrin a donné ses soins à tout ce qui concernoit le spectacle. On connoist son genie pour toutes ces sortes de choses.

J'ay oublié de parler de quatre Masques qui divertirent beaucoup dans ce Bal, & cet Article ne doit pas estre oublié. Ces quatres Masques estoient Monsieur le Comte de Toulouse, Mr le Comte d'Evreux, Mr le Duc de Guiche, & Mr le Marquis de la Chastre. Ils estoient en habits semblables, sous de grands & amples vertugadins de taffetas qui les couvroient depuis la teste jusqu'aux pieds. Leur coëffure en espece de turban leur envelopoit toute la teste, & tomboit sur le vertugadin. Ils avoient chacun quatre masques de cire qui les representoient tous quatre, & qui leur ressembloient parfaitement, & comme ils tournoient leur coëffure à leur gré, & que par consequent ils changeoit leur veritable masque, ils ne pouvoient se reconnoître les uns les autres, outre qu'ils estoient tous quatre de la même taille, qu'on ne leur voyoit point de bras, & qu'ils avoient la même chaussure.

[Bal chez Madame la Princesse de Conty, Douairiere] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 213-215.

Le 14. il y eut Bal chez Madame la Princesse de Conty Doüairiere. L'affluence des Masques y fut grande. Il n'y avoit point de lieu destiné pour la Collation, mais elle fut portée par un grand nombre d'Officiers, qui en presentérent à toute l'Assemblée, & qui passérent dans tous les rangs, en sorte que chacun put à son gré contenter son goust, & se rafraîchir. Ainsi malgré la confusion de Masques, personne ne manqua des rafraîchissemens necessaires dans ces sortes d'occasions. Ce Bal n'estoit point préparé, & pouvoit passer pour un Impromptu ; mais quoy que ce ne fust point une feste, & qu'il n'y eust point de ces décorations qui en marquent l'appareil, il ne laissa pas d'estre magnifique, les Princes & les Princesses d'un certain rang trouvant toujours chez eux presqu'en un moment, ce que les autres ne sçauroient préparer qu'avec du temps.

[Bal donné à Madame la Duchesse de Bourgogne par M. le Marquis d'Antin] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.215-221.

Le lendemain 15. Mr le marquis d'Antin eut l'honneur de donner le Bal à Madame la Duchesse de Bourgogne, où Monseigneur le Dauphin, & Messeigneurs les Princes se trouverent masquez. Cette feste répondit à ce qu'on attendoit de son bon goust & du zele qui le portoit à la donner. Il y avoit sept chambres toutes brillantes de lumieres, tant le nombre en estoit grand. Elles estoient richement meublées. On avoit placé des Violons & des Hautsbois dans trois pieces. Les autres servoient à se reposer. Celles où l'on dansoit n'estoient pas de suite, & il y avoit entre chaque Salle du Bal, une autre Salle pour se délasser. La principale estoit fort grande. Des gradins étoient tout autour, & un grand Portrait du Roy en pied à l'un des deux bouts. On avoit osté toutes les portes, ce qui empêchoit la confusion. Toutes les Chambres estoient de plein pied avec des dégagemens dans lesquels on pouvoit aussi se reposer. Il y eut de si bons ordres donnez pour l'entrée qu'il n'y eut point d'embarras à la porte de la ruë ny sur l'escalier, quoy que le nombre des Masques fust grand. Deux heures après l'ouverture de ce Bal Mr le Marquis d'Antin conduisit Madame la Duchesse de Bourgogne, Monsieur & Madame, & les Princes & Princesses, dans le lieu destiné pour la Collation. [...] On ne sçauroit trop vanter la propreté des lieux. La richesse des tapisseries, & sur tout la quantité de lumieres, qui alloit au delà de tout ce que l'on a encore vû en ces sortes d'occasions. Mr le Marquis d'Antin voulant faire connoistre que ce Bal n'estoit que pour Madame la Duchesse de Bourgogne, le fit cesser dés que cette Princesse fut sortie. Ce Bal se passa dans l'Hôtel de Mr d'Antin qui estoit autrefois l'Hôtel de Soissons.

[Bal chez Monsieur le Duc du Maine] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.221-222.

Il y eut Bal le lendemain chez Monsieur le Duc du Maine, & une grande Collation servie en ambigu. La table estoit de plus de trente couverts. Il y vint une fort grande quantité de Masques. Je ne vous fais point la description des lieux, tout est magnifique chez les Princes de ce rang.

[Mascarade du Grand Seigneur dans sa Ménagerie. [suivi de] La Feste Marine, Mascarade. [suivi de] Le Jeu des Echecs, Mascarade. [suivi de] La Venitienne, Mascarade] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.222-231.

Le Mercredy 17 Février, le Roy & la Reine d'Angleterre arriverent à Marly, à six heures & demie. Le Bal commença à huit heures, & débuta par la Mascarade de Monseigneur, qui avoit esté imaginée par Monsieur le Duc de Chartres. Elle representoit le Grand Seigneur dans sa Ménagerie. Il estoit porté par des Esclaves sur un Palanquin, & précedé par un grand nombre d'animaux au naturel comme les Autruches, des Demoiselles de Numidie, des Singes, des Ours, des Perroquets, & des Papillons. A leur suite marchoient des Officiers, des Esclaves du Serrail, & des Sultanes, qui tous ensemble avec les animaux danserent une entrée fort plaisante & nouvelle. Mr le Marquis d'Antin estoit le Grand Seigneur, & les Officiers du Serrail, Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monsieur le Duc de Chartres, Mr le Comte de Brionne, Mr le Grand Prieur, Mr le Prince Camille, Mr le Marquis de la Valliere, & quelques autres. Les Sultanes estoient Madame la Princesse de Conty, & Mesdames d'Epinoy, de Villequier & de Chastillon. Les habits estoient propres, & on les avoit faits exprés. Ceux des animaux avoient esté faits d'après nature. Les Singes, qui estoient de vrais sauteurs, firent merveilles. A cette Mascarade succeda celle de Mr Bontemps le Fils, qui en a imaginé pour chaque jour de Bal à Marly une nouvelle. Une Feste marine en faisoit le sujet. A l'ouverture de la porte opposée aux places de Leurs Majestez, l'on vit paroistre un Vaisseau rempli de Matelots, de Matelotes, & de Pescheurs, qui en sortirent avec le Pilote, & s'avancerent dans le Sallon pour executer leur divertissement meslé de Musique & de Danses. Les sieurs Ballon & des Moulins, & la Demoiselle du Fort, de l'Opera, danserent de leur mieux ; & les Demoiselles Varango & Chippe, de la Musique du Roy, y chanterent & danserent aussi. Les Pescheurs apporterent du poisson dans un filet, & le presenterent à Leurs Majestez. Après ces deux Festes le Bal continua. Les Dames dansantes estoient en riches habits de Masque ; Madame la Duchesse de Bourgogne estoit en Sultane, & dansa, & l'on prit beaucoup de plaisir à la voir danser. Le Bal finit à dix heures ; le soupé à onze, & Leurs Majestez Britanniques retournerent à Saint-Germain. Le Vendredy, le Bal commença à huit heures, ainsi que le Jeudy, & débuta par une entrée de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui fut extrémement applaudie. Elle estoit composée des quatre Rois, des quatre Reines, & des quatre Valets du Jeu de Cartes, tels qu'ils y sont representez. Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monsiegneur le Duc d'Anjou, Monsieur le Duc, & Mr le Duc de Villeroy estoient les quatre Rois. Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame la Duchesse de Sully, Madame la Comtesse d'Ayen & Madame de Bournonville, les quatre Reines. Mr le Prince Camille, le Duc de Guiche, le Chevalier de Sully, & le Comte d'Ayen, les quatre Valets. Monseigneur le Duc de Berry & Madame la Comtesse d'Estrées estoient le Marchand & la Marchande de Cartes. L'Entrée avoit esté reglée par le sieur Pécourt, & fut trouvée si galante que le Roy la fit recommencer. Après cette Mascarade parut le divertissement preparé par Mr Bontemps, le sujet estoit le Jeu des Echets, & les Personnages, Momus, Cybelle, & un Herault d'Armes, l'Echiquier, le Roy, la Reine, les Tours, les Chevaliers, les Fous & les Pions. La Musique estoit du sieur Philidor, Ordinaire de la Musique du Roy, qui avoit fait celle de tous les divertissemens précedens. Les Entrées furent executées par les sieurs Ballon & des Moulins & la Damoiselle du Fort. Les habits estoient conformes aux caracteres. Le sujet de la troisiéme Mascarade fut une Venitienne, composée de tous les Personnages du Theatre Italien, d'un Scaramouche, d'un Polichinelle, d'un Arlequin, d'un Briguelle, d'un Docteur, d'un Pantalon, d'un Capitan, d'un Amoureux, & d'un Pierrot, & de leurs Femmes habillées du même goust, avec des habits fort propres dans leurs genre, & faits exprés. Les Acteurs estoient les Personnes les plus qualifiées de la Cour, de l'un & de l'autre Sexe. Mademoiselle Chappe chanta une Chanson Italienne dans l'Entrée de Ballet, en habit d'Arlequine. Monseigneur & Madame la Princesse de Conty ne masquèrent point, sur la fin du Bal il y eut encore une Mascarade de quatre Moulins à vent. L'on se mit à table à dix heures & un quart.

[Bal chez Madame la Duchesse du Maine. [suivi de] Seconde Noce de Village, Mascarade] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p. 231-233.

Il n'y eut point de divertissement le 20. Le 21. il y eut un Bal chez Madame la Duchesse du Maine. Il dura depuis onze heures & demie jusqu'à trois. Il y avoit grand nombre de Masques. Lors que Madame la Duchesse de Bourgogne fut arrivée, Mr de Malaizieux sous l'habit de Saturne, à la teste de plusieurs des plus considerables des Divinitez, vint réciter quelques Vers à Madame la Duchesse de Bourgogne, faits à la loüange de cette Princesse. La Colation fut servie sur un grand nombre de corbeilles. Cette Princesse a donné vingt fois de pareils Bals depuis l'ouverture du Carnaval. On eut le même jour 21. pour la seconde fois, le divertissement donné par Mr le Comte d'Ayen. C'estoit une Noce de Village, meslée de Musique & de Danses. Les Vers sont de la composition de Mr Rousseau, & de la Musique de Mr de la Lande. Madame la Duchesse de Bourgogne y dansa dans une grande entrée qui termina la piece. Mesdames les Duchesses de Villeroy, Madame la Comtesse d'Ayen, Madame de Ravetot & Mesdemoiselles de Bournonville & de Melun. Monseigneur le Duc de Bourgogne representoit le Marié & Madame la Duchesse de Bourgogne, la mariée. Mrle Duc de Guiche. Mr de Coësquin, Mr le Comte d'Ayen, & Mr le Chevalier de Sully y dansérent aussi.

[Grand Bal donné par le Roy. [suivi de] Mascarade de six Ifs & d'une Fontaine] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.276-280.

Le Lundy 22. de ce mois le Roy donna dans son grand Appartement un Bal semblable à celuy qu'il avoit donné plusieurs jours auparavant. Toutes les Chambres & la Galerie estoient éclairées autant qu'il estoit possible. L'on avoit ainsi que la premiere fois, choisi la plus grande Salle pour le lieu du Bal, & l'on y avoit mis les gradins ordinaires. L'on avoit aussi établi dans les croisées des deux chambres voisines des Violons & des Hautsbois pour faire danser les Masques qui ne pourroient pas parvenir jusqu'à la Salle du Bal. Il y eut beaucoup d'ordre & d'exactitude aux portes, & les Masques furent obligez de se faire connoistre à celles de la Salle des Gardes, de l'Antichambre & de la Chambre du Roy. Le Bal commença à onze heures apres le souper du Roy. Madame la Duchesse de Bourgogne s'y rendit un peu avant S. M. Elle estoit vêtuë en Magicienne, avec un habit fort riche, tres-galant & orné de pierreries. Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monsieur le Prince de Conty y vinrent aussi de bonne heure, & fort bien masquez, & se mirent en des places qui empêcherent qu'ils ne fussent reconnus. Messeigneurs les Ducs d'Anjou & de Berry y arrivérent en habits serieux & sans masques. Madame la Duchesse de Chartres, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, & plusieurs Dames du premier rang avoient des habits de masque, des plus magnifiques. Les jeunes Dames de la suite de Madame la Duchesse de Bourgogne estoient aussi vétues en Magiciennes, Madame de Zintzidorff, Femme de l'Envoyé de l'Empereur, & Mademoiselle Sphaneim, Fille de celuy de Mr l'Electeur de Brandebourg, y estoient galamment & noblement habillées. Le Bal commença si tost que le Roy fut entré. On ne peut exprimer le nombre des masques qui vinrent à cette Feste. La Galerie & les premieres Pieces de l'Appartement en estoient remplies, & l'on convint qu'il y en avoit incomparablement davantage & de plus beaux que la premiere fois. La presse fut grande dans les deux Chambres où estoient les Violons. Madame la Duchesse de Bourgogne ny les Princesses ne changèrent point d'habit ; mais Messeigneurs les Princes masquèrent. Il y eut une mascarade extraordinaire d'une Fontaine & de six Ifs taillez comme ceux du Parterre de Versailles. On servit un peu après minuit une tres grande Colation, & le Roy se retira une demie heure après. Le Bal continua encore jusqu'au départ de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui rentra chez elle à deux heures & un quart

[Bal donné par Monseigneur [suivi de] Bal chez M. le Grand] §

Mercure galant, février 1700 [tome 2], p.280-284.

Le Mardy 23. Monseigneur donna le Bal dans son Appartement. Il avoit fait ôter le lit de la grande chambre, & des gradins avoient esté élevez tout alentour. Les Violons & les Hautsbois furent placez dans les croisées. Cette chambre fut éclairée par plusieurs beaux lustres, & par quantité de girandoles posées sur des grands gueridons dorez. Elle paroissoit un peu petite en comparaison de celle où le Bal du Roy s'estoit fait la veille ; mais par le bon ordre qui y fut apporté, & la peine que se donna Mr le Duc de la Trimoüille, Premier Gentilhomme de la Chambre en année, qui resta toûjours à la porte, ainsi qu'il avoit fait le jour precedent chez le Roy, il n'y eut point de confusion, & l'on conserva toujours une place suffisante pour danser. Quoy qu'il y vinst une grande affluence de masques, la presse ne fut que dans l'antichambre qu'on avoit décorée & éclairée de même que la Chambre, & où l'on avoit placé des Violons & des Hautsbois. Le Bal commença à onze heures. Monseigneur ne masqua point, mais Monseigneur le Duc de Bourgogne & Messeigneurs ses Freres y vinrent déguisez. Madame la Duchesse de Bourgogne, & les Dames de la Troupe, estoient en Egyptiennes. Madame la Duchesse de Chartres, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, & Mesdames d'Epinoy, de Villequier & de Chatillon avoient des habits tres-galans, & qui n'avoient point encore paru. Il y eut une grande profusion seulement de liqueurs & de glaces, à cause du Caresme où l'on estoit entré. Le Bal finit à une heure & demie, & Monseigneur reconduisit Madame la Duchesse de Bourgogne jusqu'à la porte de sa Salle des Gardes. Elle traversa la cour à pied, suivie de toutes ses Dames, & alla chez Madame la Duchesse du Maine, où il y avoit des Violons. Comme la Chambre de cette Princesse n'est pas grande, & que son lit dont elle ne sort point, en occupe une bonne partie. La confusion y fut extrême, parce qu'à la sortie du Bal de Monseigneur, beaucoup de Masques y passèrent. Madame la Duchesse de Bourgogne en sortit un peu après deux heures, & alla à la grande Ecurie chez Mr le Grand. Elle y fut receuë au bas de l'Escalier par Mr le Comte de Brionne & Mr le Prince Camille. Elle traversa une premiere Salle remplie de Masques, où l'on dansoit, & entra dans le principal lieu du Bal, qui bien que spacieux, estoit si plein de Masques, qu'on s'y portoit. Outre les deux chambres où l'on dansoit, qui estoient éclairées avec excés ; il y en avoit encore trois autres qui l'estoient de même. Dans l'une estoit étalée une prodigieuse quantité de liqueurs, d'oranges, de citrons, de limes & de pommes d'Apy. Madame d'Armagnac fit passer Madame la Duchesse de Bourgogne dans deux de ces chambres pour s'y reposer & pour y prendre du frais, dont elle avoit besoin, à cause de la chaleur excessive qu'elle avoit soufferte dans le Bal. Messeigneurs les Princes y vinrent déguisez, & generalement tous les Seigneurs, Princesses & Dames de la Cour. Le Bal finit à quatre heures.

Je viens de m'apercevoir que je vous ay dit que Monsieur le Prince avoit donné le Bal le Samedy 13. Ce fut le Vendredy 12.