1698

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1698 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10]. §

[Devises] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 7-15.

Je vous envoyay le mois dernier la Relation de tout ce qui s’est passé au Camp de Coudun, prés Compiegne ; & comme vous y avez remarqué la noble audace qu’a inspirée à Monseigneur le Duc de Bourgogne la gloire d’estre Petit. Fils de Loüis le Grand, vous ne serez pas surprise que je commence cette nouvelle Lettre par des Devises qui ont esté faites pour ce jeune Prince, sur l’ardeur guerriere qu’il a fait paroistre dans ce Camp., puis que tout ce qui le regarde, a rapport au Roy.

La premiere de ces Devises est un Aiglon, qui aprés que les vents printaniers ont achevé de dissiper les nuages de la saison, fait l’épreuve de ses forces, en s’élevant pour la premiere fois vers le Soleil, poussé par sa jeunesse & par son courage, avec ces mots :

Nec viribus impar.
ou,
Tollunt juventas & patrius vigor,
ou,
Campo se credit aperto.

Cette Image paroist digne de Monseigneur le Duc de Bourgogne en cette occasion, si l’on compare ses premieres démarches dans le Camp de Coudun, & les preuves qu’il y a données de son experience aux yeux de LOUIS LE GRAND, avec l’essor de l’Aiglon, tel qu’il est dépeint dans la Devise ; & les nobles qualitez qu’on donne à l’Aigle de Roy des Oiseaux, & de Porte - foudre de Jupiter, avec la naissance royale de ce Prince, & le commandement des Armées de Sa Majesté, qui luy a esté confié dans cette premiere occasion.

La seconde Devise est un jeune Lion prest à faire essay de sa ferocité & de son courage, sur la premiere proye qui se presentera, & qu’il dévore déja comme en idée, avec ces mots :

De tenero meditatur ungui.
ou,
Dente novo peritura videt.
ou,
Per medias feret ira cædes.

Par l’application de cette seconde image à Monseigneur le Duc de Bourgogne, on donne à connoistre sa disposition à faire sentir sa valeur & son intrepidité aux Ennemis de l’Etat ; & ce qu’ils en doivent attendre dans une Guerre déclarée, le voyant si actif & si vif dans ces simples préludes.

La troisiéme, un Faisceau d’armes, entouré de Lauriers, tel que les Licteurs les portoient à Rome dans les jours de triomphe, avec ces mots :

Collegisse juvat.
ou
Robustus acri militia puer.
ou
Fortis & hostium Victor.

On désigne heureusement par là, quelle sera la force invincible des armes de Sa Majesté entre les mains de Monseigneur le Duc de Bourgogne, puis qu’elles se trouvent déja toutes formées à la Victoires, & entierement disposées à cueillir de nouveaux Lauriers.

La quatriéme, une Cuirasse Royale, ou plûtost cette Cuirasse de Diamans qu’Horace donne à Mars, avec ces mots,

Patiens pulveris atque Solis.
ou
Audax omnia perpeti.

Par où l’on exprime la vigueur de ce jeune Prince, tout prest à s’exposer aux fatigues de la guerre, à en essuyer les perils, & à signaler son courage par des actions d’éclat dignes du sang & de la gloire de ses Augustes Ayeux.

Mr Branche, Auteur de ces quatre Devises, en a renfermé l’explication dans ce Sonnet.

Tel qu’en un temps serain l’Aiglon plein de courage,
Vers le Pere du jour se donne un libre champ ;
Tel ce Prince s’exerce à commander ce Camp.
Quand la Paix loin de nous a chassé tout nuage.
***
Que de justes malheurs ce vif Essor présage
Pour la proye exposée à son vol menaçant !
Comme un jeune Lion ne respire que sang.
D’avance il en fait voir l’infaillible carnage.
***
Cet amas triomphant d’invincibles Guerriers,
Qui chez nos Ennemis n’ont cueilli que Lauriers,
Anime son grand Cœur à chercher la Victoire.
***
Comme eux prest à souffrir les fatigues de Mars,
Si l’amour ne retient son ardeur pour la gloire,
On le verra bien tost effacer les Cesars.

À Mademoiselle de ***, Epistre §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 48-53.

Voicy un Bouquet envoyé par Mademoiselle l’Heritier à une de ses Amies, le jour de sa Feste. Je ne vous dis point que cette Amie a beaucoup d’esprit & de merite. Une personne qui en a autant que Mademoiselle l’Heritier, n’en peut avoir d’autres.

À MADEMOISELLE DE ***
EPISTRE.

 Aujourd’huy que de mille Amans
 Le soin ardent & vif s’apreste,
 Erinne, à t’offrir pour ta Feste
 Des Bouquets rares & charmans,
 Comment me prendray-je, ma chere,
À t’en donner quelqu’un capable de te plaire ?
 Il paroistra sans agrémens.
Quand le fripon d’Amour s’est mêlé d’une affaire,
Tout ce qui vient aprés ne touche plus les gens,
Au moins les gens formez d’un certain caractere,
 Dont on voit beaucoup dans ce temps.
 De peur que l’Amitié n’ait honte
 De voir ses Bouquets en ce jour
Ceder à ceux que t’offrira l’Amour,
Je croy qu’à t’en conter elle aura mieux son compte.
 Mais quoy ? les fleurettes chez toy,
 Sont encor chose bien commune.
 Où pourrois-je en trouver quelqu’une
 Que l’on ne t’ait dite avant moy ?
L’Amour dont tes chansons vantent si bien les charmes,
 Te preste sans cesse ses armes,
 Et l’on voit mille jeunes cœurs
 Te conter leurs tendres ardeurs.
En te jurant combien ton esprit brille.
 L’un dit, Je n’en puis plus, je grille,
 L’autre, j’expire, je me meurs,
Parmy les cœurs blessez ie suis des plus malades.
 Aprés de pareilles douceurs,
 Les miennes te paroistront fades.
Cependant si l’on voit celles de l’Amitié
 Sembler moins vives, moins aimables,
 Elles sont aussi plus durables,
 Et plus solides de moitié.
 Mais de moitié, c’est trop peu dire ;
 Car celles de l’Amour souvent
 Passent plus viste que le vent.
Ce que je dis icy, ce n’est pas pour médire
 De ce Dieu qui fait qu’on soupire.
 Pour vû qu’exempte de ses traits
Je puisse tour à tour moraliser & rire,
Je m’embarasse peu qu’il fasse des Sujets.
J’aurois beau décrier son tirannique empire,
Mille cœurs prévenus par ses trompeurs attraits,
Iront toujours donner dans ses rians filets,
Et toujours gemiront de leur cruel ma tire.
Je ne forme donc point d’inutiles projets,
C’est bien assez pour moy qu’en tirant de ma lire
 Des sons amusans & divers,
Je coule mes destins à l’abri de ses fers.
 Pour toy, dont le ton doux & tendre
Se plaist à celebrer les Amans, les Amours,
 Aimable Erinne, prens toujours,
 Et ne te laisse jamais prendre.
L’Amour fait ressentir mille tourmens affreux,
Mais laissons de ce Dieu les effets dangereux,
 Et parlons d’une autre tendresse
Qui ne connut jamais de fatale foiblesse,
Et qui loin de livrer à des maux rigoureux
 Sçait toujours rendre un cœur heureux,
Quand il connoist le prix de sa délicatesse.
Que l’amitié solide est digne de nos vœux !
Elle est ardente en moy, ma chere, je te prie,
 De croire qu’il n’est point d’Amie
 Qui t’aime aussi sincerement,
 Qui t’aime aussi fidellement
Qu’on me verra t’aimer tout le temps de ma vie.

[Epître en Prose & en Vers sur deux personnes qui se sont mariées sans qu’aucune des deux entende la langue de l’autre] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 54-60.

Je ne doute point que cette autre Lettre ne vous paroisse de bon sens, & que vous ne demeuriez d’accord que le raisonnement en est juste.

À MADEMOISELLE
de S. C.

Ouy, Mademoiselle, un François a épousé une Angloise, sans qu’aucun des deux entende la Langue de l’autre. Cela paroist d’abord assez bizarre ; mais c’est faute de bien considerer ce dont il s’agit.

 Dés le moment qu’un cœur soupire,
On connoist en tous lieux ce que cela veut dire,
 Et malgré Babel & sa Tour,
 Dans le climat le plus sauvage
 Ne demandez que de l’amour,
 On entendra vostre langage.
La Terre en mille Etats a beau se partager,
En Asie, en Afrique, en Europe, il n’importe ;
 L’Amour n’est jamais étranger
 En quelque Pays qu’on le porte.

Comme il est pere de tous les hommes, il est entendu de tous ses Enfans. Il est vray que quand il veut faire quelque mauvais coup, comme il faut qu’il se masque, & qu’il se déguise, il faut aussi qu’il se serve de la Langue du Pays. Mais quand il est conduit par l’Himen, sans lequel il ne peut estre receu chez les honnestes gens, il luy suffit de se montrer pour se faire entendre.

En quelque Langue qu’il s’exprime,
On sçait d’abord ce qu’il prétend,
Et dés qu’il peut parler sans crime,
Une honneste Fille l’entend.

La raison de cela est, que la Langue d’Amour n’est qu’une tradition tres-simple & tres-aisée, dont la nature est dépositaire, & qu’elle ne manque jamais de reveler à toutes les Filles, quand elles en ont besoin.

Si tost que l’on en vient aux privautez secretes,
 Parmy toutes les Nations,
 L’Himen en ces occasions
 A certaines expressions
 Qui n’ont point besoin d’Interpretes.

Ne vous étonnez donc point que deux personnes étrangeres, & d’un langage si different, ayent pu se résoudre à se marier ensemble, & croyez comme un article de foy naturelle, que dans ces sortes de misteres tout le monde parle François. Ajoûtez à cela que de jeunes Epoux ont leur maniere particuliere de s’entretenir, indépendamment de toutes les Langues de la terre.

L’Amour est la seule de toutes les Divinitez dont le service n’a point changé. Son culte est encore à present tel qu’il étoit au commencement du monde. On luy adresse les mêmes vœux, on luy fait les mêmes sacrifices, on luy immole les mêmes Victimes ; & quand deux Amans veulent bien assister en personne à ses misteres secrets, on n’en a pas si tost chassé les profanes, que pleins de ce Dieu qui les possede, ils en comprennent en un moment toutes les ceremonies, & tout ce qui se fait en son honneur.

Si vous faisiez ce sot argument à Thomas Diafoirus ; Vos deux Epoux ne parlent pas la même Langue ; Ergo ils ne s’entendent pas, il vous répondroit, Distinguo, Mademoiselle ; ils ne s’entendent pas le jour, Concedo, Mademoiselle ; ils ne s’entendent pas la nuit, Nego, Mademoiselle. Or s’entendre la nuit, c’est s’entendre la moitié de la vie, & c’est beaucoup pour des Mariez. Je connois bien des gens, & vous aussi, qui parlent tres bon François, & qui n’en demanderoient pas davantage.

Qu’un Mariage est plein d’appas
Quand la nuit un Epoux peut contenter sa flâme,
 Et que le jour il n’entend pas
 Les sottises que dit sa Femme !

[Rondeau] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 61-62.

Nous sommes dans un temps où l’amour est devenu si interessé, que ce n’est pas sans raison que l’Auteur du Rondeau qui suit, s’écrie.

O Temps ! ô mœurs ! disoit Lisandre
L’autre jour au bord d’un ruisseau,
Ma foy, l’amour est à vau l’eau,
Les Amans n’ont plus qu’à se pendre,
L’agreable Empire de Tendre
Est plus désert que Longjumeau.
 O temps ! ô mœurs !
Si cœur de roc vous voulez fendre,
L’argent doit servir de marteau,
L’or à present est le flambeau
Qui fait réduire un cœur en cendre,
 O temps ! ô mœurs !

[Sonnet ; Madrigal]* §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 62-64.

Ces deux autres petits Ouvrages sont du même Auteur.

SONNET.

Amoureux à poche legere,
Qui prétendez charmer un cœur,
Etouffez cette folle ardeur,
Vous ne ferez que de l’eau claire.
***
Vainement vous tâchez de plaire
Par vos regards pleins de langueur,
Une Belle n’a que froideur,
Et vous traite de témeraire.
***
Quiconque à present veut toucher
Un cœur de glace ou de rocher,
Voicy la methode infaillible.
***
Il faut estre garni d’écus,
Faire maints dons ; pour un Crœsus
Il n’est point de Belle insensible.

MADRIGAL.

C’est fait de Cupidon, c’est fait de son Empire,
On se moque à present de ses Pareatis ;
En vain un tendre Amant pleure, gemit, soupire,
Il n’est plus de Beauté qui veüille aimer gratis.

[Portrait de Clorinde traduit du Tasse] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 64-66.

Vous avez oüy parler du Portrait de Clorinde, fait par le Tasse. Je vous en envoye une traduction. Elle est d’un jeune Avocat de Retel.

Clorinde dés son enfance eut du mépris pour tous les ouvrages qui conviennent le plus aux personnes de son Sexe ; elle crut que se servir de l’aiguille ou du fuseau, estoit une occupation indigne de ses superbes mains. Elle n’aimoit ny les habits, ny le séjour des Villes ; elle arma son visage d’une noble fierté, & se fit un plaisir de luy donner je ne sçay quel air sauvage, qui ne laissoit pas d’avoir des charmes. Dans un âge encore tendre, ses mains délicates furent occupées, ou à dompter des chevaux, ou à manier des armes. Elle s’exerça à la lutte, pour endurcir son corps, & le rendre propre à la course. On la vit ensuite poursuivre les Lions & les Ours dans les bois & sur les montagnes, cherchant par tout à signaler son adresse ou sa valeur, dans les combats paroissant Lion aux hommes, & dans les forests paroissant homme aux Lions.

Justification sur la jalousie d’un Mary, pendant que sa Femme estoit aux Eaux de Maine. Stances de l’Amant §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 73-80.

Les Vers que vous allez lire sont de Mr de Templery, Gentilhomme de la Ville d’Aix, dont vous avez souvent vû avec plaisir dans mes Lettres divers Ouvrages, tant en Vers qu’en Prose.

JUSTIFICATION
Sur la jalousie d’un Mary, pendant que sa Femme estoit aux Eaux de Maine.
Stances de l’Amant.

Fontaine qui coulez dans un vallon si beau,
 Lavez moy d’un injuste blâme,
 Vous estes témoin que ma flâme
 Est aussi pure que vostre eau.
 Vous sçavez bien, claire Fontaine,
 L’innocence de mon dessein :
Quand même je puisois de l’eau dans vostre sein,
Ay-je jamais touché celuy de Celimene ?
Cependant son Mary nous accusant à faux,
Forge cent visions, & se les persuade.
Ah, si vous guerissez tant de sortes de maux,
 Guerissez cet esprit malade.
***
Vous qui de nos Estez moderez les chaleurs,
 Zephirs, qui courez dans la plaine,
Vous me voyiez souvent auprés de Celimene ;
Mais, bien qu’elle parust sensible à mes douleurs,
Par les loix du devoir nous sçavions nous conduire ;
Et lorsque nous voyions que vous baisiez les fleurs,
Dites-moy, vostre exemple a-t-il pû nous séduire ?
Et vous, petits Oiseaux d’un ramage si doux,
 Musiciens de nos campagnes,
Qui par d’amoureux chants appelliez vos compagnes,
Avons-nous jamais eu ce dessein comme vous ?
***
 Recoin si propre aux amourettes,
 Petit bois sauvage & feüillu,
De vôtre obscurité me suis je prévalu ?
Vous ne vistes jamais des amours plus discretes,
À de tendres discours nous bornions nos desirs ;
Et lors que nous estions sous vos ombres secretes,
C’estoit pour la fraîcheur, non pour d’autres plaisirs.
 Ecartez donc les vains nuages
 De l’esprit d’un Mary jaloux ;
Et puis qu’en reposant sous vos épais feüillages,
 Nous ne cherchions que vos ombrages,
 Dissipez ceux qu’on a de nous.
***
 Beaux prez, immortelle verdure,
Où Celimene & moy nous trouvions tant d’appas,
Vos fleurs, de ses beautez la vivante peinture,
 Naissant en foule sous ses pas,
De se voir à ses pieds tiroient leur avantage,
 Mais elles ne paroissoient pas
 Devant celles de son visage.
Si le Ciel dans mes maux ne me prête la main,
Mes jours, comme vos fleurs, finiront dés demain.
***
Et vous, jeunes Peupliers, ornemens de nos plaines,
 Témoins de mes cruels ennuis,
 Si vous ne portez aucuns fruits,
Aussi je n’en ay point attendu de mes peines,
Le chifre de nos noms sur vous s’est conservé,
Mais par nos entretiens vous avez pû comprendre
Que quand nous le gravions sur vôtre écorce tendre,
L’honneur fut dans nostre ame encore mieux gravé.
***
Rochers, affreux rochers, qui jusque dans les nuës
 Elevez vos cimes cornuës,
 Vous le sçavez, défendez-nous,
Et puis que nos amours vous sont assez connuës,
Détrompez un Mary plus sauvage que vous.
 Faites, pour finir mon martire,
 Et pour établir mon repos,
 Repeter à vos doux écos
 Tout ce qu’ils nous ont oüy dire.
Ils sçavent que jamais aucune chasteté
 Ne fut si pure que la nostre,
Et qu’enfin nos vertus sont d’une fermeté
 Qui n’a d’égale que la vostre.
***
 C’est ainsi qu’un discret Amant
 Entretenoit sa fantaisie,
 Pour combattre une jalousie
 Qui n’avoit point de fondement.
 Il poussoit des cris lamentables
Qui touchoient les ruisseaux, les bois & les buissons,
 Mais, helas, pour de faux soupçons
 Il avoit des maux veritables.
Enfin de tant de coups il se sentit frapé,
Et souffrit sa douleur avec tant de constance,
 Qu’il meritoit pour récompense,
Que le Mary jaloux ne se fust point trompé
 Dans sa ridicule créance.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 91-96.

La galanterie que je vous envoye ne vous déplaira pas.

A MONSIEUR D. M.

MONSIEUR,

Il faut que le Plessis soit un agreable lieu, puisque sur le peu que vous m’en avez dit, je m’en divertis déja par avance, je m’y promene sans cesse, j’en considere toutes les beautez.

 J’y goûte une lumiere & plus vive & plus pure,
 J’en sens les plus fines odeurs ;
 Et ces innocentes douceurs
 Que l’on ne doit qu’à la nature,
Ont pour moy de si grands attraits,
Que quelque soin qui m’embarasse,
 Le chagrin leur cede la place,
Et ne laisse chez moy que plaisirs & que paix.
***

Voilà comme j’en parle quand je fais le Poëte ; & si la rime & le nombre ne m’arrestoient, je crois que je dirois les plus belles choses du monde là-dessus. Paris me devient insuportable, je n’ay plus que cette pensée dans l’esprit. Enfin je suis tellement prévenu de l’agrément de cette demeure, que j’employe tout ce que ma Poësie & ma Peinture me peuvent fournir d’excellent pour m’en former une juste idée. Vous pouvez vous imaginer aprés cela dans quelle impatience je suis de goûter en effet des plaisirs dont l’attente est si douce : Tâchez donc de nous tenir au plûtost vostre promesse, & de ne plus differer un voyage que nous souhaitons avec tant de passion.

 Il me semble qu’à tous momens,
J’entens du milieu de ces plaines,
 Les doux Messagers du Printemps,
 Qui nous disent par leurs haleines,
 Venez, partez, il en est temps.
***
 Nous avons chassé ces mutins,
Ces vents impetueux de qui la violence
A tant fait de dommage à nos derniers matins,
L’Hyver est hors d’état d’exercer sa vangeance,
Et nous ne craignons plus ses funestes desseins.
***
 Venez, venez en liberté
Egarer vos chagrins au milieu de nos plaines ;
Venez les assoupir dedans l’oisiveté,
Ou les noyer dans nos fontaines.

Je ne sçaurois écrire deux mots de Prose sur un sujet si gay que celuy-là. Je croy pour moy que la Montagne du Plessis est un Parnasse, & que nous n’y parlerons qu’en Vers. Cependant sans faire tort à mon entousiasme, je vous diray dans la plus sincere Prose que je suis, Monsieur, vostre.… Alcidon.

[Vers envoyez par une Dame à son Amant] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 96-99.

Les Vers que vous allez lire ont esté envoyez par une Dame à son Amant.

Pour vous punir de vôtre absence,
 Je veux d’un fidelle pinceau
 Vous dépeindre dans ce Tableau
D’un repas enchanté l’agreable ordonnance,
Afin que de douleur vôtre esprit confondu,
 Regrette ce qu’il a perdu.
Au milieu d’un jardin fait par les mains de Flore,
Arrosé tous les jours par les pleurs de l’Aurore.
Dans un Salon superbe & brillant de clarté,
Où la Nymphe des lieux se retire en Esté,
Sous un ceintre enrichi de marbre & de peinture,
S’élevoit un buffet d’admirable structure.
Cent valets diligens portoient autant de plats,
Les mets estoient exquis, & les vins délicats.
Des plus charmentes fleurs, des beaux fruits de l’année,
Nôtre table fut couronnée.
La Musique & les Instrumens,
Animoient des beautez les tendres agrémens.
Des amis d’Apollon la docte compagnie,
Faisoit de leurs concerts entendre l’harmonie.
Et pour rendre les Dieux de nos plaisirs jaloux,
Infidelle Tircis, rien n’y manquoit que vous.

[Premiere pierre posée au Maître-Autel des Jacobins de Compiegne] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p.107-111.

 

Pendant que le Roy estoit à Compiegne, les Peres Jacobins qui ont un Convent en ce lieu là, prierent Sa Majesté de poser la premiere pierre à leur grand Autel qu’ils faisoient rebâtir. Ce Prince, qui selon sa pieuse coûtume, ne refuse jamais rien de ce qui peut contribuer à la gloire de Dieu leur accorda ce qu'ils demandoient, & nomma Monseigneur le Duc d'Anjou pour poser cette pierre en son nom. Messeigneurs les Ducs de Bourgogne, d'Anjou & de Berry s'estant rendus au Convent des Jacobins le jour marqué pour cette Ceremonie, ils furent receus à la porte par le Superieur avec ses assistants, & toute la Communauté. Mr l’Evêque de Soissons estoit à la teste de tout ce Corps, & presente l’Eau Benite à Messeigneurs les Princes. Ce Prelat dit ensuite la Messe, & dés qu'elle fût finie il donna la pierre à deux Religieux, qui l’ayant portée jusqu'au lieu destiné pour la placer, la presenterent à Monseigneur le Duc d'Anjou. Voicy l'inscription qui estoit dessus.

Cette premiere pierre au Nom de LOUIS LE GRAND, a esté posée par Monseigneur Philippe Duc d'Anjou, petit fils de ce grand Monarque. Ce 18 Septembre 1698. Les Armes du Roy estoient aussi sur cette pierre. Elle fut posée, selon la manière accoûtumée, en de pareilles ceremonies. On chanta ensuite le Te Deum ; & après la prière pour le Roy, Mr l’Evêque de Soissons donna la Benediction du saint Sacrement, & les Princes furent reconduits jusqu'à la porte de l'Eglise de la manière qu'ils avoient esté receus. Ce Convent a esté fondé par Saint Loüis, qui leur donna en les establissant à Compiegne, le lieu nommé le Château Saint Jean. C’est celuy qu’ils occupent encore aujourd’huy.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 150-184.

S’il est certain qu’on n’aime pas quand on veut, il ne l’est pas moins qu’on ne cesse point d’aimer quand la raison le conseille. Il y a un je ne sçay quoy qui l’emporte sur tous les raisonnemens que l’on peut faire, & auquel souvent il est inutile qu’on s’obstine à résister. Une jeune Demoiselle, plus belle que laide, mais non pas assez pour toucher sensiblement sans qu’on la connust, se trouva dés l’âge de quinze à seize ans, d’un esprit meur & solide, qui la mettant en estat de voir ses défauts dans ceux d’autruy, luy donna en même temps une grande attention sur les moyens de s’en corriger. Ce fut son unique étude. Il seroit à souhaiter qu’elle fust universelle, & que personne ne voulust s’en exempter. L’application qu’elle eut à veiller sur elle même, la rendit honneste, douce, insinuante, & ne luy laissa pour toute fierté, que celle qui fait estimer les personnes de son Sexe. Un Gentilhomme assez riche, & d’une naissance qui le pouvoit distinguer, ne la put voir quelque temps sans estre touché de son merite. Il eut pour elle beaucoup d’assiduité, & l’on n’en fut point surpris. Son humeur égale & complaisante, la vivacité de son esprit, & l’enjoüement qui accompagnoit les moindres choses qu’elle avoit à dire, la rendoient digne d’un pareil attachement ; mais s’il s’aquit son estime, il ne put gagner son cœur. Elle vouloit bien le recevoir pour Ami, & dés qu’il luy parloit comme Amant, elle luy marquoit une froideur qu’il ne luy estoit pas possible de vaincre. Ainsi ce fut inutilement qu’il s’expliqua, sa passion n’eut aucun succés, & la Mere de la Demoiselle, qui trouvoit l’affaire avantageuse, ne put l’engager à y consentir. Cependant le Gentilhomme se flatant qu’avec le temps il luy feroit perdre son indifference, continua toujours de la voir, & son amour paroissant fort violent, on blâmoit la Belle de son obstination à n’y pas répondre. Elle répondit que pour se résoudre au mariage elle estoit persuadée qu’il falloit que l’Etoile s’en mêlast, & qu’elle attendoit sans impatience ce que la sienne résoudroit de sa fortune. Cette réponse ayant esté rapportée devant un Cavalier tout plein de merite, il dit agreablement qu’il n’y avoit point d’autre Etoile que le cœur, & qu’apparemment l’Amant dont il estoit question voulant toucher celuy de la Belle, ne s’y prenoit pas comme il devoit. On luy repartit que c’estoit une avanture à tenter pour luy ; que la Demoiselle meritoit les soins du plus honneste homme, & qu’il acquerroit beaucoup de gloire s’il réussissoit à une conqueste, où un Gentilhomme, avec une forte passion, & beaucoup de bonnes qualitez, sembloit avoir échoüé. Le Cavalier se trouva touché de ce défi. Il se résolut à voir la Belle ; & s’assurant sur sa bonne mine & sur l’agrément qu’il sçavoit donner à la conversation, il mit en usage tout ce qu’il crut propre à le faire aimer. La Demoiselle le regarda attentivement. Rien ne luy déplut dans sa personne. C’estoit un air libre, & un dehors prévenant qui le faisoit écouter avec plaisir. Aussi ne fut elle pas fâchée de le connoistre. Toutes ses visites furent agreablement receuës, & il y avoit des instans où elle croyoit sentir pour luy ce qu’il luy sembloit qu’elle n’avoit jamais senty pour personne ; mais malgré de si douces dispositions, son panchant, qu’elle ne démesloit pas bien, ne put prévaloir sur sa raison, & si son cœur commençoit à luy estre favorable, elle s’en rendoit si bien maistresse que rien ne luy échapoit qui pust le faire connoistre. Elle auroit peut-estre esté ravie de s’en voir aimée, mais quelques fortes asseurances qu’il pust luy donner de mettre tout son bonheur à luy plaire, comme elle avoit beaucoup de discernement, elle y remarquoit toujours plus d’esprit que de passion, & quoy que ce qu’il luy disoit n’eust rien de contraint ny d’étudié, se yeux ne parloient pas si bien que sa bouche, & il y avoit un arrangement dans ses douceurs, qui empeschoit qu’elle ne les prist pour des veritez. Cependant plus il la voyoit, plus il découvroit en elle un fond de merite, qui luy avoit esté d’abord inconnu, & qui se dévelopant de jour en jour, luy fit admirer une grandeur d’ame dont il fut charmé. Rien n’estoit si noble que ses sentimens, & son esprit n’avoit pas moins de solidité, qu’on y remarquoit de délicatesse. Tout cela fit son effet. Le Cavalier qui avoit entrepris de se faire aimer sans aucun autre dessein, aima veritablement, & commençant à n’exprimer plus que ce qu’il sentoit, il le fit d’une maniere qui ne manqua pas de persuader. Ce n’estoient plus des discours suivis. Il disoit cent fois la mesme chose, & il la disoit toûjours avec plus de force. La Belle, pour l’enflamer davantage, luy cacha longtems qu’elle fust convaincuë de son amour, & son incredulité, quoy qu’affectée, fut un aiguillon pour le porter au dernier excés. Enfin, ses empressemens qu’il redoubloit à toute heure, adoucirent la fierté qui l’empeschoit de se rendre. Elle fut contrainte de luy avoüer qu’elle croyoit estre aimée, & elle ne put luy faire un aveu si doux pour luy, sans luy faire voir en mesme temps qu’il estoit aimé. Quels transports ne fit-il pas éclater quand il se vit seur de son bonheur ? Il ne fut plus question que de terminer le mariage, & on ne le pouvoit conclurre assez-tost pour satisfaire son impatience, Ainsi ce luy fut quelque chose de cruel, que la necessité qu’on luy imposa d’attendre l’arrivée d’un Oncle de la Demoiselle, dont elle heritoit en partie, & qui ne pouvoit se rendre à Paris de plud’un mois. Le chagrin que luy donna ce retardement fut soulagé par le plaisir qu’il eut de se voir aimé d’un amant sincere. En effet la belle qui s’abandonna au je ne sçay quoy qui l’avoit vivement frapée à la premiere veuë du Cavalier, le trouvant digne de sa plus forte tendresse, ne mit plus de bornes aux sentimens que son penchant l’obligeoit de prendre. C’étoit sa premiere passion, & elle fut vive & tres-veritable. Le Gentilhomme qui s’estoit attaché à elle depuis si long-temps, ne put voir sans une extrême douleur qu’un autre eust vaincu son indifference, aprés tant de soins qu’il avoit perdus pour s’en faire aimer. Il luy en fit des plaintes touchantes, & elle rejetta ce qui arrivoit sur l’ordre immuable de la Destinée. Cependant le Cavalier, par une fatalité qu’on ne sçauroit concevoir, tout convaincu qu’il estoit du parfait merite de la Belle, s’oublia assez pour se laisser ébloüir à la beauté. Une jolie Brune que le hazard luy fit voir dans un quartier des plus éloignez du sien, parut à ses yeux toute brillante. Il n’y avoit rien de si engageant que l’exterieur de sa personne. Tout y estoit plein de graces, & il estoit mal aisé de se sauver de ses charmes quand elle vouloit se servir de leur pouvoir. Il luy conta des douceurs. Elle prit plaisir à les écouter, fort persuadée qu’elle en estoit digne. Rien ne fut plus vif que ce début, & dés ce premier moment ils se pleurent l’un à l’autre. Cela ne fut pas sans suite. Il alla chez elle peu de jours aprés. On fut ravi de le voir, point de borne à ses visites. Il découvroit tous les jours quelque nouveau charme dans la jolie Brune, & à force de luy dire qu’elle estoit aimable, il la trouva telle, & son cœur demeura pris. Comme elle ignoroit qu’elle avoit une Rivale avec qui l’honneur ne permettoit pas au Cavalier de chercher à rompre, elle luy fit certaines avances qui le convainquirent que s’il en vouloit faire la recherche, on l’écouteroit favorablement. Elle estoit fort riche, & s’il n’eust pas eu d’engagement, le party n’estoit pas à dédaigner. Il suivit aveuglément les mouvemens de son fol amour. Il parla, il dit plus qu’il ne devoit, & la réponse qu’il eut luy faisant une espece de necessité d’aller plus loin, il poussa la chose jusqu’à ne pouvoir plus reculer sans honte. Grand embarras qui le jetta dans un trouble qu’il ne put cacher aux yeux de sa premiere Maistresse. Elle voulut en sçavoir la cause, & il la rejetta sur ce que son Oncle differoit trop à venir. Son chagrin ayant paru obligeant, on luy en sçeut gré, & la Belle luy en tint un compte qui l’auroit charmé s’il n’avoit eu qu’elle dans le cœur, mais enfin son desordre se calma. Il parut plus amoureux que jamais, & l’Oncle estant arrivé, on signa la contrat de mariage. Il n’y avoit plus que deux ou trois jours jusqu’à celuy qu’on avoit choisi pour les marier, quand un incident fort impréveu renversa tous leurs projets. La Belle accompagnée d’une Parente, estant sortie de la Ville pour aller à un Convent d’un Fauxbourg où elle avoit quelque Amie a voir, quatre hommes à demi masquez se montrerent dans le temps qu’elle sortoit de Carosse, & l’ayant mise avec haste dans une Chaise de poste, malgré les efforts & les cris de sa Parente, ils avancerent si viste, qu’en fort peu de temps elle les perdit de veuë. Cette nouvelle qu’elle répandit à son retour, mit la Famille dans une grande consternation. Le Cavalier en fit paroistre toute la douleur imaginable, & avec deux ou trois de ses Amis, sans perdre de temps, il courut aprés les ravisseurs, mais leur diligence ne servit de rien, & on n’en eut aucunes nouvelles. Le Gentilhomme qui avoit aimé la Belle s’estant absenté depuis quelques jours, on ne douta point qu’il ne fust l’auteur de l’enlevement. On fit des poursuites contre luy, & il ne les eut pas plûtost apprises, qu’il se presenta, voulant se justifier. Son amour seul luy attiroit les soupçons qu’on avoit formez. On a peine à ceder à son Rival un bien qu’on croit avoir merité, mais cette présomption n’estoit pas une évidence, & il repoussa l’acusation avec tant de force, qu’aucun des Parens ne voulut soutenir. Cependant la Belle étoit enlevée, & on ne sçavoit que penser de ce malheur. On fit les plus exactes recherches, & quelques soins que l’on prist d’envoyer de tous costez, il fut impossible de découvrir ce qu’elle estoit devenuë. L’occasion estant favorable au Cavalier, aprés qu’il eut fait de son costé tout ce qu’on pouvoit attendre d’un Amant fort inquiet, il demanda aux Parens qu’on luy rendist sa parole, & que le Contrat qu’il avoit signé demeurast nul. Ce qu’il demandoit estoit trop juste pour le pouvoir refuser. La Belle avoit disparu. Aucun d’eux ne pouvoit dire entre les mains de qui elle estoit, & quelque assurance que l’on eust de sa vertu, un enlevement estoit toujours une tache auprés des gens délicats. Il ne se vit pas plûtost dégagé, que se déclarant plus ouvertement à la jolie Brune, il ne songea plus qu’à contenter son amour. Le mariage se fit, & les avantages qu’il y trouva du costé de la fortune, donnerent sujet à tous ses Amis de se réjoüir du changement ; mais il n’en fut pas ainsi de luy. S’il eut une Femme belle & riche, & qui luy avoit paru aimable, il reconnut en fort peu de temps, que le dedans ne répondoit pas à ce bel exterieur dont il s’estoit laissé ébloüir. Elle estoit bizarre, imperieuse, aimoit à se distinguer par la dépense, & ne connoissoit pour toute raison que son caprice. Point de complaisance, point d’honnesteté. Elle vouloit ce qu’elle vouloit avec un attachement qui la rendoit intraitable. Le Cavalier eut beau vouloir ramener son esprit par la douceur ; il l’aigrit en la flatant, & la même bizarrerie qui l’avoit portée à l’aimer d’abord, changea tout d’un coup ce mouvement en aversion. Elle le tenoit indigne d’elle, luy faisoit mille reproches, & ne s’appliquoit qu’à luy donner du chagrin. Fiere d’un vif éclat de beauté qui luy attiroit de l’encens par tout, elle ne pouvoit le regarder sans dédain ; & s’opposant à toute heure à tout ce qu’il souhaitoit, elle le rendit le plus malheureux de tous les maris. Ce fut alors qu’il se repentit veritablement d’avoir esté infidelle, & son repentir fut encore beaucoup plus grand, quand trois mois a prés son mariage, la Belle que son cœur avoit trahie, parut tout d’un coup, ayant esté ramenée par les mesmes gens masquez, qui la laisserent la nuit à dix pas de sa maison. Vous jugez bien qu’on s’empressa à luy demander d’où elle venoit, & où on l’avoit menée depuis plus de quatre mois qu’elle estoit perduë. Sa réponse fut qu’on l’avoit traitée avec des honnestetez inconcevables, mais sans qu’elle eust pu apprendre ny où ny avec qui elle estoit ; qu’aprés avoir d’abord marché plusieurs heures on estoit entré dans une Forest que l’on avoit traversée toute la nuit ; qu’au point du jour elle s’estoit trouvée dans une maison où une Dame âgée & civile estoit venuë l’asseurer qu’elle y seroit la maistresse, sans qu’elle deust craindre qu’il luy arrivast rien de fâcheux ; que cette Dame qui venoit souvent manger avec elle, estoit la seule personne qu’elle eust veuë depuis son enlevement, avec une femme de chambre qui demeuroit toujours auprés d’elle pour la servir ; qu’elle avoit tâché inutilement de la corrompre pour sçavoir par quelle raison on l’avoit amenée en ce lieu là, & à quel dessein on l’y retenoit ; qu’on luy avoit dit seulement que si elle vouloit se marier, on se faisoit fort de luy trouver un parti avantageux, mais qu’on ne luy avoit jamais nommé personne, & qu’enfin sans luy donner aucun autre éclaircissement sur son avanture, on avoit trouvé à propos de la ramener. L’incident paroissoit si peu commun qu’il n’estoit pas vray semblable. Il est inutile de vous dire combien cette aimable personne fut touchée quand elle apprit que le Cavalier estoit marié. Elle versa quelques larmes, & se contenta de dire, je n’avois jamais aimé que luy ; une Fille enlevée l’a effrayé, il a eu raison. Lors qu’elle sçeut tout ce qu’il souffroit dans son mariage, elle le plaignit, & se fit mesme un plaisir de le voir pour le consoler. Le Cavalier s’avoüa coupable, & luy demanda pardon de l’engagement qu’il avoit pris contre ce qu’il luy devoit, luy souhaitant autant de bonheur qu’il voyoit pour luy de malheurs à essuyer. Son premier Amant reprit son premier amour, & les parens de la Belle qui comptoient pour quelque chose l’éclat qu’avoit fait son enlevement, estoient d’avis qu’elle l’écoutast ; mais elle s’en deffendit, & protesta que s’estant trouvée si mal d’aimer, on n’auroit jamais à luy reprocher un second attachement, outre qu’elle estoit persuadée que personne n’estant si digne de sa tendresse que le Cavalier, elle ne pourroit estre satisfaite d’aucun autre choix. Un sentiment si obligeant pour le Cavalier ne put luy estre connu, sans qu’un nouveau repentir luy fist sentir de nouveaux chagrins. Sa mauvaise Etoile poussa son malheur encore plus loin. Sa Femme fut attaquée de la petite vérole, & les differens remedes qu’elle employa pour conserver sa beauté, la détruisirent. Elle devint d’une laideur incroyable, & le dépit qu’elle en eut l’ayant renduë déplaisante à elle-même, ce fut un redoublement de mauvaise humeur qui ne se peut concevoir. Les égaremens de sa raison alloient jusqu’à la fureur, & le Cavalier n’avoit aucun moment agreable que lors qu’il alloit conter ses déplaisirs à la Belle, qui pour le repos de l’un & de l’autre ne le vouloit voir que tres-rarement. Deux ans se passerent dans un si cruel martire, & il n’en auroit trouvé la fin qu’en mourant, si sa Femme, désesperée de n’estre plus belle, ne se fust attiré par ses chagrins une fiévre violente qui le délivra de ses persecutions. Ce fut ensuite à la Belle à disposer de sa destinée. Elle l’aimoit trop pour refuser de le rendre heureux, quand le temps que la bienséance demandoit fut expiré. Combien l’estat violent où il s’estoit veu dans son premier mariage, luy fit-il trouver de douceurs dans le second ! La Belle ne s’attachoit qu’à luy plaire, & il ne cherchoit qu’à meriter par une forte tendresse les charmans égards qu’elle avoit pour luy. Il regardoit comme un crime le fol amour qui l’avoit séduit, & il luy offroit souvent, si elle ne l’en croyoit pas assez puni par tout ce que luy avoit fait souffrir la plus bizarre de toutes les femmes, de consentir à toutes les peines qu’elle y voudroit ajoûter. La Belle ne répondoit qu’en luy donnant de nouvelles marques de tendresse, & aprés qu’il se fut ainsi asseuré de son amour, il luy demanda si elle voudroit bien donner un appartement pour quelques jours à une vieille Tante qu’il avoit, & qui venoit tout exprés de la campagne pour les feliciter sur leur mariage. Cette proposition fut receuë avec plaisir. Mais quelle fut la surprise de la Belle, lors qu’allant au devant de cette Tante pour la saluër, elle reconnut la mesme personne chez qui on l’avoit conduite aprés l’avoir enlevée. Ce fut alors que tout le mistere se trouva développé. Le Cavalier s’estoit laissé aveugler par son amour, & pour épouser la jolie Brune, il avoit fait enlever la Belle, qui eust mis obstacle à son dessein. Il se jetta tout de nouveau à ses pieds pour obtenir son pardon ; la Belle le releva en l’embrassant. Il avoit esté puni de sa perfidie, & on l’avoit traitée par ses ordres avec tant d’honnesteté lors qu’elle avoit sujet de se croire entre les mains de ses plus grands ennemis, que connoissant que l’amour est une passion impetueuse qui souvent ne laisse pas l’usage de la raison, elle oublia sans aucune peine tous les sujets qu’elle pouvoit avoir de luy reprocher l’injustice & la violence de son procedé.

[Feste galante] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 184-191.

La galanterie qui suit a esté faite par Mr de Jolibois, pour une tres-aimable Personne.

FESTE GALANTE.
À Mademoiselle le M.D.S.G.

Vous sçaurez, Mademoiselle, qu’Apollon voulant celebrer une Fête, en l’honneur de la Belle Iris, envoya le petit Hyacinthe avertir les Muses de se rendre en son Palais, pour s’acquitter d’un devoir si juste : mais il fut fort étonné lors qu’il les vit, contre son attente, pâles languissantes & negligées. Il leur, en demanda la cause, & leur ordonna de ne luy pas cacher le sujet de leur chagrin. Elles soupirerent, & se plaignirent de ce qu’ayant à divertir une Nymphe qu’elles honoroient infiniment, il n’avoit pas fait retarder la saison, & donné ordre à la Déesse Flore, que toutes choses fussent prêtes, afin qu’elles ne manquassent pas de fleurs les plus rares & les plus belles, pour luy offrir des bouquets à pleines mains, & luy faire des Couronnes de toutes manieres. Apollon s’en excusa, & leur fit connoistre que les fleurs des Jardins n’estoient que passageres ; mais que celles de l’esprit estoient immortelles, & qu’on les estimoit beaucoup davantage que celles qu’on voyoit dans le Printemps ; qu’elles n’avoient chacune qu’à choisir pour Symbole de leur amitié envers cette aimable Nymphe, les fleurs qui leur plairoient le plus, & que la charmante Iris qui avoit beaucoup d’esprit & de délicatesse, admireroit la subtilité de leur gênie, & loüeroit l’empressement de leurs soins.

Calliope balança quelque temps sur cet avis ; mais à la fin elle se rendit à la persuasion de ses Compagnes, & choisit la fleur d’Orange pour asseurer la Nymphe de son amitié.

Clio à son exemple prit la Tubereuse, pour luy marquer son respect.

Euterpe fit choix de la Rose, pour luy témoigner par son vermeil, l’ardeur qu’elle auroit à luy obeïr toute sa vie.

Erato, le Narcisse, afin de luy donner des marques du plaisir qu’elle prendroit à décrire ses amours.

Melpomene choisit le Lys, pour un gage de sa fidelité.

Polymnie le Jasmin, pour un témoignage de son application à chanter ses loüanges.

Thalie l’œillet, pour la persuader du soin qu’elle auroit qu’il y eust toûjours des fleurs, afin de luy en presenter.

Terpsicore l’Anemone, pour luy marquer les festes qu’elle institueroit, & les concerts qu’elle donneroit au public en son honneur.

Uranie prit toutes les autres fleurs qu’on n’avoit point nommées, pour luy donner des asseurances de l’étude particuliere qu’elle alloit faire de l’Astrologie, afin d’y considerer sa bonne fortune, dont elle l’envoyeroit tous les jours avertir par Cupidon, en luy souhaitant une parfaite santé au nom de ses Compagnes.

Toutes les Muses parurent fort contentes de leur choix, & se mirent à chanter plusieurs Airs qu’Apollon avoit composez sur ce sujet, & à danser au son de sa Lyre, dont il joüe, comme vous sçavez, divinement. Ensuite elles se retirerent avec protestation d’observer à jamais les vœux qu’elles venoient de faire, afin de procurer à l’aimable Iris toutes les douceurs qui se rencontrent dans un heureux Hymenée. C’est, Mademoiselle, ce que je vous certifie estre vray, m’estant trouvé à cette Feste, où j’ay esté introduit par Mercure, Dieu de l’Eloquence, afin que je pusse vous en faire un recit fidelle.

[Tout ce qui s’est passé à l’Academie Françoise le jour de la reception de Mr l’Abbé Genest] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 191-214.

Je viens à ce qui regarde Mr l’Abbé Genest, Aumônier ordinaire de Madame la Duchesse de Chartres, qui ayant esté éleu par Mrs de l’Academie Françoise à la place de feu Mr Boyer, y vint prendre séance le Samedy 27. du mois passé. Quoy que les Discours qu’on fait dans ces sortes d’occasions doivent rouler sur divers Eloges, tous ces Eloges furent si-bien liez dans le sien, qu’ils parurent ne faire qu’un corps. Le début en fut charmant. Toutes les fois, dit-il, que j’ay consideré attentivement l’institution de cette illustre Compagnie, ses loix, ses exercices, je me suis representé ce que les Poëtes & les anciens Philosophes ont dit de ces Isles fortunées où estoient receuës les ames innocentes & genereuses. C’estoit une Assemblée de bienheureux Esprits, qui n’avoient rien conservé de ce qu’ils possedoient parmi les hommes, que leurs nobles inclinations. Grandeurs, dignitez, richesses, tout ce qui ébloüit le vulgaire ne les avoit point suivis. Une aimable égalité regnoit entr’eux. Ils conversoient tranquilement à l’ombre des Palmes & des Lauriers. Socrate y estoit à costé d’Achille, Alexandre auprés de Menippe, Ulisse avec Homere. Veritable idée de ce que nous voyons sous ces lambris aussi paisibles qu’Augustes, les grands noms, les grands titres n’y reglent point les rangs ny les successions. Les Prelats, les Ministres, les Magistrats, les Guerriers n’y ont jamais prétendu de préséance sur les Orateurs, les Poëtes & les Historiens. L’égalité y maintient l’ordre & l’harmonie. L’autorité n’y parle qu’avec la raison. La difference des conditions n’y est reconnuë que par les divers talens de l’esprit. L’excellence de l’esprit mesme, les tresors de la science qui inspirent quelquefois tant d’orgueil, n’y doivent estre admis qu’avec la politesse, l’éloquence, l’honnesteté & les graces. À ce discours, Messieurs, vous pouvez juger de tout ce qui se passe dans mon ame. Il suffit seul pour vous expliquer mon ravissement & ma reconnoissance. Je sens bien au moment où je parle, que la pudeur s’éleve sur mon visage avec la joye ; mais enfin s’il y a eu beaucoup de présomption à moy, de vous demander la place glorieuse que vous m’accordez aujourd’huy, vous voyez aussi, Messieurs, combien il m’estoit difficile de ne la pas desirer.

Mr l’Abbé Genest entra ensuite dans l’Eloge de l’Illustre Academicien dont il occupoit la place. Il y joignit celuy de l’Academie, & aprés avoir parlé fort éloquemment de ses deux premiers Protecteurs. Le cours de vos belles destinées, continua-t'il, n’en devoit pas demeurer là. À mesure que l’Academie acqueroit de nouvelles forces, & que les fruits de tant de nobles veilles s’avançoient vers la perfection, de nouveaux emplois luy estoient reservez, une plus haute protection lui estoit deuë. Vous vous estes élevez par degrez auprés du trône. Vous estiez appellez dans le Palais d’un Roy pour qui seul vous estes formez, & qui trouve en vous les plus excellens Ouvriers des Couronnes immortelles qu’il merite, comme vous trouvez en luy, l’objet le plus parfait qui pût jamais animer vostre zele à vos travaux. Il estoit bien juste aussi que tant d’hommes choisis dans toutes les conditions, eussent à leur teste celuy qui commande à toutes les conditions, qui en sçait tous les devoirs, & qui en a toutes les vertus ; & pour vous parler encore plus précisément, Messieurs, de ce qui vous regarde comme Academicien ; jusques icy quelque chose manquoit à l’accomplissement de l’Academie. Aprés tous les differens caracteres de vos éloquens Auteurs, vous aviez le soin d’avoir encore parmy vous le modele d’un nouveau genre d’éloquence. Définissez hardiment quel est le langage des Rois, le langage de la Souveraineté & de l’Empire. Vôtre Protecteur l’apprend à tout le monde, à vous mêmes, à sa Cour, à tous ses Sujets, à tous les Etrangers ; jamais on ne parla mieux en Roy. Vous qui avez recherché dans toutes les Langues ce qui pouvoit encore embellir la nôtre & enrichir vos écrits, reconnoissez-vous dans les Histoires de tous les temps, dans celles même qu’on soupçonne le plus de n’estre qu’imaginaires, des exemples de grandeur & de vertu pareils à ceux dont vous estes les témoins, & dont vous devez instruire la posterité ! Avoit-on jamais veu dans aucun Regne une si durable égalité de gloire & de bonheur, & une si admirable varieté de grands projets & de merveilleux évenemens ? Combien de fois la Victoire a-t-elle volé sur les pas de ce grand Roy, ou par son commandement, au gré de son courage & de sa justice ! Combien de fois la Paix est-elle descenduë des Cieux, rappellée par sa clemence & par sa moderation ? Mais quelles couleurs employerez-vous, quels traits assez forts, quelles comparaisons d’orages, de tempestes, de guerre des Dieux & des Geans, pour décrire l’effroyable guerre qu’il vient de terminer seul contre la multitude des Nations conjurées & des Peuples furieux qui fondoient de tous costez sur la France, comme des Torrens, comme des Montagnes de flots pour l’engloutir ? Non seulement ce Heros par son intrepide fermeté nous a fait ignorer les perils ; non seulement par sa vigilance infatigable & par son invincible valeur nous a sauvez, mais nous a tellement accoustumez à vaincre, que nous ne songions plus même à desirer le calme & la paix. Roy sage & magnanime ; fidelles & genereux Sujets ! Ils sont prests à donner tout le reste de leurs biens & de leur sang pour continuer ses Victoires & ses Triomphes. Il renonce aux Triomphes & aux Victoires pour ne songer qu’au repos & à la felicité de ses Sujets. Que nos Ennemis eux mêmes regardent ces florissantes Armées, cet ordre, cette Discipline, toute cette pompe formidable qui sert de spectacle & de leçon à nos jeunes Heros d’exercice, pour tromper une envie impatiente de veritables combats. Dans ces representations de Sieges & de Batailles, dans ces attaques feintes, au milieu de ces éclairs qui ne sont plus accompagnez de la foudre, qu’on voye si la foudre n’est pas encore en estat de tomber ; qu’on voye ce que feroient encore nos braves Soldats sous un Roy toujours vainqueur, & s’ils se sentent de la guerre passée que par la noble ardeur de la recommencer. Oüy, que nos Ennemis, si nous en avons encore, viennent donc voir s’ils ne doivent pas la paix aux seules bontez que nôtre Prince a pour nous, & s’il n’a pas voulu faire le bonheur de toute la terre en faisant celuy de ses Peuples.

Mr l’Abbé Genest avant cessé de parler, Mr l’Abbé Boileau, si connu par ses doctes Prédications, & Directeur alors de l’Academie, répondit à son discours sur ses mêmes pensées ; & ce que l’on admira, c’est qu’il les tourna de telle sorte qu’elles parurent nouvelles. Il fit un brillant portrait de l’Eloquence, qu’il montra n’estre jamais la vraye éloquence, quand elle se fait plûtost remarquer qu’elle ne se fait sentir. Comme la gloire du Roy est en, toutes choses ce qui vous touche le plus, je ne vous rapporteray que ce qu’il dit de ce grand Monarque pour répondre à ce que le nouvel Academicien avoit avancé, que l’Academie pouvoit définir quel estoit le langage des Rois, puisque son auguste Protecteur l’apprenoit à tout le monde, & que jamais aucun Souverain n’avoit mieux parlé en Roy. Eh qui dans l’Europe, dit Mr l’Abbé Boileau, peut disputer au Roy la gloire de bien parler ? Toutefois, Monsieur, parler en Roy n’est pas seulement répondre juste, s’exprimer avec grace, accorder avec plaisir, refuser avec bonté. Ce n’est pas seulement avoir des termes purs, un stile poli, en peu de paroles renfermer beaucoup de sens, ny précipité, ny équivoque, ny railleur, conserver en parlant une aimable fierté, & une souveraine bienseance. C’est quelque chose de plus. Parler en Roy, c’est parler souvent comme si on ne l’estoit pas, quitter le langage d’un Monarque pour prendre celuy d’un Pere. C’est parler en Juge pour la Justice contre ses interests, en vainqueur pour la misericorde contre les injures, en Chrétien pour le devoir contre les passions. Disons tout. Parler en Roy, c’est prononcer en faveur de ses Peuples contre ses Triomphes, annoncer la Paix par la bouche de la Victoire, décider en faveur de l’Univers, dust-il estre ingrat, & préferer à l’avantage d’estre la terreur du Monde, celuy d’en estre le Bienfaicteur. Voilà les loüanges que j’appelle dignes de luy, d’autant plus vrayes qu’elles percent les Alpes & les Pyrenées, qu’elles traversent le Rhin & l’Ocean, que nous pouvons les publier dans l’Assemblée generale des Nations. Loüanges que la joye dicte, que l’envie confesse, que la Religion approuve. Personne ne contestera non plus le second Eloge que vous avez donné au Roy, d’avoir l’esprit de toutes les conditions. N’en demeurons point là. Il en a aussi le cœur, & non seulement de toutes les conditions, mais de tous les Peuples de la terre. En quelque endroit du monde que nous allions, chez les Souverains, dans les Republiques, nous pouvons prononcer le Panegyrique de la Paix qu’il a donnée ; il sera écouté aussi favorablement que dans ce Palais. Que dis-je ? Ces Peuples qui doivent leur repos à sa clemence s’expliquent mieux que nous. Allons les entendre, il ne faut pas d’Interprete. Les acclamations & les réjoüissances sont par tout d’un même langage ; la flaterie n’y a point de part, l’éloquence n’a jamais fait consentir l’Univers malgré luy. Tel est l’éloge digne du premier des hommes, ce Panegirique universel que la nature fait dans les cœurs sans attendre le secours de l’Art. Avant la Paix, quand on racontoit ses prodiges, ils ne pouvoient les nier ; mais avoüons le vray, quand ils voyoient la Victoire, l’inexorable Victoire le suivre par tout où ils portoient leurs armes, & comme se multiplier pour luy sans retour & sans pitié pour eux ; quand toute l’Europe liguée ne peut compter pour succés qu’une Ville reprise dans le cours de neuf années de guerre, croyez vous de bonne foy que leur étonnement fist leur satisfaction ? Ils entendoient l’éloge du Roy comme on entend le tonnerre, avec chagrin, avec tremblement. Mais depuis que sa moderation les a surpris autant que sa puissance, toutes les oreilles sont ouvertes pour entendre ses loüanges, & toutes les bouches pour les repeter. Elles désesperent ceux qui les veulent imiter, embarassent ceux qui les veulent écrire, occupent les uns, charment les autres, réjoüissent tout le monde, & n’importunent plus que luy. Ce seroit trop peu d’estre agreables à toute la terre, si elles ne l’estoient pas au Ciel. Comment ne le seroient elles pas ? Quand il s’est agi de ses propres interests, on l’a trouvé facile & genereux. Quand il a esté question de ceux de la Religion, il n’a jamais rien relâché, toujours ferme, inflexible, intraitable. C’est que pour sa Religion, il ne peut luy estre infidelle, par ce qu’il met sa gloire dans le bonheur du monde, & le bonheur du monde dans la Religion. Bien éloigné de ces Conquerans qui pour vanger leurs injures, pardonnent celles de Dieu, reprennent sur luy ce que leur vertu leur fait perdre, & défrayent leur moderation aux dépens de leur foy, Loüis a fait grace à tous, excepté à l’Heresie, a mieux aimé que sa gloire payast pour sa Religion, a eu le bonheur de calmer l’Europe sans qu’il en coustast rien à l’Eglise, & de mettre la Terre en repos sans mettre le Ciel en couroux. Eloge dont le fond ne se peut trouver que dans son cœur. Pour étonner l’Univers, il a eu besoin de soldats ; pour le rendre heureux il n’a eu besoin que de luy mesme. Sentiment qui n’a esté ny suggeré ny forcé. Honneur que rien ne partage avec luy. Ses Armées, ses Conquestes, son bonheur, s’opposoient à sa generosité. Ses Sujets, ses fidelles Sujets ne la demandoient pas, prests à tout sacrifier pour continuer ses Triomphes, la prosperité y forma obstacle. Il fit taire la victoire qui vint importuner ses projets, mais elle ne put changer ceux de sa bonté. Je vous atteste, vous, Dépositaires de ses heroïques intentions. Je n’iray pas loin. L’Academie luy en a fourni deux pour conclurre la Paix, comme elle luy en preste encore deux pour la loüer, car c’est bien la loüer que de l’écrire. Je vous atteste, vous, Peuples voisins. Accourez au spectacle qu’il vient de donner ; ce n’est point tant l’Image de la Guerre que le Triomphe de la Paix. Quelle magnificence pour instruire son Petit Fils ! Que seroit-ce s’il armoit son Fils ? Venez, non pour juger de la force de ses Armes, mais de la grandeur de son bienfait. Voyez ses Troupes fieres & victorieuses qui semblent luy ouvrir l’Univers. Loüis voit le calme qu’il y a mis, content de son ouvrage, cependant toujours Maistre de la foudre si sa bonté faisoit des ingrats, comme sa gloire a fait des ialoux. Qu’elle fasse non-seulement, l’entretien, mais les délices de tous les hommes ; non-seulement l’envie, mais l’étude de tous les Heros. Que nos arriere-neveux goustent long-temps la felicité de son Regne ; que Dieu peut exaucer nos desirs ait égard à ses propres interests ; que personne n’entende son Eloge sans y vouloir ajoûter, & que tout le monde le trouve toujours & trop court & trop foible.

Ces deux discours furent extrêmement applaudis aussi bien que la Traduction d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard, faite par Mr Perrault, ce qui finit la Séance.

[Rondeau noté]* §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 214-215.

Je ne vous dis rien sur le Rondeau noté que je vous envoye. Une personne qui a le goust aussi fin que vous, ne doit jamais estre prévenue.

 Ah, qu’un tendre cœur est à plaindre,Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ah qu’un tendre cœur est à plaindre, doit regarder la page [21]5.
 Quand il aime, sans estre aimé !
  Non, rien n’est plus à craindre,
Que les cruels soupçons dont il est alarmé.
 Ah, qu’un tendre cœur est à plaindre,
 Quand il aime, sans estre aimé !
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Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 247-248.

Voicy une seconde Chanson, notée par un homme qui entend parfaitement la Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Dans le bel âge il est doux de se rendre, doit regarder la page 247.
Dans le bel âge il est doux de se rendre.
Tranquilles cœurs, laissez vous enflammer.
Il faut aimer, on ne s'en peut défendre.
Il faut aimer, l'amour doit tout charmer.
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[Monseigneur le Dauphin est regalé à Petit Bourg par Mr le Marquis d’Antin] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 250.

 

[...] Ils arriverent à Petit Bourg entre trois & quatre heures aprés midy, & ensuite d'une longue promenade dans les jardins, la Compagnie monta au Chasteau, où aprés avoir pris le divertissement de la Musique elle se mit au jeu. [...]

[Tout ce qui s’est passé à Fontainebleau depuis le départ du Roy, avec la ceremonie de Mariage de Madame la Duchesse de Lorraine] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 252-264.

 

Le Roy partit de Versailles pour Fontainebleau le premier jour de ce mois, & le 8. le Roy & la Reine de la grand’Bretagne s’y rendirent. [...] Les jours d’Appartement, le Roy & la Reine d'Angleterre se rendant dans l’appartement de Sa Majesté à sept heures & demie du soir, & le Roy les vient recevoir à la même porte de son Antichambre, où la Musique commence aussi-tôt qu’ils sont placez. Elle n’est que de trois quarts d'heure, aprés quoy le Roy mene leurs Majestez dans son Cabinet où la Reine se met au jeu jusqu’au souper qu’on sert à dix heures. [...] Outre le divertissement de la Musique & du Jeu que l’on prend souvent dans les appartemens, il y a des jours destinez pour la Comedie à laquelle les deux Rois n’ont point esté, mais ils ont souvent pris le divertissement de la Chasse, auquel la Reine d’Angleterre & Madame la Duchesse de Bourgogne se sont souvent trouvées dans une Caleche ouverte. [...]

[Le 12 de ce mois eut lieu la cérémonie des fiançailles de Mademoiselle et de Léopold de Lorraine.] [La Cour] se trouva le soir à la Musique dans les appartemens, & le soupé fut servi le soir chez le Roy [...]. Ces repas estoient si magnifiques qu’il auroit esté difficile d’y rien ajoûter.

[Journal du Voyage de cette Princesse] §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 275-280.

 

Sur les deux heures [le 16 octobre] Madame la Duchesse de Lorraine partit dans les Carrosses du Roy. Les Gardes commandez par Mr de Bulcale Fils avoient l'Epée haute, son Carosse estoit entouré de dix Valets de pied de Sa Majesté, quatre & six petits. elle estoit aussi servie par six Pages du Roy. Le Carosse des Ecuyers precedoit celuy de S. A. R. dans lequel estoit Mr du Saussoy Ecuyer du Roy, Mr l'Abbé Testu-Mauroy, cy-devant Precepteur de Son Altesse Royale, le Pere Confesseur, Mr des Bordes, Ecuyer de la Princesse, & Mr de Maugrison premier Medecin. Dans le Carosse du Corps estoient Madame la Duchesse de Lorraine, Madame la Princesse de Lislebonne nommée par Sa Majesté pour l'accompagner, Madame de Maré, Madame de Convonge, Madame de Roquenause la mere, & Mademoiselle de Roquenause Fille d'honneur de Son Altesse Royale. Cette Princesse salua le peuple qui s'estoit assemblé en foule pour la voir partir, & qui luy donna mille benedictions. Elle alla coucher à Claye où les sieurs PivainVoir aussi cet article pour l'air noté de Mr Pivin. & du Breüil chanterent à son souper un Air dont voicy les paroles. Il est de la composition du Sr Pivain. Je vous l’envoyeray noté le mois prochain.

 

Allez, allez, belle Princesse,
Allez répondre à la tendresse,
D’un Prince fortuné qui devient vostre Epoux.
Cens Princes soupiroient pour vous,
Mais ils se sont flattez d’une esperance vaine.
Ah, quel bonheur pour la Lorraine !
Ah, qu’elle fera de jaloux.

 

Ces mesmes Musiciens chanterent le lendemain plusieurs Motets pendant la Messe de cette Princesse, à l’issuë de laquelle elle partit pour Meaux. La Maréchaussée & les Chevaliers de l’Arquebuse à cheval vinrent au devant d’elle environ deux lieuës en deça avec des Trompettes, des Hautbois & des Violons. Ils la conduisirent jusqu'à la Porte de la Ville, où elle fut receuë par le Presidial & par la Maire & les Eschevins qui la complimenterent, & luy firent les presens accoustumez. Elle traversa la Ville au milieu de toute la Bourgeoisie sous les Armes, pour aller à l'Evêché, où Mr l'Evêque de Meaux en Rochet & en Camail luy fit compliment à la teste de son Chapitre. Le mesme jour sur les deux heures, aprés avoir disné à l'Evêché, cette Princesse partir pour aller couvher à la Ferté-sous-Joüarre, & fut conduite par les mesmes Corps qui avoient esté au devant d'elle jusqu'à deux lieuës de Meaux, où la Noblesse de la Ferté Pendant qu’elle avançait vers la Lorraine, le Prince son Epoux venoit au-devant d’elle. Il arriva le 18. au matin à Bar, accompagné de toute sa Cour, & de ses Chevaux Legers, ainsi que de plusieurs Compagnies de Bourgeois à cheval qui avoient esté au-devant de ce Prince. Il estoit à cheval avec Mr le Prince Charles don Frere. Il mit pied à terre à la porte de la Ville. On luy presenta le Daix sous lequel il se mit avec Mr le Prince Charles, & se rendit au Chasteau entre deux hayes de Soldats sous les Armes, où l’on chanta aussi-tost le Te Deum. Tous les Religieux de la Ville avoient esté au-devant de luy avec la Croix & la Baniere, & l'avoient harangué.

Avis §

Mercure galant, octobre 1698 [tome 10], p. 287-288.

AVIS.

On avertit que le Sr Brunet pour satisfaire au Public, qui lui a demandé des Relations de ce qui s’est passé au Camp de Coudun, séparées du Mercure, en a fait imprimer quelques-unes, & qu’il ne les vend que huit sols.

Il commence aussi à debiter une nouvelle Edition des Poësies Pastorales, de Mr de Fontenelle, non-seulement beaucoup plus correcte que la premiere, mais augmentée de l’Opera d’Endimion, de quatre Epistres en Vers sur des sujets tirez de l’Histoire, à l’imitation des Heroïdes d’Ovide, qui a prit les siens de la Fable, & de quelques autres Poësies sur différentes matieres.