Mercure galant, janvier 1698 [tome 1].
Mercure galant, janvier 1698 [tome 1]. §
Au Roy §
La nouvelle année où nous entrons m’oblige, Madame, à faire de nouveaux souhaits pour vostre bonheur, & à redoubler mes soins pour vous faire part de toutes les choses qui pourront contribuer à vous rendre mes Lettres plus agréables ; & comme je sçay que rien ne vous fait tant de plaisir que ce qui peint assez noblement le caractere du Roy pour en donner quelque idée, je suis persuadé que le Sonnet que vous allez lire aura pour vous toute la beauté qui se peut trouver dans un Ouvrage de cette nature.
AU ROY,
Soutenir d’une main le poids du Diadême,De l’autre maintenir l’Empire de Themis,Rendre tous ses Sujets à l’Eglise soumis,Et rétablir des Loix l’autorité suprême.***Faire admirer par tout une douceur extrême,Aux bords de l’Orient se faire des Amis,Dissiper les efforts des plus fiers Ennemis,Regler ses passions, & se vaincre soy même.***Seul parmy tant de Rois pour l’appuy des Autels,Faire voir tous les jours des exploits immortels,Pratiquer les vertus & d’Enée & d’Achille,***Sont des faits qui jamais ne seront imitez,Et qui pour un Heros doivent estre chantezPar la voix d’un Homere, ou la voix d’un Virgile.
[Vers sur la Paix] §
Vous voudrez bien me permettre de placer icy deux Vers Latins, qui ont esté faits sur la Paix que Sa Majesté vient de procurer à toute l’Europe.
AD LUDOVICUM
MAGNUM
PACIS DATOREM.Arva ubi permultas lauros,Lodoïce, legebas,Per te oleis gaudent ; genuit Victoria Pacem.
AU ROY.
Ces champs où tu cueillois, grand Roy, tant de lauriers,Par toy sont aujourd’huy tout couverts d’oliviers,Et par toy la Paix a la gloireD’estre Fille de la Victoire.
[Publication de la Paix, & réjoüissances faites à Montpellier] §
Je ne vous apprendray rien que vous ne sçachiez, en vous disant qu'on a fait de grandes réjoüissances pour la publication de la Paix dans toute les Villes du Royaume. Elle fut publiée à Montpellier le 11. du mois passé, avec les ceremonies accompagnées. Les Etats que Mr le Cardinal de Bonsi y avoit invitez la veille, comme il en avoit esté prié par Mrs les Commissaires du Roy, se rendirent à la Cathedrale, où l'on chanta le Te Deum. Mr l'Evêque de Montpellier officia avec beaucoup de dignité, & tout s'y passa tres-solemnellement. Je n'entreray point dans le détail de la leste & propre Calvacade du Corps des Marchands, qui se distinguérent à faire éclater leur joye, ny dans tout ce qui marqua une veritable feste à l'égard des Habitans. Je vous diray seulement que Mrs les Prelats se trouverent tous à six heures du soir chez Son Eminence. Ils estoient vingt-un en la comptant. L'on n'en avoit pas encore vû un si grand nombre que cette derniere fois. Ils entendirent une excellente Musique, qui préceda le soupé, que l'on servit avec beaucoup de magnificence. La santé du Roy y fut buë avec le respect & le zele ordinaire, qui les anime pour la gloire & la prosperité de Sa Majesté. Ils se retirerent chez eux à dix heures. Tout estoit cependant en feux, illuminations & Bals par toute la Ville, avec des fontaines de vin aux Places. Il y avoit deux feux aux deux coins de la maison de Son Eminence, qui estoit illuminée à tous les étages jusqu'au toit, de quatre grands flambeaux de poing de cire blanche à chaque fenestre. Il y eut aussi deux tonneaux de vin, qui en répandirent abondamment à tout le peuple, depuis l'heure du Te Deum jusques à minuit. On tira plusieurs artifices, & rien ne manqua pour donner de l'éclat à cette Feste. Mr le Comte du Roure la celebra aussi avec beaucoup de grandeur. Il donna la Comedie aux Dames, & un grand soupé, qui fut suivi du Bal, le tout accompagné de feux, d'illuminations, & de fontaines de vin au Peuple.
[Autres faites à Perigueux sur le mesme sujet] §
La Ville de Perigueux, qui ne cede en rien par son antiquité, & par la bravoure de ses Habitans, aux autres Villes de la Guienne, s'est toujours fort distinguée dans les occasions où il s'est agi d'executer les ordres du Roy, sur tout quand ces ordres ont du rapport à la gloire de Sa Majesté. On n'avoit cependant jamais vû plus de magnificence & plus de marques d'une veritable joye, que les Officiers, & tous les Habitans de cette Ville, qui donne le nom à toute la Province du Perigord, en ont fait paroistre à l'occasion de la Paix. Le Te Deum y fut solemnellement chanté le 8 Decembre, dans l'Eglise Cathedrale de Saint Front.
[Lettre écrite à Me de Bouillon, sur ce qui s'est passé à Chasteau-Thierry] §
La Lettre qui suit vous apprendra ce qui s'est passé à Chasteau-Thierry. Vous trouverez à la fin le nom de celuy qui l'a écrite.
À MADAME
La Duchesse de Boüillon.
Vostre Altesse ne sera peut-estre pas fachée, Madame, d'apprendre les réjoüissances qui se sont faites, & qui se font encore tous les jours pour la Paix, dans la Ville de Chasteau-Thiérry. Il y a quinze jours qu'elles durent, & de la maniere qu'on s'y prend, je ne crois pas qu'elles finissent avant le Carême. En effet, Madame, il ne faut pas moins qu'un temps de penitence pour arrester des plaisirs si escitez. C'est un déchaînement universel ; les ruës sont toujours pleines de Tambours & de Violons, on ne voit que Mascarades, Danses & festins. Toutes sortes d'âges & de conditions s'y donnent, les jeunes & les vieux, les riches & les pauvres, tout le monde en veut tâter ; & tel qui n'avoit pas du pain dans son ménage, se trouve tous les jours dans les jeux & dans les plaisirs. Enfin chacun se veut réjoüir, quoy qu'il coute ; on ne voit plus de visages chagrins, & l'on court un homme de mauvaise humeur comme un perturbateur de la joye publique. Mais il faut, Madame, venir au détail de ces réjoüissances avec un peu d'ordre, si pourtant on en peut mettre dans une confusion de plaisirs telle que je prens la liberté de vous écrire.
Premierement la Paix fut annoncée par Mr de la Forterie, Maire de la Ville, à quil'adresse en avoit esté faite, & qui a l'honneur d'estre fort connu de Vostre Altesse. Il alla par tous les Carrefours avec les Echevins & le Corps de Ville, & fit publier par quatre Herauts que la guerre estoit finie. Il seroit inutile vous dire que cela se fit avec grande pompe, Vostre Altesse se l'imagine assez. Elle sçaura seulement qu'au retour de la Cavalcade il y eut Bal & une Colation magnifique, où les principaux Officiers furent invitez avec les Dames. [...]
Quelques jours aprés, il vint un ordre du Roy de rendre graces à Dieu par des Prieres publiques, de la Paix qu'il nous a donnée. Le Te Deum fut chanté en grande ceremonie. Tous les Corps y assisterent, & furent conduits à la principale Eglise par tous les Habitans sous les armes, à la teste desquels marchoient les Capitaines des Quartiers. On n'entendoit dans les ruës que de grands cris de Vive le Roy, & des acclamations perpetuelles pour la santé de nostre Prince. Aprés que les Prieres furent faites, on sortit de l'Eglise au même ordre que l'on y estoit allé, & on se rendit à l'Hôtel de Ville, où il y avoit encore un grand repas tout prest, auquel succeda un Feu d'artifice qui estoit dressé dans la grande Place prochaine, & qui fut allumé par Mr le Maire, & par les Officiers de Ville, au son des Trompettes, & des cris redoublez de Vive le Roy.
Vous sçavez, Madame, que cette place est située justement au dessous de vôtre Château, & qu'il y a une longue terrasse entre deux, qui regne le long de l'un & de l'autre. Ce fut de cette terrasse que mille fusées volantes répondirent à la Mousqueterie, qui fit un bruit terrible dans la Place pendant que le feu dura, & quand il fut fini, on rentra dans l'Hôtel de Ville, où les Dames avoient esté priées au bal, qui dura toute la nuit, & qui fut interrompu par une superbe colation.
C'est, Madame, encore une Epithete consacrée à cette espece de repas, & comme un bon Auteur ne doit pas repéter souvent les mesmes termes dans ce qu'il écrit , & que ce qu'il y a de plus beau dans une colation, est la diversité, tantost on la fait superbe, & tantost magnifique, selon le goust de l'Auteur qui la dresse.
Voila, Madame, quelle fut la rejoüissance publique, qui a esté suivie de mille divertissemens particuliers, qu'il n'est pas possible de décrire tous sans ennuyer Vostre Altesse, qui s'ennuye peut-estre déja assez au récit de ces bagatelles. Je ne rapporteray donc icy qu'une partie de ce qui s'y est passé, & Dieu veüille que Vostre Altesse ait la patience de le lire jusqu'au bout.
Je diray premierement en gros, que les Quartiers de la Ville se cantonnerent pour y faire une feste generale en chacun, après laquelle les Dixaines firent des Chapelets, & se traiterent tour à tour. Que Vostre Altesse s'imagine des feux devant toutes les portes, des danses par les ruës, des Tambours & des Violons partout, & des tables dressées dans les Places, avec de grands repas dans les maisons les plus considerables, où chacun estoit le bien venu ; & parce que je sçay mieux ce qui se fit dans mon Quartier, que ce qui s'executa dans les autres, je feray un petit détail à Vostre Altesse de ce qui s'y passa.
Encore que la Ville entiere vous appartienne, Madame, on ne laissa pas par distinction d'appeller nostre Quartier, le Quartier de Vostre Altesse, parce que nous y primes tous ses Livrées, & que tout ce qui fut employé à nostre divertissement, fut paré des chifres de son nom. Nous marchâmes dans les ruës en bon ordre. J'estois à cheval à la teste de la Compagnie. Je ne doute point, Madame, que cette particularité ne fasse rire Vostre Altesse, quand elle sçaura que je fais encore le jeune homme ; mais elle sçaura aussi que le Catonisme est icy un personnage fort dangereux, & que sans se mettre au hazard d'estre lapidé, il n'y a point d'homme assez hardy pour refuser das marques publiques de la joye qu'il a dans le cœur. J'estois donc à la teste de la Compagnie, honneur dont je ne pus ny ne voulus me dispenser. Au milieu de la troupe marcherent trois Chars, ornez des verdures de la saison, qui portoient trois jeunes Filles fort belles ; l'une qui representoit la France, l'autre l'Europe, & la troisiéme la Paix, & qui toutes trois avoient des marques indicatives de leurs personnages. Vingt-quatre Violons précedoient, non pas à la verité, Madame, de ces Violons distinguez par ce même nombre, qui sont si bien concertez, & que Vostre Altesse entend tous les jours ; mais des Violons ramassez, que nous avions fait chercher dans les Villes voisines, pour joindre avec ceux qui sont dans la nostre. Nous ne nous vantons pas que cela fist une Musique fort reguliere, mais ils faisoient au moins beaucoup de bruit, & le bruit d'ordinaire est l'ame de semblables festes. Il y avoit aussi des Trompettes & des Tambours qui le redoubloient, & cette simphonie avoit un air moitié martial, moitié Bourgeois, qui ne laissoit pas de plaire assez. Les hommes estoient sous les armes en habits des différentes Nations de l'Europe, & les Dames vestuës en Bergeres fort proprement. Nous rendîmes, Madame, en cet équipage nos premiers devoirs à Vostre Altesse. Nous montâmes au Chasteau, & aprés avoir dansé quelque temps autour de la fontaine qui est dans la grande Cour, nous salüâmes vostre appartement d'un nombre infini de mousquetades. On entendoit par tout des voeux pour la santé de Monseigneur vostre Epoux, & pour la vostre. On faisoit des souhaits pour celle de nas Princes, Messeigneurs vos Enfans, & l'on remarquoit dans toute cette action un zele & une affection si respectueuse pour toute vostre Maison illustre, que Vostre Altesse a sujet d'en estre satisfaite, si elle fait l'honneur aux plus fidelles de ses Vassaux, de les tenir en quelque consideration. Aprés cela nous descendîmes à la Ville, que nous traversâmes par tout. Nous nous arrestions à tous les Carrefours, où nos jeunes Demoiselles descendoient de leurs Chars. Celle qui representoit la France prenoit la main de celle qui figuroit la Paix, & la presentoit à l'Europe, qui le recevoit à bras ouverts, & avec demonstration d'allegresse ; & en même temps les hommes qui representoient les differentes Nations, s'embrassoient tous en signe de reconciliation, & beuvoient ensemble par bon accord. Aussitost les Tambours & les Trompettes cessoient, & on n'entendoit plus que des Hautbois, des Musettes & des Violons, au son desquels nos Bergeres dansoient en rond, & accordoient au ton de ces Instrumens, une Chansonnette dont voicy le refrein.
Dormez, Tambours & Trompettes,Dormez pour jamais.Vous, douces Musettes,Chantez pour la Paix.Nous parcourûmes toute la Ville ; & nous retournâmes enfin dans nostre Quartier. On avoit préparé la soupé chez moy, & y soupa qui voulut.
Le soupé fini, il y eut un Balet, dont le sujet estoit pareil à ce que nous avions representé dans les ruës. Les Nations y firent des entrées particulieres, & la Paix les ayant ensuite toutes assemblées, elles danserent le grand Balet. [...]
Mais entre tous ces divertissemens, il n'y a rien eu de si beau ny de si galant que ce que firent les Chevaliers de l'Arquebuse. [...] et parce qu'ils avoient dessein entre autres choses, de faire un feu qui fust pas du commun, il leur fallut un peu de temps pour cela, & ils ne purent le faire voir, que quelques jours aprés que celuy de la Ville eut esté tiré. [...]
Ces Messieurs me firent l'honneur de me prier d'allumer leur feu au nom de Son Altesse Monseigneur, & le jour qui fut choisi pour cela, ils allerent tous en bon ordre saluer le Chasteau, & ensuite se promenerent par la Ville, avec des Tambours & des Hautbois, qui battoient une marche qui leur est particuliere. On voyoit floter un Drapeau, sur lequel estoit écrite cette terrible Devise, Nul ne s'y frotte, que prenoit autrefois Robert de la Mark, Comte de Champagne, & Seigneur de Chasteau-Thierry. On la voit encore en vieux Gottique sur la porte de vostre Chasteau, d'où ce Seigneur défioit tout le monde, & faisoit trembler tous les voisins. [...] Le Bal qui suivit, dura jusqu'au jour. Ils ont continué jusques à present ; ils soupent & dansent tous les soirs chez leur Capitaine, ou chez quelque autre de leurs Officiers, & dans leur Compagnie, non plus que dans les autres Societez de la Ville, on ne voit pas encore que les divertissemens ayent diminué.
Tout cela, Madame, n?est qu?un petit échantillon de ce qui se passe icy ; mais il faudroit un trop gros livre pour en faire une Relation plus parfaite.
Prenez en gré, belle Princesse,Le peu que j'en aye rapporté.Le reste une autre fois vous sera raconté,Si ce peu là n'a point ennuyé Vostre Altesse.De la Haye.
Ce 15. Decembre 1697.
[Réjouissances faites à Lombez] §
On a fait aussi de grandes réjoüissances à Lombez, dans lesquelles Mr Vignole, Capitoul de la Ville, & Mr de Catignole, ancien Capitoul de Toulouse, se sont distinguez. Toute la Bourgeoisie demeura deux jours sous les armes, faisant de continuelles décharges de toute l'Artillerie, & le jour du Te Deum, Mr l'Evêque de Lombez tint table ouverte.
[Autres faites à Caudebec sur Seine] §
Voicy ce qui s'est passé à Caudebec sur Seine. Mr du Noyer, Maire, s'étant rendu le 9. du mois passé à l'Hôtel commun de Ville, ainsi que les Eschevins, Officiers de Ville, & de la Compagnie des Arquebuziers, ils en sortirent tous à cheval & en habit de Ceremonies sur les onze heures du matin ; le Maire à la tête de son Corps tenant la droite, precedez par la Compagnie des Arquebuziers, le Sergent de Ville, Tambours, Trompettes, Hautbois, Valets de Ville avec leurs Casaques de livrée, Clerc de Ville portant une masse d'argent ou bâton de Ceremonie, le Greffier & Huissier de la Ville, & de deux grands Valets marchant à pied à côté du Maire, chacun avec une pertuisane & portant aussi des Casaques de pareille livrée aux armes de la Ville. En cet ordre la marche commença d'une maniere fort majestueuse & bien reglée, & continua de mesme au bruit des Tambours, Trompettes & Hautbois ; & la Paix ayant esté publiée dans toutes les Places & Carrefours, & estant tous rentrez dans l'Hôtel de Ville, le Regent y prononça un discours tres-éloquent à la loüange du Roy, où quantité de personnes de consideration de la Ville, & mesme beaucoup de Noblesse de la Campagne se trouverent. Sur les trois heures aprés midy, les Officiers du Presidial, de la Vicomté & autres, Avocats & Procureurs, conduits par un détachement de Bourgeois sous les armes envoyé par le Maire, se rendirent à l'Eglise, precedez par leurs Huissiers & Sergens, & les Officiers des Forests par tous leurs Gardes ayant des Casaques uniformes & tres-riches, & peu après le Corps de la Ville s'y rendit pareillement dans le mesme ordre qu'il estoit sorty le matin precedé par trois cens Bourgeois sous les armes choisis par le Maire. Le Te Deum y fut chanté solemnellement, & le feu allumé dans la grande Place, & devant l'Hôtel de Ville par le Maire & deux Eschevins, aux acclamations d'un concours extraordinaire de toutes sortes de personnes, au bruit du Canon & de la Musqueterie des Bourgeois, des Tambours, Trompettes & Hautbois. Si l'on admira le bon ordre que le Maire avoit fait garder dans toute cette Ceremonie, on n'admira pas moins sa profusion dans le repas qu'il donna le soir à tous les Officiers de la ville & à leur Femmes. Il y eut cinq tables servies, l'une de vingt-quatre couverts, & les quatre autres de douze. Le dehors de sa Maison & le dedans estoient remplis d'illuminations, & de machines tres bien entenduës. Deux fontaines de vin coulerent de ses fenêtres le reste du jour & toute la nuit, & aprés le repas il donna luy mesme à tous les conviez, hommes & femmes, une bouteille de vin & un verre, & les faisant marcher deux à deux & conduire sur le Port au son des Tambours, Trompettes & Hautbois, distribuant leur vin dans les ruës à tous ceux qui se presenterent, il leur donna le plaisir d'une quantité de fusées volantes, ce qui fut suivi d'un Bal qui dura presque jusqu'au jour.
[Autres faites à Reims par les Bourgeois du quartier du Marché au bled] §
Les Bourgeois du quartier du Marché au bled de Reims, ayant resolu de faire paroître en leur particulier combien ils estoient redevables à Sa Majesté du don de la Paix, en témoignerent leur joye par un feu d'artifice, dont eux-mesmes, quoy que tous Marchands, ils voulurent faire toute la menuiserie, peintures & generalement tout ce qui regardoit leur dessein. Le Lundi second de Decembre fut choisi pour l'executer. Ils commencerent par faire chanter une Messe solemnelle sur les dix heures du matin dans l'Eglise de Saint Pierre leur Paroisse, pour rendre graces à Dieu. Elle fut celebrée avec toutes les Ceremonies possibles par Mr l'Abbé Cloquet, Docteur en Theologie, Curé de cette Eglise, & Doyen des Curez du Diocese de Reims. Ensuite on chanta le Te Deum & les Prieres pour le Roy. L'orgue y fut touché par Mr Degregny le jeune, éleve du fameux Mr le Begue & Organiste de l'Eglise Metropolitaine, le plus habile de toute la Province. [...]
Sur les cinq heures du soir la Compagnie s'estant assemblée, ils allerent avec les Tambours, Violons & Hautbois, prendre le Commandant, & le conduisirent au feu, où un petit Amour luy presenta son flambeau. L'artifice fut allumé aux cris reïterez de Vive le Roy, & aux bruits & fanfares des Tambours, Violons, & Hautbois, & d'une triple décharge de la Mousqueterie, & il eut tout le succés que l'on en pouvoit attendre. Aprés cela ils allerent tous souper à une mesme table au nombre de plus de quatre-vingt hommes & femmes. Tout y fut servi sans confusion. On y but les santez de Sa Majesté, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Madame la Duchesse de Bourgogne, & de Messeigneurs les Ducs d'Anjou & de Berry, au bruit des Tambours, Violons & Hautbois, & aprés le soupé il y eut Bal.
[Autres faites au Chasteau de Marigny] §
La joye que l'on a euë de la Paix a esté si generale, que les plus grandes & les plus celebres Villes du Royaume n'ont pû leur servir de bornes. Elle s'est répanduë jusque dans les Chasteaux de la campagne ; & les réjoüissances s'y sont faites, non pas à la verité avec autant de magnificence que dans les Villes, mais du moins avec autant de zele pour la gloire de nostre Auguste Monarque. Mr Scaron, Marquis de Vaure, cy-devant Capitaine-Lieutenant de la Galere de la Reine Mere du Roy, Patrone Reale de France, fit chanter le Dimanche huitiéme Decembre dernier, le Te Deum dans l'Eglise de Marigny, au bruit des Tambours, & d'une salve de mousqueterie, [...]
[Mr le Comte de Fontaine-Berenger se distingue en cette occasion] §
Il ne s'est rien vû de plus singulier dans toutes ces réjoüissances, que ce qu'a fait Mr le Comte de Fontaine-Berenger, digne heritier du nom, du merite & du zele qu'ont toujours eu ses Ancestres pour le service du Roy. Il choisit le premier jour de l'année pour faire éclater sa joye publiquement, sur ce que la Paix avoit esté publiée, & le fit sçavoir quinze jours auparavant au bruit des Tambours & des Trompettes à tout son voisinage, qu'il invita par des affiches de se trouver à feste. Pour la commencer, il fit élever dans une plaine qu'on trouve vis-à-vis de son Chasteau, un Arc de Triomphe, embelli de plusieurs Inscriptions & Devises Latines & Françoises, sous lequel estoit un Trône avec le Portrait du Roy, & plus bas celuy de Monseigneur le Dauphin. Des deux costez estoient ceux des Princes & des Princesses, considerant les Portraits de Monseigneur le Duc & de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui estoient à costé l'un de l'autre, & immediatement sous celuy de Monseigneur. Aussi-tost que cet ouvrage fut achevé, Mr le Comte de Fontaine dit monter la garde par plusieurs de ses Vassaux, au bruit d'une décharge de plusieurs Coulevrines & petits Pierriers, qu'on avoit posez sur des éminences. Les cloches carrillonnerent, & le soir les appartemens & le haut des pavillons du Chasteau & des maisons, le bout de l'Eglise & les arbres voisins furent ornez de gros flambeaux, qui formerent une Illumination tres-éclatante. Comme la Paroisse de Fontaine est située sur la riviere de Dive, dans une plaine de douze à quatorze lieuës de longueur, & de quatre à cinq de largeur, qui par des point de veuë découvre de fort loin entre des costeaux, &, entre autres les Villes d'Exmes, d'Argentan, de Falaise, & divers Bourgs & Paroisses, tous ceux qui les habitent avoient le plaisir de cette illumination. Dés le point du jour du Mercredy, premier de ce mois, la mousqueterie fit trois décharges vis à vis de l'Arc de triomphe. La Messe fut celebrée avec beaucoup de solemnité, & ensuite le Curé du lieu ayant exhorté tous les assistans à unir leurs prieres pour le Roy, & pour toute la Famille Royale, entonna divers Motets, composez exprés, que chanterent plusieurs Musiciens & Ecclesiastiques. Au sortir de là, un fort grand nombre de Pauvres, à qui on distribua du pain, du cidre & de la viande, firent le tour de l'Arc de triomphe, en chantant l'Exaudiat, & d'autres prieres. Toutes les personnes distinguées allerent disner au Chasteau ; & comme une affluence extraordinaire de gens de toutes conditions & de tous âges y aborda de tous les côtez, & que la pluspart de ceux qui estoient capables de porter les armes, s'y trouverent en Cavaliers, Dragons & Fantassins, & divisez par Compagnies & Regimens, Mr de Bailleul-Vigue, Chef du nom & des armes de l'illustre Maison de Bailleul, issuë d'un Roy d'Ecosse, fut choisi, tant par sa distinction que par ses services, pour commander cette espece d'Armée [...]. Ce que l'on admira le plus, ce furent deux Compagnies, dont l'une estoit de plus de cent hommes, qui n'avoient pour armes que des lances, des arquebuses, & autres pareilles armes. Elle marchoit au bruit des Fifres, Flageolets & Trompettes, & avoit pour Capitaine Mr de Freuvat de Bonnet, l'un des Mrs de Bonnet-Neauphle, qui sont d'une des plus anciennes Noblesse de Normandie. L'autre Compagnie estoit composée de Dragons & d'Amazones, qui portoient la houlette, la fléche & le carquois, & marchoit au son des Flustes, des Vielles & des Musettes. Elle avoit Mr d'Enneville pour Capitaine. Toute cette leste Armée, aprés avoir fait une décharge vis à vis l'Arc de triomphe, se mit en bataille proche de l'Eglise ; & comme depuis tres-longtemps Mr le Comte de Fontaine-Berenger avoit resolu, à la priere de ses Paroissiens, de faire élever une Croix dans un certain lieu public, à la place d'une autre Croix, que Jean, Sire de Berenger, qui épousa l'Heritiere de ce même lieu de Fontaine, avoit fait planter en 1395. & que les Ligueurs avoient détruite dans la fin du dernier siecle, sa pieté ne luy permettant pas de differer davantage, puis qu'il ne pouvoit choisir un jour plus propre pour cete ceremonie, que celuy qu'il avoit pris pour rendre graces à Dieu de la Paix, il fit mettre cette Croix entre les mains de Mr Civiere, Curé de la Chapelle-Souquet, qui à la sortie de Vespres, la porta devant la Procession, au lieu où elle fut plantée avec les ceremonies accoutumées. La Procession s'estant retirée, les Troupes qui l'avoient suivie en défilant, saluerent cette Croix, & s'en retournerent par deux chemins differens dans la plaine, où les spectateurs furent divertis par un petit combat, qui se termina quand les cloches annoncerent qu'il falloit assister au Te Deum. Il fut chanté au bruit de plusieurs décharges de Coulevrines & de la mousqueterie, qui recommencerent lors qu'on alluma le feu avec des redoublemens d'acclamations & des cris de Vive le Roy. Comme on remit au lendemain à donner une épée, qui avoit esté destinée pour prix au meilleur Tireur, & que l'air estoit ectrémement doux, toutes les personnes qui estoient sous les armes prirent le parti de rester. Une partie entra dans le Chasteau, & le reste demeura campé dehors sous des baraques, qui furent construites par ceux qui avoient esté dans le service. Ils formerent une espece de Siege pour se divertir. Un feu d'artifice fut tiré si-tost qu'il fut nuït, & il y eut illumination comme le jour précedent. Cela fut suivi d'un Opera, d'un magnifique repas à plusieurs tables servies avec abondance, & d'un Bal qui dura jusques à quatre heures aprés minuit. Le jour suivant on tira pour le Prix, qui fut remporté par un Bourgeois de la Chapelle-Souquet. On fit pendant cette feste une remarque assez particuliere. Plusieurs Vieillards marchoient à la teste & à la queuë de la Compagnie, & on apprit que dix d'entre eux, qu'on voyoit aussi dispos que les plus jeunes personnes, avoient quatre-vingt-dix ans & plus, ce que l'on attribuoit à l'air, qui est si bon dans cette Paroisse de Fontaine, que les Habitans y vivent ordinairement prés d'un siecle, de sorte que depuis quelque temps, le nommé Jean Godard, Sieur de la Pecelle, y estoient mort àgé de cent vingt-cinq ans, pour n'avoir pas donné ordre à une blessure qui s'estoit faite en coupant du bois. L'année précedente, le nommé Nicolas Hubert, Sieur de la Chesnaye, mourut âgé de cent sept ans, & cinq mois aprés, sa Femme, Françoise Mauriel, mourut âgée de cent seize ans. La seule curiosité n'attira pas la grande affluence de peuple qui se trouva à tous ces spectacles, l'interest y eut aussi quelque part, puis que Mr le Comte de Fontaine-Berenger avoit fait publier par des billets imprimez, que tous ceux qui relevoient de luy, tant dans les paroisses de Fontaine-les-Bassets, du Menil-Foucran, de la Chapelle-Souquet, que dans celles de Louvrierres, Montreüil, la Cambe, Omoy, le Marais, Ginay, Champobay, Ouïlly, le Détroit, Menil-Vilment, le Jardin, la Fleuriere, Vieux-pont en Auge, Saint-Michel le Livet, Livaro, Trun & la ville d'Exmes, recevroient des acquits de toutes les corvées qu'ils pouvoient luy devoir pour les Terres qu'ils tenoient de luy, & des Amendes, Defauts & Saisies jugées contre eux par son Senechal, pourvû qu'ils assistassent au Te Deum qui devoit estre chanté dans l'Eglise de Fontaine ; & que ceux qui negligeroient de s'y trouver, seroient contraints de payer ces mêmes devoirs Seigneuriaux, dont ce qui pourroit provenir tourneroit à l'avantage des Pauvres, ausquels il seroit distribué.
[Rejouissances faites à Bourbon l’Archambaud] §
Je reviens aux réjoüissances qui ont esté faites pour la Paix. Peu de Villes en ont fait avec plus de zele que la Ville de Bourbon l’Archambaud, dans laquelle les festins, les Bals & les Fontaines de vin ont marqué pendant plusieurs jours la joye qui regnoit parmy tous les Habitans. Ils avoient fait faire un feu d’artifice, qui fut tiré de triomphe de figure triangulaire, où le Roy paroissoit élevé sur un piedestal, superieur à toutes les autres figures, avec cette Inscription sur les faces du piedestal qui le soutenoit.
Ludovicus Magnus, Pacis & Belli Arbiter.
La Victoire estoit derriere la figure du Roy, les mains chargées de palmes & de lauriers, qu’elle posoit sur sa teste. Ces paroles estoient écrites sur le piedestal.
Sine fine dabo.
Expliquées par ces Vers.
J’ay par tout secondé les efforts de ses armes,Au dessus des Heros j’ay porté sa grandeur.Pourroit il de la Paix me préferer les charmes,Et tout brillant de gloire en éteindre l’ardeur ?
Dans l’angle du costé droit de la figure du Roy, la Paix estoit élevée sur un piedestal, tenant d’une main une corne d’abondance, & de l’autre une branche d’olivier, qu’elle offroit au Roy. On faisoit dire ces Vers à la Paix.
L’amour de ses Sujets allume une autre flâme,Et son cœur par la gloire est en vain combattu ;Il me fait aujourd’huy triompher de son ame,Pour faire en ses Etats triompher la vertu.
L’on voyoit écrit sur son piedestal,
Otia fecit amor populi.
La Sagesse paroissoit dans l’angle au costé gauche de la figure du Roy, posée sur un cube, qui est son simbole, un niveau dans une main, pour exprimer l’équité de toutes ses actions, & dans l’autre un livre qu’elle offroit au Roy, où estoient écrits ses Conseils, & sur le cube on lisoit ces paroles.
Hac semper victor, se quoque vincit.
Et plus bas ces Vers.
Sans jamais abuser d’une puissance immense,Toujours dans ses projets il a suivi mes loix ;Et meslant à la force une juste clemence,Il s’est fait le meilleur & le plus grand des Rois.
Sur le milieu de chacune des trois faces du premier triangle estoit peint un Soleil, qui est la Devise du Roy. Sur celuy qui estoit devant la figure du Roy on voyoit écrit,
Sine pari.
Avec ces Vers aux deux côtez qui en exprimoient le sens.
À l’exemple des Dieux il fait tout par luy même,Il est de ses Conseils l’arbitre souverain,Et l’éclat dont on voit briller son Diadême,Est le seul effet de sa main.
Sur la face à costé droit, le Soleil paroissoit ombragé en partie de nuages, avec ces paroles.
Tonat & serenat.
Expliquées par ces Vers.
Le bruit de ses exploits remplit toute la terre ;Dont l’Vnivers surpris revere la grandeur,Et de la mesme main qu’il lance le tonnerre,Il imprime à son gré le calme & la terreur.
Sur la troisiéme face il paroissoit des nuages sous le Soleil, qui sembloient se résoudre en pluye, & il y avoit pour ame cette Devise.
Ex nebula rorem.
Les Vers suivans en expliquoient le sens.
Si pour le voir par tout suivi de la Victoire,Tous ses peuples ont fait un effort genereux,Son cœur plein du beau feu qui couronne sa gloire,Les va rendre à jamais heureux,
Cet Arc de triomphe estoit soutenu par trois pilastres, chargez de fleurs de Lis, & entourez de festons de lauriers.
[Autres faites en la Ville de Mante] §
Le Lundy 23. de Decembre dernier, le Te Deum fut chanté solemnellement en l'Eglise Royale & Collegiale de Nostre-Dame de Mante. Quoy que la réjoüissance y eust esté tres-grande lors que la Paix y fut publiée, elle n'avoit esté qu'un prélude de celle qu'on a témoignée en cette derniere occasion, pour laquelle on avoit préparé un tres-beau feu d'artifice. On attendoit il y avoit quelque temps les ordres de Mr l'Evêque de Chartres avec impatience pour cette solemnité ; & le Chapitre ne les eut pas plutost receus, que le jour en fut marqué, & que Mr le Noir, Maire de la Ville, donna les siens, afin de rendre ce jour celebre. Dés le matin, le bruit des Tambours & des Hautbois se fit entendre de toutes parts. La Bourgeoisie commandée commença de se mettre sous les armes, & Mr Hua, Lieutenant Commandant de la Milice, marcha sur les onze heures à la teste de deux cens jeunes hommes choisis bien faits, & des plus lestes, qui sous sa conduite se rendirent devant l'Hostel de Ville. De là cette troupe alla en tres-bon ordre, & Tambours battans, à l'Eglise de Nostre-Dame, suivie de Mr le Maire & des Echevins, au milieu desquels on portoit un Drapeau neuf tres-riche, qu'ils avoient fait faire, & reservé pour ce jour-là. Ils assisterent tous à la Messe qui fut celebrée, & Mr le Noir, au son des Orgues, des Violons, & de plusieurs autres Instrumens de Musique, y presenta ce Drapeau à genoux. Le Doyen du Chapitre en fit la benediction, & ensuite Mr le Maire le mit entre les mains de Mr Thiboust, Greffier en chef de l'Election, qui le dévelopa aussi-tost au bruit des Tambours, & des Hautbois & d'une acclamation generale de Vive le Roy. L'aprés-midy, les Chevaliers de l'Arquebuse, qui avoient esté invitez, & la Bourgeoisie, se rendirent sous les armes au même endroit, & dans le même ordre que le matin, & conduisirent ensuite le Corps de Ville, & tous ses Officiers, précedez de leurs Sergens à masse & à verge, à l'Eglise Collegiale, où le Te Deum, & plusieurs Motets pour le Roy furent chantez par la Musique, en presence de tous les Corps Reguliers & Seculiers, de toutes les Dames, & d'une foule infinie de peuple. Mr le Maire sortit de l'Eglise aprés le Te Deum, accompagné de la même maniere qu'en y entrant, & alla mettre le feu au bucher qu'on avoit dressé, au bruit de toute la mousqueterie ; aprés quoy il fut conduit à l'Hostel de Ville. Le soir, les principaux Officiers de la Ville furent regalez chez Mr le Maire, d’un repas magnifique, pendant lequel il est difficile d’exprimer la joye que produisit une si grande feste. Elle estoit peinte sur le visage de tous les Conviez, de sorte qu’un des Conviez ne pouvant davantage retenir son zele, se leva pour demander audience, & fit entendre ces Vers.
En l’honneur de Loüis qui nous donne la Paix,Signalons aujourd’huy nostre réjoüissance,Et pour luy témoigner nostre reconnoissance,Faisons de toutes parts retentir nos souhaits.Les biens & les douceurs que promet son Empire,Vont bien tost surpasser tout ce qu’on en peut dire ;Ce Soleil ne va plus donner que de beaux jours.Ciel, qui d’un si grand Roy fis present à la France,Et d’un Astre si beau connois seul l’influence,Fais que rien de fâcheux n’interrompe son cours.
Aprés le repas sur les onze heures de la nuit, on tira le feu d’artifice. On l’avoit préparé devant l’Hôtel de Ville, sur un theatre de seize pieds en quarré, sur lequel il y avoit cinq grandes figures. Il estoit orné de colomnes, de plusieurs hierogliphes, de trophées d’armes, & entouré de plusieurs autres ornemens, le tout de la composition du Sr Bernard Quillet, Ingenieur de la Ville, fort connu par l’experience, & par la capacité qu’il a acquise dans les feux d’artifice. Ce fut par cet agreable divertissement que se termina cette feste, pendant laquelle la joye de tous les Habitans fut aussi universelle qu’elle estoit sincere.
[Autres faites à la Ferté-Milon] §
La Ferté-Milon estant une des Villes du Royaume qui a le plus souffert durant les dernieres guerres, à cause de sa situation, qui la mettoit dans la necessité de souffrir le passage continuel d'une grande quantité de Troupes, la Paix y a causé toute la joye que l'on peut s'imaginer. Si-tost qu'on y sceut qu'elle avoit esté signée avec la Hollande, l'Angleterre & l'Espagne, quelque Bourgeois, qui se rencontrerent sur la Place, ne pouvant retenir leur zele, firent mettre le feu à une charretée de fagots qui s'y trouva, aprés l'avoir payée à celuy à qui elle appartenoit. Leur exemple fut suivi de toute la Ville, & bien-tost aprés on vit des feux par toutes les ruës, quoy que ce fust en plein jour. Mr Hericart, Lieutenant general, Juge de Police, & Maire de la Ville, loüa hautement le zele des Habitans, & témoigna que la Ville avoit résolu de faire des rejoüissances extraordinaires. Le jour pris au 25. Novembre, le Te Deum fut chanté dés la veille aprés Vespres, dans l'Eglise Paroissiale de Nostre-Dame, & tous les Officiers de Ville, du Presidial & du Baillage, avec la Compagnie de l'Arquebuse, y assisterent ; & ce jour là 25. la publication de la Paix se fit au Chasteau & aux principales Places en l'ordre suivant. D'abord on vit paroistre la Compagnie de l'Arquebuse à cheval. elle estoit suivie des Officiers de Justice, du Bailliage & de la Ville, précedez des Bedeaux & Huissiers, tous en leurs habits de ceremonie & à cheval, ensuite venoient les jeunes gens de la Ville aussi à cheval & tres proprement vêtus. les cinq compagnies de la ville alloient à pied, les Chefs estant à cheval à la tête de leur Compagnie.
Madame Hericart, Epouse de Mr le Lieutenant general & Maire de la Ville, jeune Dame, belle, tres-bien faite, & d'un esprit tout de feu, crut que rien ne seconderoit mieux les réjoüissances publiques, dont son Mary estoit le mobile, que la representation d'une piece de Theatre. Elle en avoit fait la proposition à deux de ses Amies, qui ayant approuvé son dessein, offrirent de prendre chacune un rôle avec elle. On envoya querir d'autres Dames & quelques jeunes gens de la Ville, qui se mirent agréablement de la partie, & conclurent tous ensemble qu'il falloit choisir une Tragedie parmy celles de Mr Racine ; car outre que cet illustre Auteur n'a rien fait que d'achevé, il n'y avoit pas d'apparence que dans un lieu qui se glorifie de sa naissance, on representast une Piece qui ne fust pas de luy. On avoit choisi Iphigenie, & on la representa le soir de la publication sur un Theatre dressé dans un Salon chez Madame Hericart. Le bruit de ce qui s'estoit préparé à la Ferté-Milon, s'estant répandu dans toute la Province, presque toute la Noblesse des environs, & plusieurs gens de marque des Villes voisines s'y rendirent ; & quoy qu'on se fust exposé aux injures d'un temps dort facheux, personne ne se repentit de la peine qu'il s'estoit donnée. Le succés passa de beaucoup ce que l'on s'estoit promis, tout le monde estant demeuré d'accord que jamais Piece de Theatre n'avoit esté mieux representée, & par des personnes si aimables. Le spectacle fini, Messieurs de Ville conduisirent tout ce qu'il y avoit de personnes de distinction dans l'Hostel de Ville, où il y avoit des tables & des couverts préparez dans les Salles pour plus de deux cens personnes, qui y furent regalées splendidement. Au sortir du soupé on commença le Bal, qui dura jusques au jour. Il y eut toute la nuit des feux & des tables dans toutes les ruës, & le vin & les pâtez que Mrs de Ville avoient fait distribuez dans les Quartiers, mirent tout le peuple de si belle humeur, que la feste dura trois jours, pendant lesquels on n'entendit que décharges de mousqueterie, & que Tambours, Trompettes, Hautbois, Violons, & cris continuels de Vive le Roy.
[La Ville de Montauban donne des marques de distinction dans ses rejouissances] §
Mr le Marquis de Crillon, Commandant pour le Roy dans la Generalité de Montauban, ayant remis à Mrs les Maire & Consuls la Lettre du Roy pour faire la Publication de la Paix, & chanter le Te Deum ; on donna d'abord tous les ordres necessaires pour la solemnité de cette Ceremonie. Mr Sanson Intendant, dont chacun connoist l'empressement, la delicatesse & la vivacité pour tout ce qui a raport à la gloire du Roy & au bonheur des Peuples, voulut que la Ville de Montauban se signalât & donnât l'exemple à toutes les autres de la Generalité. Il trouva les habitans dans une agreable disposition à seconder son zele. ainsi les Bourgeois & les Artisans se mirent d'abord sous les armes, & si l'on en avoit eu suffisamment, il ne seroit demeuré dans les Maisons que ceux qui n'auroient pas esté en état de les porter. On en trouva toutefois assez pour armer douze cens hommes, qu'on divisa en quatre Compagnies d'Infanterie, & une Compagnie de Cavalerie. Le jour destiné pour faire la publication de la Paix, fut le Dimanche 15. du mois passé. Toutes les Troupes s'estant assemblées devant l'Hôtel de Ville, on commença de les faire deffiler à onze heures du matin ; l'Infanterie marcha la premiere avec les Officiers à la tête. Elle fut suivie par le Maire & les Consuls à cheval & en robes Consulaires precedez par leurs Gardes à cheval & par huit Trompettes & un Timbalier ; la marche estoit fermée par la Cavalerie qui se trouva fort nombreuse. Ce fut dans cet ordre qu'on se rendit à la grande Place où la paix fut publiée aux acclamations reïterées de Vive le Roy, ce qui fut suivi d'une décharge que firent toutes les Troupes, & dans le mesme instant on vit jaillir dans le milieu de cette Place deux fontaines de vin qui coulerent jusques à la nuit pour faire goûter au peuple les commencemens d'une agreable abondance qui est la compagne inseparable d'une heureuse Paix. De là Mrs de la Jurade allerent avec toutes ces Troupes, & au bruit des Trompettes, des Timballes, & des Tambours, ils firent la mesme publication dans toutes les autres Places & endroits accoûtumez de la Ville & des Fauxbourgs. Les Etrangers qui virent cette Ceremonie, convinrent qu'elle ne pouvoit estre plus auguste, & que la marche de l'Infanterie étoit si fière & si gaye tout ensemble, que des troupes reglées n'auroient pas esté mieux disciplinées. On se rendit ensuite à l'Eglise Cathedrale pour assister au Te Deum, qui fut chanté avec beaucoup de solemnité, accompagné du bruit de la Mousqueterie, des Trompettes, des Tambours, & des Hautbois. Au sortir de cette Ceremonie, Mrs de la Jurade allerent mettre le feu à un bucher qu'on avoit dressé à la Place apellée des Monges. L'Infanterie se mit en bataille, & fit une belle décharge en défilant devant le feu, tandis que toute la Ville rétentissoit des cris de Vive le Roy & des aclamations du peuple. Cependant on avoit dressé dans la grande Place où couloient les deux fontaines de vin, un magnifique feu d'artifice qui representoit le Temple de la Paix. [Description du décor éphémère] Les huit Cartouches placez autour de la galerie de l'Arc de triomphe, representoient les fruits de la Paix & le bonheur des peuples.
La premiere representoit la Déesse de l’Abondance avec sa corne pleine de fruits. Optata nuno aderit pleno abundantia cornu.
Si la Guerre a causé le trouble & l’indigence,LOUIS par ses soins glorieux,Va faire regner en tous lieux,La Paix & l’Abondance.
Le second, l’Agriculture. Securus agros colet arator, nec jam squallebunt abductis arva colonis.
Les Laboureurs ne craindront plus,D’estre donnez pour la Milice,Au travail de nos champs ils seront assidus,Sans estre détournez par un autre exercice.
La troisiéme, les Sciences & les Arts. Apolline Pace revocato, blandientur Musæ artesque neglectæ.
Malgré les fureurs de Bellone,Les sciences & les Arts,Par la Paix que LOUIS nous donneVont refleurir de toutes parts.
Le quatriéme, le Commerce. Restituto florebit Gallia Commercio.
Que les fruits de la Paix nous seront salutaires !Tous les Peuples de l’Univers,Par un Commerce heureux ouvert dans les deux Mers,Vont devenir nos tributaires.
Le cinquiéme, l’Amour. Pacis amor deus est, Pacem venerantur amantes.
La Paix a banni les allarmesTous les Amans seront contensLe retour du PrintempsNe fera plus verser de larmes.L’Amour, les Plaisirs & les JeuxRendront tous les mortels heureux.
Le sixiéme, les Festins & les Dances. Nunc est bibendum nunc Pede libero pulsanda tellus Dulcis pax nobis hæc otia fecit.
C’est maintenant que dans un doux loisir.On peut goûter le solide plaisirDe dancer, de boire, & de rire.Celebrons ce beau jour au son des instrumens.Que les échos répondent à nos chants,Et faisons leur cent fois redireLe Ciel a comblé nos souhaits ;Un Heros tout couvert de gloireNous a conduits par la VictoireAux douceurs de la Paix.
La septiéme, la Chasse. Bello succedit venatio placens.
LOUIS rend le calme à la terre,La Paix a couronné ses glorieux travaux,Si l’on fait desormais la guerreCe ne sera qu’aux Animaux.
Le huitiéme, le Sommeil. Vigilat Rex, securo, populi, quiescite somno.
Aprés tant de travaux, de trouble & de souffrance,Que le repos est doux !Dormons en assuranceLOUIS veille pour nous.Tous nos voisins de sa gloire jalouxN’ozeront plus troubler le bonheur de la France.Dormons en assuranceLOUIS veille pour nous.
L’heure estant arrivée qu’on devoit faire joüer le d’artifice, les Troupes se rangérent autour. L’affluence du Peuple y fut extraordinaire, & toutes les fenestres des maisons furent éclairées par une infinité de bougies. Mr Sanson, Intendant de la Province, qui honora ce spectacle de sa presence, fit passer d’une fenestre où il estoit une lance à feu qui alla s’attacher à l’un des huit Soleils qui estoient placez sur les angles de la galerie de l’Arc de Triomphe. Ce Soleil embrasé jetta en tournant avec rapidité une si grande quantité de feux, qu’ils se communiquerent à toute la machine, & dans le même instant, l’ouye & la vûë furent également frapées par la confusion surprenante de boëtes, de petards, de lances à feu, de serpenteaux, & de fusées volantes, dont les unes alloient se perdre dans les vuës, & sembloient disputer entre-elles à qui monteroit plus haut, & feroit appercevoir de plus loin la solemnité de cette feste. Les autres serpentoient en l’air, & formoient mille chiffres enflammez. Les autres en achevant leur course se dissipoient en éclats ou se partageoient en petites étoiles. Enfin l'éclat des boëtes & le siflement des fusées mêlées avec le bruit des Tambours, des Trompettes & des Hautbois faisoient le plus charmant effet du monde. Cet agreable desordre n'eut pas plutost cessé que l'Infanterie fit plusieurs décharges, & défila en tres-bon ordre. Les réjoüissances de ce beau jour finirent par un grand repas que Messieurs de la Jurade donnérent dans l'Hostel de Villeaux Conseillers Politiques, & à plusieurs personnes de consideration. La nuit eut ses beautez & ses plaisirs. Tous les Habitans, jusqu'au moindre Artisan, firent des feux devant les portes de leurs maisons & mirent aux fenestres des lanternes de differentes couleurs. On entendoit chanter les uns dans leurs maisons, on voyoit dancer les autres autour des feux qu'ils avoient allumez ; on tiroit incessamment dans toutes les rües, & le bruit de la Mousqueterie redoubloit à se mesure que la joye faisoit de temps en temps de plus fortes impressions. Mais rien n'approcha de la magnificence avec laquelle Mr Sanson celebra en son particulier la Publication de cette Paix. Son Hostel brilla pendant toute la nuit par une infinité de tres-belles illuminations. Il fit tirer dans sa cour une quantité de feux d'artifices, & donna un magnifique regale aux Personnes de qualité de la Ville. Quarante Dames des plus qualifiées furent priées au repas. Elles se placèrent toutes ensemble à une seule table à Fer à cheval. Chaqcune avoit choisi son Chevalier pour la servir, & l'on n'a jamais rien de mieux entendu. Deux autres tables de trente couverts chacune, furent servies avec la même propreté & la même magnificence, & la profusion fut agréablement mêlée avec la délicatesse de la bonne chere. La santé du Roy fut bûë au bruit des Trompettes & des Violons avec le respect & la tendresse que sa bonté imprime dans tous les coeurs. Enfin cette brillante feste se termina par un bal qui fut aussi magnifique que le repas. La beauté des dances, une collation qu'on servit aux Dames sur des corbeilles dorées, avec quantité de liqueurs, tout y parut si charmant que ce ne fut qu'avec peine qu'on vit arriver le jour qui obligea cette belle Compagnie à se séparer.
[Rejouissances faites à Clamecy] §
Le premier jour de ce mois, les Habitans de la Ville de Clamecy s'estant mis sous les armes selon les ordres qu'ils avoient receus, s'assemblerent au nombre de six cens, chacun devant la porte de son Capitaine, & ayant formé cinq Compagnies, elles se joignirent ensemble, & aprés avoir fait un tour de Ville en bon ordre, elles se rendirent à la porte du logis de Mr Grasset, Maire de la Ville, qui accompagné de tous les Officiers de l'Hôtel de Ville se mit à leur teste. Elles firent de nouveau un tour dans la Ville & dans les Fauxbourgs, avec les Trompettes, les Tambours, les Hautbois, les Musettes & les Violons. Cela fait, ces mêmes Officiers entendirent Vespres, & assisterent au Te Deum qui fut chanté à l'Eglise Collegiale, où se trouverent les Peres Recolets, & les Officiers de tous les Corps. Aprés des actions de graces renduës à Dieu pour la Paix, le Chapitre mena la Procession au bucher, où Mrs de Ville qui suivoient, mirent le feu, pendant qu'on chantoit l'Exaudiat pour le Roy.
Les cinq Compagnies y estoient rangées. De là, Mrs de Ville à la teste, elles se rendirent dans la Place publique où le feu d’artifice avoit esté préparé. C’estoit un Theatre, sur les quatre faces duquel on voyoit une balustrade haute de deux pieds. Les colomnes, bases, chapiteaux, & toutes les autres parties estoient peintes de differentes couleurs. Sur les quatre angles de la balustrade on avoit posé quatre piramides triangulaires, dont chaque pointe estoit garnie d’un globe doré, & d’une Fleur de Lis à quatre faces de même. Au milieu de la balustrade de la face de devant estoit un tableau, où estoit le Soleil royal avec sa Devise au dessus, & au dessous on lisoit, Bellatori pacifico. Sous cette Inscription paroissoit un grand globe d’azur, où une branche d’olivier étoit passée en sautoir avec une épée dans le foureau. Il y avoir dans l’angle superieur de cette figure une couronne de Laurier, & dans les trois angles, trois Fleurs de Lis, ce qui désignoit que la Paix ne regne dans la France que sous les auspices des Victoires de nostre Auguste Monarque. Plus bas dans un cartouche attaché au pilier, qui soutenoit le milieu de cette face, on lisoit ces Vers.
Ne donner des Combats que pour donner la Paix,Immoler ses Lauriers à la fin de la guerre,C’est où jamais Heros n’a porté ses projets,C’est ce qu’a fait Loüis pour remplir nos souhaits.Qu’il soit beny du Ciel, & loüé sur la Terre.Que son regne éclatant ne finisse jamais.In gloria non est inventus similis. Eccles. 44.
Au pilier droit on voyoit un Tableau où estoient peintes les Armoiries de Mr le Duc de Nevers, Gouverneur de la Province, avec cette Devise, Juste & placide, pour marquer combien sa maniere de gouverner est juste & agreable. A l’autre pilier estoient les Armes du Maire de la Ville, & au bas cette Devise, Ornant & recreant. À la face droite du Theatre dans le milieu de la balustrade, on lisoit Fortunatæ ætati. Ces Vers estoient au dessus dans un cartouche.
Nous avons tout sujet de chanter & de rire,Les Cieux sont appaisez, les hommes réünis.Plus de jaloux, plus d’Ennemis.Nous vivons glorieux sous le charmant EmpireD’une Foy, d’une Loy, d’un Roy toûjours vainqueur.Sçauroit-on trop payer, trop vanter ce bonheur ?Suaviter disponens omnia. Sap. 8.
À l’autre face, dans le milieu de la balustrade, on lisoit Securæ tranquillitati, & ces Vers plus bas dans un cartouche.
S’estant gardé du bec de l’Oiseau des Césars,Des ongles des Lyons, des dents des Leopards,S’estant purgé des vers qui piquoient su racine,Le Lis est à present d’une extrême beauté.On n’ose plus toucher à cette fleur divine.Dormons donc sous son ombre en toute seureté.
Auferens bella usque ad fines terræ. Psal. 45.
À la face de derriere, on voyoit dans le milieu de la balustrade les Armoiries de la Ville de Clamecy, avec cette Devise, Clarior assurgit, & au bas dans un Cartouche, on lisoit ces Vers.
Faisant plus que jamais pour la reconnoissanceQue l’on doit aux grandeurs, aux bontez de mon Roy ;Consacrons ce grand jour à la réjoüissanceQue la Paix amene avec soy.Je vous invite tous à faire comme moy
Tous les Tableaux, Titres, & Cartouches estoient entourez de cordons de lierre, & le haut du Theatre estoit garni du même cordon. Dans le milieu du plancher de ce Theatre, il y en avoit un autre plus petit, élevé de deux pieds & demi, sur lequel estoit posé un Fort, au bas duquel on avoit écrit Paci regnanti, & dans le milieu de ce Fort, sur un gros trophée de canons éclatez, encloüez, embouchez d’épées, de piques rompuës, de mousquets brisez, de trompettes cassées, de quaisses crevées, de Drapeaux & d’Etendarts déchirez, on voyoit une figure de la Paix à plein relief & plus grande que nature. Elle avoit un habit doublé d’hermine, & sur la teste une couronne d’or à l’antique, dans la main droite une corne d’abondance, dans la gauche un sceptre, & sous ses pieds au dessous du trophée, des monstres égorgez.
Sitost que les Troupes furent rangées autour du Feu d’artifice, on vit couler de dessus le Theatre deux Fontaines de vin. Au dessus du tuyau de chacune, on lisoit ces mots, Vive le Roy. Orietur in diebus ejus abundantia Pacis. Ces deux Fontaines coulerent deux heures, nonobstant l’extrême disette de vin qui est dans tout le Pays ; & la nuit commençant, on tira une fusée pour avertir qu’on alloit mettre le feu à la machine. Aussitôt un Ange vint du haut d’une maison le porter dans une rouë à feu, posée sur la face du theatre, d’où il se communiqua aux autres pieces d’artifice, où l’on vit en même temps briller les lances à feu, on entendit tonner les boëtes, & l’air parut tout rempli de serpenteaux & d’étoiles, ce qui fut suivi de trois décharges que fit chaque Compagnie.
[Autres faites par les Chevaliers du jeu de l’Arquebuse de Reims] §
Le 13. de ce mois les Chevaliers du Jeu de l’Arquebuse de Rheims firent une fête particuliere pour marquer leur joye sur la publication de la Paix. La machine du feu qui fut élevée devant leur Hôtel, estoit un Theatre à quatre faces, sur lequel s’élevoit une espece d’Autel dressé sur une Estrade, surmontant d’un pié ou deux le corps de la Machine qui servoit de base à huit Colomnes d’ordre composite, avec leur Architrave, Frise & Corniche, suportant toutes les pieces de l’Architecture qui faisoient une maniere de Temple tres-bien orné, & terminé d’un Dôme magnifique en forme de couronne. Sur cette Estrade estoient vis-à-vis, à deux des côtez, les statuës de Mars & de la Paix, prenant l’une & l’autre du Jeu de l’Arquebuse sous la figure d’un petit Amour, un bouquet d’Olivier & de Laurier, comme le symbole de leur alliance. Aux deux autres côtez opposez estoient d’autres Jeux enchaînant des Furies, dont Mars estoit résolu de ne se plus servir, pour ne présider à l’avenir qu’à des combats innocens, selon le genie de la Paix, avec laquelle il juroit une alliance éternelle. Sur les quatre coins du Theatre estoient des Urnes pleines de feu pour conserver les cendres des Chevaliers de l’Arquebuse morts au lit d’honneur avec ces mots d’Ovide.
Urna dedit sonitum. Met. 3.Le bruit de ces Guerriers se fait encore entendre,La Gloire de leur mort en oste la douleur,Et nous retrouvons dans leur cendreLa semence de leur valeur.
A deux des faces du Theatre estoient peints des Jeux & des Amours. À l’une ils se battoient en riant, & ces mots qui servoient d’inscription, exprimoient l’innocence de leurs combats ; sine eæde & sanguine.
Sans haine & sans fureur nous entrons dans la Lice,Nos coups n’ont rien de dur ;Nous n’avons des combats que le noble exercice,Le plaisir en est pur.
A l’autre face, ils sautoient aprés des Couronnes qu’offroit une main sortant de la nuë avec ces mots addit honor stimulos, pour marquer l’émulation que donne dans le Jeu de l’Arquebuse la magnificence du Prix que Messieurs de la Ville proposent aux Chevaliers.
Quelque riches que soient les Prix que l’on nous donne,L’honneur d’éterniser leur nomEst icy le seul éguillon,Qui pique nos Guerriers du gain de la Couronne.
A la troisiéme face estoient des branches d’Olivier passées en sautoir avec des Armes ; & ces mots, & Marti & Paci, déclaroient la disposition des Chevaliers à faire dans la Paix l’honneur de l’Etat par leurs Jeux, & à en faire sa force dans le temps de la Guerre par leurs Armes.
Nous ne quittons jamais les Armes,Toûjours prêts dans la Guerre à deffendre l’Etat,Dans le temps de la Paix nous en faisons l’éclatPar des Jeux pleins de charmes.
Enfin à la quatriéme face qui faisoit comme celle de tout l’appareil, estoit peint un étendart où estoient des branches d’Olivier, Armes de la Ville, & une Couronne de Laurier, Armes de la Compagnie, unies ensemble avec ces mots qui marquoient l’union de Mrs de la Ville & des Chevaliers, nexu sociantur eodem
L’Olive & le Laurier vivent d’intelligence,Du Senat avec Nous rien ne rompra les nœuds.Il aimera toûjours la douceur de nos Jeux,Et nous suivrons les Loix de sa haute prudence.
Les Chevaliers au nombre de deux cens cinquante, tous fort lestes & dans la mesme parure, se rendirent en l’Hôtel de Ville, pour y prendre Messieurs du Conseil en Corps & aller ensemble en l’Eglise des Cordeliers, où devoit estre chanté le Te Deum. Cette Inscription estoit sur le Portail de cette Eglise.
Nous ne vous anonçons ni Guerre ni CombatsLe bruit de nos Tambours ne cause point d’alarmes,Ministres du Seigneur, ne nous refusez pasD’unir vos Chants sacrez au doux bruit de nos Armes.Le Dieu, dont la clemence a comblé nos souhaits,Ne nous empêche pas d’avoir les mains armées,Et luy même se plaist, en nous donnant la Paix,De conserver le nom du grand Dieu des Armées.
Ces autres Vers estoient sur la porte de l’Hôtel de Ville.
Auguste & nombreux Corps, dont l’ame est la prudence,Dont l’inclination est la magnificence,Dont chaque membre est grand, liberal, sage, humain,Et vaut bien en un mot le plus grave Romain.Rome a beau nous vanter, dans sa flateuse Histoire,Ses Graques, ses Catons, tous couronnez de Gloire ;Reims en compte autant qu’elle en son fameux Senat,Qui n’ont pas tant de faste, & n’ont pas moins d’éclat.Reims peut mesme sut Rome avoir la préference,Si nous faisons ensemble une étroite Alliance,Vos Sages s’uniront à nos braves Guerriers,La Douceur à la Gloire, & l’Oliver aux Lauriers.
On lisoit ceux-ci sous un Portrait du Roy, qu’on avoit mis sur la porte de l’Hôtel de l’Arquebuse.
LOUIS a triomphé de ses fiers ennemis,Tous armés contre luy, seul il les a soûmisPar l’effort de ses Armes ;Mais la Paix aujourd’huy triomphe du Vainqueur,Pour desarmer son bras elle inspire à son cœurLa douceur de ses charmes ;Et l’oblige, au milieu de ses vastes Projets,D’immoler la Victoire au bien de ses Sujets.
Vis-à-vis de l’appareil du feu, on lisoit ces autres Vers, qu’adressoient la Paix & Mars à Messieurs de la Ville.
Dans l’illustre Carriere où brille la Victoire,Nous dressons un Autel,Pour y jurer ensemble un accord immortel.Achevez le bonheur de nostre destinée,Couronnez vos bienfaits.Vous les couronnerez, de Mars & de la PaixSi vous daignez signer le charmant Hymenée.
On lisoit dans un autre endroit ces deux Vers que la Paix adressoit aux Chevaliers de l’Arquebuse.
Plus de feu, plus de bruit, plus de sang, plus d’alarmes,Guerriers, le Ciel l’ordonne, adieu, quittez les Armes
Les Chevaliers de l’Arquebuse répondoient à ces deux Vers par ceux ci.
Le feu, le fer, le bruit, ici n’ont rien d’affreux,Nous joüissons des biens que le Ciel nous envoye,Nos feux sont feux de joye,Et nos Combats des Jeux.En ces lieux tout conspire à la Fête publique,Mars, sous qui nous vivons, est un Mars pacifique.Unissez vous à luy, belle & charmante Paix,Vos nœuds ne se rompront jamais.Unissant au doux son des ArmesLe bruit des verres & des pots,Le Concert n’aura que des charmes,Et rien ne troublera vostre aimable repos.
Les mesmes Chevaliers faisoient lire ailleurs ces derniers Vers pour les Dames.
Ne craignez ni Mousquet ni Pique,Beau Sexe digne de nos Vœux.Venez prendre part à nos Feux,Mars est devenu pacifique,Ses Combats ne sont plus de ces Combats affreux,De sang de meurtre & de carnage ;Ce ne sont que paisibles Jeux,Où tous les coups ont l’avantageD’emporter leur prix avec eux.
Le Te Deum ayant esté chanté chez les Peres Cordeliers, les Chevaliers de l’Arquebuse retournerent en leur Hostel, où ils firent l’ouverture du Prix que les Magistrats donnoient à leur Compagnie, à l’occasion de la Paix. Aprés les avoir rendus spectateurs de leurs combats, ils les conduisirent sur les six heures du soir, dans la place où estoit dressé l’appareil du Feu, qui fut mis à la machine par Mr le Lieutenant des Habitans, accompagné de Mrs du Conseil & des Officiers & Chevaliers de la Compagnie de l’Arquebuse. Cette machine estoit chargée de toutes parts d’un grand nombre de pieces d’artifice, de la composition des Sieurs Eget, Pere & Fils, Artificiers & Chevaliers de la même Compagnie. Pendant tout le temps qu’elle demeura embrasée, le bruit des Trompettes, Hautbois, Fifres & Tambours, se mesla aux décharges continuelles des mousquets. Mrs du Conseil, au nombre de trente deux, furent regalez ensuite magnifiquement par la Compagnie du Jeu de l’Arquebuse, à une seule table faite exprés. Outre cette table, trois cens couverts se trouverent dans la grande Salle de l’Arquebuse, & ils furent tous remplis des Chevaliers. Le vin de Sillery, & toutes sortes d’autres liqueurs s’y donnerent avec profusion. Mr Gayet, Lieutenant de Roy de la Ville de Châlons en Champagne, & Capitaine en chef de la Compagnie des Arquebusiers de la même Ville, s’y trouva avec plusieurs de ses Chevaliers, ainsi que Mr de Barbereux, premier Assesseur de la Ville de Soissons, & Capitaine en chef de la Compagnie des Arquebusiers de la même Ville de Soissons, & plusieurs Chevaliers des Villes voisines, de Compiegne, Dormans, Epernay, & autres. Le feu de la Compagnie du Jeu de l’Arbuse de Reims, est le quatorziéme feu d’artifice qui ait esté fait depuis la Paix en differens quartiers de la Ville. Cette Compagnie s’est augmentée considerablement depuis quelque temps. Mr Frison, qui en le plus ancien Officier, a presenté Mr Frison, son arriere petit Fils, qu’on y a receu en presence de Mr Frison, son Pere, qui est le huitiéme de sa Famille & de son nom, Capitaine de la même Compagnie.
[Mariage de Mademoiselle d’Argence]* §
Mademoiselle d’Argence, l’un des ornemens de la Ville de Coutance, a épousé depuis peu un jeune Gentilhomme de Vire, nommé Mr de la Catherie, qui a servi dans la Maison du Roy. Il est Fils unique, riche & fort bien fait. Mademoiselle d’Argence, qui est aussi Fille unique, & qui a eu un gros mariage, ne pouvoit manquer de trouver un Parti digne d’elle, puis qu’outre ces avantages, elle est de fort bonne Maison, estant du costé de Madame sa Mere proche Parente du feu Comte de Tourville, Frere du Maréchal, & du jeune Marquis de Cotentin, Fils d’un Maistre des Requestes de ce nom, & de Mr de Brioude, President à la Cour des Aides de Paris. Le jour de ses Noces, Mr de la Févrerie, dont je vous ay envoyé divers Ouvrages, luy fit donner les Vers que vous allez lire.
À LA
CHARMANTE URANIE.C’est aujourd’huy qu’on vous marie,Je me trompe c’est cette nuit.Que vous dire, belle Uranie,Qu’à d’autres l’on n’ait déja dit ?Et d’ailleurs de l’Hymen je suis fort mal instruit,Car je n’y passay de ma vie.***Mais, ignorant ou non, sur un Hymen si beau,Quand je devrois vous faire rire,En me brûlant à son flambeau,Il faut pourtant icy vous direQuelque chose qui soit nouveau.***La Fortune & l’Amour, le Ciel & la Nature.Tout vous pronostiquoit une bonne avanture,Et je ne dois pas oublierDans cette heureuse conjoncture,Que la Paix qu’en ces lieux on vient de publier,Vous est encor d’un bon augure.***Goustez donc de l’Hymen les plus charmans appas,Goustez tout le bonheur que le Ciel vous envoye ;Vos jours filez d’or & de soye,Couleront jusques au trépas,Dans l’abondance, & dans la joye.***Et vous, heureux Epoux, aprés mille soupirs,L’Hymen couronne vostre zele,Et va vous combler de plaisirs.Un Amant constant & fidelle,Vient à bout de tous ses desirs.***Joüissez du bonheur où l’Hymen vous appelle,Mais pour le voir durer jusqu’au dernier moment,Que sans cesse chez vous l’amour le renouvelle,Car l’Hymen sans l’Amour a bien peu d’agrément.Vous serez un Epoux charmant,Et vostre Epouse toujours belle,Si vous estes toujours Amant.***Que l’Amour & l’Hymen ensembleA jamais regnent dans vos cœurs.Et conservent par leurs douceurs,L’heureux lien qui vous assemble.***Qu’une illustre PosteritéDans la Paix & dans l’abondance,Soit de vostre fidelitéEt le prix & la récompense.***Enfin, couple heureux & content,Allez par les douceurs du bien qui vous attend,Commencer vostre destinée,Aprés avoir chanté l’Amour & l’Hymenée.
[Réjouissances faites à Paris]* §
Quelques jours aprés l'arrivée des ratifications de la Paix entre le Roy, l’Empereur & l'Empire, cette Paix fut publiée le 7. de ce mois en douze endroits de Paris, avec les ceremonies dont je vous ay déjà parlée plusieurs fois, mais les réjoüissances ne se firent que le 8. à cause que le Te Deum, ne fut chanté que ce jour-là à Nostre-Dame, suivant la Lettre du Roy à Mr l’Archevêque de Paris. [...]
Parmy les réjoüissances qui ont esté faites à Paris, Mr Titon, Secretaire du Roy, & Directeur du Magasin Royal des Armes, s'est distingué d'une maniere qui merite que je vous en fasse part. Le 7. de ce mois, jour de la publication de la Paix entre la France & l’Empire, il fit dresser devant le Magasin Royal dans la place de la Bastille ; un Feu d'artifice construit en cet ordre. Sur quatre colomnes hautes de huit pieds, & distantes l’une de l’autre de douze pieds, regnoit une balustrade, & aux quatre coins estoient posées quatre piramides, surmontées d’une boule avec une fleur-de-lys dorée au dessus, le tout rempli d’une infinité de lampes pour illuminer tout le feu. Au milieu l’on voyoit sur un piedestal la figure de la Paix, ayant la main droite appuyée sur les Armes de la France, & de la gauche tenant celles de l’Empire. Derriere cette figure estoient des trophées d’armes veritables, composées de Tambours, de Cuirasses, de haches, d’épées, avec des Drapeaux de la France & de l’Empire qui croisoient à droite & à gauche ; & au milieu des balustrades pendoient entre chaque colomne les Armes de Savoye, d’Espagne, d’Angleterre & de Hollande pour les comprendre dans cette Fête. Outre ce feu, Mr Titon avoit mis sur la terrasse du Magazin Royal une illumination de Vive le Roy, avec une Couronne Royale au dessus, toute garnie de lampes, & des illuminations tout le long de la balustrade. cette decoration qui parut dés dix heures du matin, propmit au Peuple une joye nouvelle pour la nuit. En effet sur les six heures du soir on commença à allumer sur la terrasse toutes les lampes dont j'ai parlée. On ouvrit les portes du grand Sallon, qui donne sur cette terrasse & qui conduit au Magazin Royal. Celui-ci estoit éclairé jusqu'au bout, & faisoit voir dans le plus grand calme de la Paix un nombre prodigieux d'armes que Mr Titon entretient pour les besoins de l'Estat. Le Sallon estoit illuminé de plusieurs austres garnis de bougies. Cependant le Canon de la Bastille commença de tirer, & entre chaque coup les Trompettes, les Tambours & les Hautbois, qui estoient sur la terrasse, firent des fanfares qui formoient un bruit de guerre tres-agreable. On tira ensuite deux douzaines de fusées volantes, & le feu suivit aussitost avec les fanfares continuelles des mêmes Trompettes, Tambours & Haut-Bois qui occuperent l’attention du peuple durant prés d'une heure. Aprés le feu tiré, les illuminations continuerent, pendant que dans le grand Sallon on servit trois tables à plusieurs personnes de qualité qui s'y trouverent, & durant le repas il y eut Musique & Symphonie, laquelle fut suivie d’un Bal qui finit la Fête.
Les Comediens du Roy n’oublierent pas de montrer leur zele dans la mesme occasion. Le grand Balcon qui regne le long de leur Hôtel, estoit enfermé d’une Balustrade dorée, enrichie de Festons & de Trophées d’Armes & soûtenuë de plusieurs Pilastres. Au milieu du Balcon la Statuë du Roy sur un piedestal, estoit couronnée par la Victoire & par la Paix, & comme toutes les Vertus sont rassemblées dans la Personne de Sa Majesté, que ce Prince ne doit qu’à ces Vertus cette sublime élevation de gloire où il est parvenu, que la France leur doit aussi son bonheur, & que toute l’Europe leur est redevable de la Paix dont elle commence à joüir, les Comediens avoient pris de là sujet de faire mettre sur le piedestal cette Inscription.
LUDOVICUS MAXIMUS.
Fide, Spe & CharitateRex vere Christianissimus.Fortitudine victor,Prudentiâ nodum solvit,Justitiâ dat Pacem,Temperantiâ subsidia revocat.
La Foy, l’Esperance & la Charité, chacune sur un piedestal moins élevé que celuy de la Statuë du Roy, sembloient contempler avec plaisir la figure d’un Prince qu’elles ont rendu si parfait, & on lisoit ces paroles sur leurs piédestaux.
Fidei Protector, Charitatis exemplum,Quid non sperabit ?
La Force, la Prudence, la Justice & la Temperance un peu plus éloignées que les autres Vertus, paroissoient pourtant leur disputer la gloire de l’élevation du Roy, ou du moins y contribuer également, & elles le témoignoient par ces Vers.
LA FORCE.
Par moy toûjours invincible,France, voy la grandeur où j’éleve ton Roy.Au repos du monde sensible,En luy donnant la Paix, il luy donne la Loy.
LA PRUDENCE.
Que peut sans moy le plus ardent courage ?Des grands évenemens je dispose à mon gré,L’ordre seul de LOUIS m’a fait finir l’ouvrageQue sa force avoit préparé.
LA JUSTICE.
En vain la Force & la PrudenceAvoient travaillé pour la Paix.Si LOUIS n’eust pesé ses droits dans ma balance,La Guerre n’eust fini jamais.
LA TEMPERANCE.
Peuples, le Ciel comble vos vœux,Des vertus de LOUIS goûtez tout l’avantage.Je fais ceder son grand courageAu seul soin de vous rendre heureux.
Ce groupe de Figures estoit environné d’une colomnade qui soutenoit une grande Couronne d’or, dont le cercle & les fleurons estoient formez par une illumination. Quatre Obelisques élevez le long du Balcon le séparoient en égale distance. Les Obelisques étoient transparens, & garnis de Fleurs de lis d’or. Cette Architecture estoit surmontée d’un Soleil tres lumineux qui de tous costez écartoit des nuages. Toute la façade du Bastiment estoit éclairée d’une illumination tres-belle & tres bien ordonnée, qui dura jusques à deux heures aprés minuit. On distribua beaucoup de vin sans qu’il y eust le moindre desordre. Les Timbales, les Trompettes & l’Orchestre de la Comedie se mêlérent souvent aux cris de Vive le Roy, & des acclamations du Peuple. Sur les onze heures du soir on tira un tres beau feu d’artifice.
[Mort de Mr Pradon]* §
Mr Pradon. Il estoit de Rouen, & nous a donné plusieurs Piéces de Theatre, & entr’autres Pyrame & Thisbé & Regulus, qui ont paru avec beaucoup de succez.
[Feste donnée à Monseigneur par Madame la Duchesse de la Ferté] §
Si je n'estois pressé de finir, je vous ferois un ample relation, de tout ce qui s'est passé en l'Abbaye de S. Germain Desprez le jour que Mr le Cardinal de Furstemberg y fit chanter le Te Deum pour la Paix entre la France, l'Empereur & l'Empire, mais il ne me reste de place que pour vous dire succinctement ce qui se passa le lendemain chez Madame la Duchesse de la Ferté. Monseigneur le Dauphin ayant bien voulu luy faire l'honneur de venir dîner chez elle ; cette Duchesse luy donna un repas aussi magnifique que delicat & bien entendu. On passa ensuite dans un autre apartement, où l'on joüa, aprés quoy il y eut un divertissement intitulé, Venus, Feste Galante, dont voicy le Prologue.
APPOLLON & sa suite.
Le Fils du plus grand Roy du monde,Quitte l'éclat pompeux d'une brillante Cour,Et vient de sa presence honnorer ce séjour.Qu'à mon empressement en ces lieux tout réponde.Vous qui suivez mes pas, par les chants les plus douxMarquez luy vostre zele,Tâchez par les attraits d'une feste nouvelle,De payer les plaisirs qu'il a quittez pour vous.CHOEUR.
Qu'au bonheur de la voir, nostre coeur est sensible.Animons nos Chansons,Montrons, s'il est possible,Le plaisir dont nous joüssons.
SCENE II
PALLAS. APOLLON.PALLAS.
Je viens prendre part à vos jeux,J'ay suivi ce Héros dans l'horreur de la Guerre,Quand LOUIS sensible à ses voeux,A voulu dans ses mains remettre son tonnerre.Pour flater ses nobles desirs,J'ay toûjours à ses pas attaché la Victoire ;Aprés avoir servi la gloire,Je viens partager ses plaisirs.APOLLON.
Dans les jeux qu'Apollon arrête,Pouvez vous trouver des appas ?Venus sera l'objet de cette illustre feste,Peut-elle plaire aux yeux de la fiere Pallas ?PALLAS.
Je me souviens encore de la cruelle offenseQue fit à mes appas un injuste Berger,Lorsque choisi pour nous juger,À Venus il donna sur moy la preferance.Je viens en goûter la vangeance,Dans ces aimables lieux.Les Graces & les Ris presentent à nos yeux,Une auguste Princesse.Ses attraits vont ravir le prix de la beauté,Qu'une trop superbe Deesse,Avoit autrefois remporté,Je vois avec plaisir la gloireQue luy prepare ce beau jour ;J'aime mieux mille fois luy ceder la victoire,Qu'à la Mere d'Amour.APOLLON.
L'Amour dans cet azilePour la voir aujourd'huy rassemble tous les Dieux.Un coeur en la voyant peut-il estre tranquille ?Heureux en ce moment qui n'auroit que des yeux,De ses appas on ne peut se deffendre,Ils ont un souverain pouvoirL'Amour est un tribut qu'elle a droit de pretendre,Pour payer le plaisir que l'on goute à les voir.PALLAS.
On vient, c'est Venus qui s'avance,Les Amours empressez la suivent en ces lieux,Laissons-la s'applaudir d'une vaine puissance,Que luy vont ravir d'autres yeux.
Personne n'eut peine à deviner qui estoit la Princesse dont Pallas parloit, & l'on entendit aussitost retentir le nom de Madame la Princesse de Conty.
Le divertissement continua par les Graces, les Amours, & les Plaisirs assemblez pour chanter la Victoire de Venus à qui Paris avoit donné la Pomme d'or. Aprés cela, tous les Plaisirs rendirent leurs hommages à cette Princesse. Mars & Venus firent ensuite une Scene, & Mars ayant congratulé cette Deesse sur sa Victoire luy declare sa passion, Venus y répond & un Plaisir les en felicite.
Jupiter paroist dans la derniere Scene avec un Choeur de Divinitez & de Peules, & dit ce qui suit.
JUPITER.
Cessez de vous flater d'un frivole avantage ;Venus ne pensez pasAvoir seule en partageLes plus charmans appas.J'ay vû dans ce sejour briller une Mortelle,Tout cede à ses attraits si doux ;Un Berger a jugé pour vous,Tous les Dieux ont jugé pour elle.Les plus grands coeurs suivent ses loix.Que vos plaintes icy ne troublent point la festeQue le Dieu des beaux Arts aprêtePour le Fils du plus grand des RoisChoeur de la suite d'Apollon.
Qu'au bonheur de le voir nostre coeur est sensible ?Animons nos chansons.Montrons, s'il est possible,Le plaisir dont nous joüissons.
Les Vers de ce divertissement sont de Mr Danchet, & la Musique est de Mr Campra. À peine fut-il finy, que Monseigneur eut le plaisir d'un tres-beau Feu d'artifice, qui fut tiré dans le jardin du Palais Royal, parce que Madame la Duchesse de la Ferté loge dans la ruë de Richelieu. Ceux qui occupent les maisons qui font face à celle de cette Duchesse, avoient fait illuminer toute la façade de leurs logis, où l'on voyoit une infinité de lampes, qui formoient diverses figures, mêlées de Girandoles de cristal. Les logis de Mr Dettanchau, Secretaire des Commandemens de Monseigneur le Dauphin s'estant trouvé de ce nombre, il joignit à l'illumination des Trompettes, des Timbales & des Hautbois, qui divertirent fort le Peuple, accouru en foule pour voir entrer & sortir Monseigneur.
[Relation de toutes les particularitez du Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne] §
Jamais Prince n'a tenu sa parole avec tant d'exactitude que le Roy. Par le Traité fait avec Monsieur le Duc de Savoye, Sa Majesté s'estoit engagée de marier Monsieur le Duc de Bourgogne avec Madame la Princesse de Savoye, sitost qu'elle auroit douze ans ; & comme elle les eut accomplis le 6. de Decembre, le mariage se fit le lendemain. [...]
[Déroulement de la cérémonie]
Le Dimanche 8. il y eut sur les six heures du soir dans le grand Cabinet de Madame la Duchesse de Bourgogne, un grand cercle, où se trouverent les Princesses & les Duchesses en tres-grand nombre, & magnifiquement vêtuës. Le Roy s'y rendit sur les 7. heures. Le cercle se leva, & l'on passa dans les Appartemens, où il y eut Musique, jeu de Portique & une collation surprenante, tant par la quantité que par son ordonnance. Madame la Duchesse de Bourgogne avoit ce jour-là un habit de velours couleur de feu, brodé d'or, vec une parure de diamans. le matin de ce même jour Mrs les Cardinaux d'Estrées, de Janson, de Furstemberg & de Coislin, vinrent en rochet & en camail à la toilette de cette Princesse, prendre possession du tabouret.
Le Lundi 9. Feste de la Conception de la Vierge, le Roy avec toute la Cour entendit la Prédication du Pere Bourdaloüe & Vespres, & Madame la Duchesse de Bourgogne y parut pour la premiere fois en son rang. Elle avoit ce jour là un habit de velours noir avec une parure de diamans & une juppe de drap d'or, brodée d'or.
Le Mardy 10. Monsieur le Prince de Galles, & Madame la Princesse d'Angleterre vinrent sur les trois heures rendre visite à Madame la Duchesse de Bourgogne, qui avoit ce jour-là un habit de satin couleur de rose brodé d'argent avec une parure de diamans. Ils allèrent ensuite chez Monseigneur le Duc de Bourgogne
Le Mercredy 11. il y eut dans la Galerie de Versailles le plus grand & le plus magnifique Bal, qui se soit jamais vû à la Cour. La Place disposée pour la danse estoit de cinquante pieds de long sur dix-neuf de large, dans le milieu de la Galerie, avec double rang de Siéges pour les Seigneurs & les Dames du Bal. Les Fauteüils du Roy & ceux du Roy & de la Reine, d'Angleterre, estoient en face du Salon qui regarde l'Orangerie, & vis-à-vis ces Fauteüils, l'enceinte du Bal avoit une ouverture de six pieds, pour y entrer & pour en sortir. On avoit élevé des gradins dans toutes les croisées de la Galerie, & on les avoit couverts de tapis de la Savonnerie ; la Galerie estoit éclairé par trois rangs de Lustres d'un bout à l'autre. Celuy du milieu estoit de huit, qui estoient les plus forts, & les deux autres de dix sept chacun, mais plus petits. Il y avoit aussi de chaque costé trente.deux Girandoles sur des gueridons dorez ; mais ce qui l'éclairoit davantage, c'estoit huit grandes pyramides rondes, de dix pieds de haut, qui portoient chacune cent cinquante bougies dans des flambeaux d'argent, posez sur huit degrez, qui s'élevoient en pointe, & qui estoient revêtus de gaze d'or. Ces Pyramides estoient portées par des piedestaux quarrez, de quatre pieds & quatre pouces de haut, & de quatre pieds de diametre, revêtus de velours cramoisi, avec des franges d'or. Quatre de ces Pyramides estoient placées aux quatre coins de l'enceinte du Bal, & les quatre autres aux deux bouts de la galerie, à côté des portes des salons, lequels estoient éclairez par cinq lustres chacun, & par quatre girandoles sur des guéridons dorez. On avoit élevé dans les trois portes du Salon du petit Appartement du Roy, qui donnent dans le milieu de la Galerie, des échafauts pour les Violons & pour les Hautbois, & ces échafauts n'avoient pon de saillie dans la Galerie. Avant quatre heures, tous les gradins des croisées furent remplis de monde, & entre six & sept tous les Seigneurs & toutes les Dames de la Cour se rendirent dans l'Appartement de Madame la Duchesse de Bourgogne. [...]
Le Roy se rendit sur les sept heures dans la Chambre de Madame la Duchesse de Bourgogne, son habit estoit magnifique & majestueux. Il estoit de velours noir, couvert en plein d'une broderie d'or fine & délicate, & marqué sur les tailles d'une plus épaisse & plus riche, avec des boutons de diamans. Le Roy & la Reine d'Angleterre arrivérent peu aprés. La Reine estoit magnifiquement vetuë d'une étoffe d'or avec des agrémens d'or. L'on passa dans la Galerie, & le Bal commença. Monseigneur le Duc de Bourgogne ouvrit la danse par le branle, menant Madame la Duchesse de Bourgogne, & lors que le branle fut fini, ils dansérent ensemble la premiere courante, & tout le monde en fut charmé. Madame le Duchesse de Bourgogne prit Monseigneur le Duc d'Anjou, & il prit Madame la Duchesse de Chartres, laquelle prit Monseigneur le Duc de Berry, qui prit Mademoiselle, & le reste se passa dans l'ordre & selon le rang. Comme le nombre des Danseurs estoit fort grand, plusieurs de ceux qui avoient esté nommez ne dansérent point faute de Dames qui se trouvérent en plus petit nombre. Madame la Duchesse de Bourgogne se fit admirer dans le Menuet & le Passepié. L'on dansa souvent le Menuet à quatre, afin de faire danser plus de monde.
Sur les huit heures le Roy demanda la Collation, qui fut apportée sur douze tables de formes inégales, couvertes de mousse & de verdure au lieu de napes, & chargées par compartimens de toutes sortes de fruits de la saison, & de confitures sèches entremelées de fleurs. Elles furent portées dans l'enceinte du Bal, & lors qu'elles furent rassemblées ; elles formerent une espece de Parterre tres-agréable où paroissoient quatre Orangers portant des Oranges confites. Ces tables furent ensuite separées, & passerent l'une après l'autre autour de l'enceinte, au moyen de rouletes qu'elles avoient sous les pieds. On apporta aussi à la main une quantité prodigieuse de corbeilles, pleines de paquets de confitures & de massepain,& une infinité de soucouppes chargées de liqueurs & de glaces. Aprés la Collation qui fut entierement pillée, l'on fit nettoyer la place, & l'on continua le Bal jusqu'à dix heures & demie. Lors qu'il fut fini, le Roy, & leurs Majestez Britanniques entrerent dans le petit Appartement de Sa Majesté, où le Soupé étoit servi dans l'antichambre. [...] Après le Soupé le Roy & la Reine d'Angleterre retournerent à Saint Germain, & chacun se retira.
Le Samedy suivant, il y eut encore un grand Bal qui commença plus tard que le precedent, parce qu'on ne soupa qu'aprés le Bal, & qu'il y eut media noche. La foule des spectateurs avoit esté si grande au premier, qu'on trouva moyen d'accommoder le lieu où l'on dança, de maniere qu'il y eut encore plus de places pour les personnes de la premiere qualité. [...] Enfin à voir chaque habit en particulier, il sembloit que rien ne se pouvoit ajoûter à tous ceux des Princes, Princesses, Seigneurs & Dames qui dançoient à ce bal, tant il estoient somptueux & brillans ; en sorte que sans compter les pierreries, les habits seuls des deux Bals revenoient à plusieurs millions. L'habit que la Reine d'Angleterre avoit au second Bal estoit de velours noir, avec une tres-belle parure de diamans. La Collation ne fut pas servie sur des tables comme la premiere, mais elle fut portée dans un nombre infini de corbeilles. Jamais il ne s'est rien vû de si brillant que ce Bal. Il y avoit, tant dans la Galerie où l'on a dancé que dans les Apartemens des environs, quatre à cinq mille lumieres, ce qui faisoit beaucoup briller la richesse des habits & la magnificence des Apartemens. Il y a eu à Trianon une representation de l'Opera d'Apollon & d'Issé qui avoit esté preparé comme un des divertissemens qui devoient suivre le Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Il estoit accompagné de tout le spectacle que peut permettre le lieu. L'Assemblée fut nombreuse, & en sortit tres-satisfaite. Tous les habits de cet Opera estoient neufs & bien entendus, & faits sur les desseins & sous la conduite de Mr. Berrin.